« Ce qui vous est dit à l’oreille, proclamez-le sur les toits ! »

Vous connaissez les rooftops, ces terrasses aménagées au sommet de nos immeubles où nous nous retrouvons pour prendre un verre en contemplant les toits de la ville. Ce ne sont pas les terrasses ou les toits évoqués dans le texte de ce jour, des lieux ouverts où se retrouvent les habitants du lieu pour échanger les uns avec les autres.
Nos rooftops sont plutôt des lieux de consommation, plus ou moins « sélect », que l’on peut réserver pour être bien avec des amis choisis.
Aujourd’hui, pour communiquer avec les autres, nous n’allons plus sur les terrasses et les toits de nos maisons mais nous utilisons plutôt nos téléphones, nos tablettes, nos ordinateurs.
Seuls dans la foule de nos cités, dans la rue ou dans le métro, ou chez nous, les yeux rivés sur nos écrans, nous communiquons avec nos contacts ou sur des forums, publiquement ou anonymement, pour exposer notre vie quotidienne, avec force photos, selfies ou vidéos. Nous exposons nos théories, réagissons à toutes les publications qui abondent dans le sens de nos idées.
Nos contemporains sont devenus des contacts et jamais nous n’avons autant communiqué qu’aujourd’hui.
Nous sommes en lien permanent avec le monde entier, immédiatement informés de toutes les catastrophes, les guerres, les faits divers près de chez nous, les faits et gestes de nos proches. Des informations, des images, des vidéos nous sont proposées, je devrais dire imposées, en fonction de nos centres d’intérêts identifiés par la plateforme.
Et pourtant, jamais nous n’avons été autant isolés. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer les passagers d’un train ou d’un métro. Chacun la tête baissée sur son téléphone, coupé de son environnement immédiat, ou en communication téléphonique pour échanger des banalités.
Il y a quelques jours, j’étais dans le métro sur la ligne 14 pour aller travailler, concentré sur la lecture de ma tablette. A un moment je lève la tête : la rame était entièrement vide roulant à grande vitesse vers une destination inconnue ; j’avais pris le train dans la mauvaise direction et le métro avait dépassé le terminus …
En communiquant dans la solitude, nous risquons de nous perdre.

Dans le texte de Matthieu, il est aussi question de messages adressés aux autres. Jésus s’adresse à ses disciples et les avertit des difficultés auxquelles ils seront confrontés : ils seront livrés aux tribunaux, fouettés dans les synagogues, détestés et persécutés.
A l’époque de Matthieu, pour les disciples il n’était pas simple de parler de Jésus et leur parole dérangeait.
Malgré cela, Jésus leur dit de persévérer, au risque de leur vie : « Celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé ».

Aujourd’hui je ne crains pas d’être fouetté dans ce temple, livré par vous à la justice ou persécuté parce que je vous annonce la Bonne Nouvelle.
Si je sors du temple pour m’adresser aux passants, je ne risque que l’indifférence ou des sourires amusés. Si j’interpelle les puissants ils me rappelleront gentiment les règles de la laïcité, m’invitant à garder dans un cadre privé mes convictions religieuses.

Que devons-nous craindre aujourd’hui ? Et pourquoi devrions-nous renoncer à nos craintes ?

Aux disciples, Jésus dit : « Soyez sans crainte », « N’ayez pas peur », « Ne redoutez pas » … Trois fois, Jésus évoque leurs craintes et leur donne trois bonnes raisons de ne pas avoir peur !

« N’ayez donc pas peur d’eux, car il n’y a rien de caché qui ne doive être découvert, ni de secret qui ne doive être connu »

Pour commencer, Jésus rappelle la nécessité absolue de partager cette Parole reçue avec les autres. C’est la vocation des disciples. C’est la volonté de Dieu. Il faut donc y aller ! Nous le comprenons assez bien, mais de là à risquer sa vie …

Jésus ajoute : « Ne redoutez pas ceux qui tuent le corps mais qui ne peuvent pas tuer l’âme. Redoutez plutôt celui qui peut faire périr l’âme et le corps en enfer »

Les disciples sont confrontés à un choix de vie. Ils ne doivent pas se tromper de combat. De quoi doivent-ils vraiment avoir peur ? Peur de sortir de leur confort et de leur sécurité, peur de celui qui n’accueillera pas favorablement leur témoignage ? peur de l’inconnu ou bien peur de se perdre en renonçant ? Une vie sans Dieu ?
Ils sont placés, tout comme nous, face à un choix de vie. A quoi vont-ils renoncer ? A quoi allons-nous renoncer ? Un chemin mortifère d’un côté ou une vie renouvelée en Jésus Christ de l’autre côté ?

Souvenons-nous de Luther à la Diète de Worms : « Je suis lié par les textes de l’Ecriture que j’ai cités et ma conscience est captive de la Parole de Dieu ; je ne peux ni ne veux me rétracter en rien, car ce n’est ni sûr, ni honnête d’agir contre sa propre conscience. Me voici donc en ce jour. Je ne puis autrement. Que Dieu me soit en aide ! ».

Pour les disciples qui faisait face à l’hostilité de leurs contemporains, pour Luther qui risquait sa vie en se rendant à la Diète de Worms, et pour nous aujourd’hui, Jésus ajoute : « N’ayez donc pas peur : vous valez plus que beaucoup de moineaux ».

Troisième raison de ne pas craindre. Dieu ne nous laissera jamais tomber. Il connaît chacun de nous, jusqu’au nombre de nos cheveux. Pas un moineau ne tombe par terre sans l’accord du Père. A plus forte raison les hommes qui valent plus que beaucoup de moineaux.

« N’ayez pas peur ! » Mais aujourd’hui, de quoi avons-nous peur ?  Par quoi sommes-nous menacés ? Que devons-nous craindre ?
Nous ne sommes pas chez les talibans ; que risque-t-on à parler du projet de Dieu pour chacun ? Tout le monde, à tout moment, peut exprimer librement ses idées sur les réseaux sociaux, aussi farfelues, provocatrices ou extrêmes soient-elles et plus personne ne s’intéresse à la religion qui n’est plus au cœur de la cité.

« Même pas peur ! » pourrions-nous dire comme les enfants. Plus rien à craindre. Notre parole peut s’exprimer librement et sans contrainte.

Et pourtant, nous sommes menacés : Ecoutons la conclusion de ce texte : « C’est pourquoi, toute personne qui se déclarera publiquement pour moi, je me déclarerai moi aussi pour elle devant mon Père céleste ; mais celui qui me reniera devant les hommes, je le renierai moi aussi devant mon Père céleste. »

Ici se trouve la véritable menace : en restant silencieux, en gardant pour nous ce qui nous a été dit à l’oreille, nous rejetons Dieu. Il ne suffit pas d’accueillir avec bienveillance cette Parole et de la garder précieusement pour nous.
Il faut nous laisser transformer par Elle, la laisser agir en nous pour qu’elle nous relève et nous pousse à aller à la rencontre des autres.

En faisant corps avec Jésus, en confessant publiquement notre foi, par nos paroles ou par nos actes, nous sommes accueillis auprès de Dieu, introduit par son Fils, reconnus, aimés sans condition.
En acceptant de mourir à notre propre vie, nous renaissons avec Jésus Christ qui nous conduit sur un véritable chemin de vie.
Ce sont par nos paroles et par nos actes que nous pouvons témoigner. Vous avez sans doute entendu ce jeune qui a tenté à Annecy de faire fuir l’agresseur des enfants avec son sac à dos. Interrogé par un journaliste sur sa foi il a répondu : « La foi est une rencontre intime avec Jésus-Christ. Quand on a fait cette rencontre, on n’a plus peur pour sa vie, on a peur pour celle des autres ».

Ce qu’il faut craindre aujourd’hui, ce n’est pas ceux qui nous font face mais tout ce qui nous empêche de témoigner de notre foi :

  • Ce qu’il faut craindre, c’est de nous laisser conduire par l’air du temps, remiser notre intelligence et notre cœur, et nous laisser happer par cette société de l’ultra-consommation, de la communication surabondante et superficielle qui nous pousse à réagir à chaud sans réfléchir, c’est de tomber dans le jugement ou dans la réaction passive.
  • Ce qu’il faut craindre, c’est de nous replier, y compris en Eglise, dans un univers sécurisé, avec ceux qui nous ressemblent, qui pensent comme nous alors que nous sommes invités à élargir l’espace de notre tente, à proclamer la Parole sur les toits, c’est à dire dans un lieu ouvert à tous, sans tri préalable.
  • Ce qu’il faut craindre, c’est notre tentation de ne parler que de nous comme l’incite notre société exhibitionniste où triomphent le selfie et le culte de l’apparence. Ce que nous sommes appelés à transmettre, ce ne sont pas nos opinions, nos réactions à chaud, mais une Parole extérieure, entrée discrètement dans notre oreille qui fait son chemin en nous. Une Parole de vie qui ne nous appartient pas et que nous ne pouvons garder enfouie. Elle a vocation à être partagée.

Ce n’est pas Dieu qu’il faut craindre mais plutôt nous-mêmes !

La crainte de Dieu, qui a pris de multiples formes dans notre culture, n’est pas la peur d’un jugement par un vieillard barbu et sévère.
Il faut comprendre cette crainte comme un déplacement de nos priorités, un changement de chemin, une conversion, un choix : craindre de déplaire à mes contemporains ou craindre de déplaire à Dieu ?
A qui me soumettre ? Aux injonctions de notre société de l’ultra-consommation et de l’individualisme forcené qui pousse à l’isolement ou à l’affrontement ? Ou à la Loi de Dieu qui est amour inconditionnel ?
En confessant Jésus ressuscité, je ne crains plus de perdre mon confort, de me ridiculiser aux yeux des autres, d’être rejeté par eux. Bien au contraire, en partageant cette Parole libératrice murmurée à mon oreille, qui grandit en moi, je me rapproche de Dieu.

Craindre Dieu, c’est abandonner mes propres craintes et m’abandonner à Lui, en confiance.
Craindre Dieu, c’est tout simplement choisir la vie.
Ce n’est pas nécessairement un parcours facile ; souvenons-nous du reniement de Pierre. Trois fois il a renié le Seigneur et pourtant c’est lui qui a été appelé à conduire l’Eglise de son temps.
Chaque fois que nous tombons, que nous nous égarons dans la mauvais direction, Jésus nous rattrape par le col, nous pardonne et nous remet en selle, comme Jonas qui avait fui dans la direction opposée de celle qui lui était indiquée, le plus loin possible de ce Dieu exigeant.

« N’ayez pas peur ! » nous dit Jésus aujourd’hui.

« C’est à toi que j’ai remis ma cause » nous a dit Jérémie dans le texte lu ce matin.

Emplis de cette assurance, nous pouvons lever les yeux de nos téléphones et de nos tablettes, prendre le temps d’accueillir simplement cette Parole, seul ou en Eglise, et risquer la rencontre avec l’autre, en vérité. Nous ne sommes pas dissimulés derrière un pseudo ou un avatar, nous n’avons pas retouché notre photo avec photoshop, nous ne sommes pas dans le monde virtuel des métavers.
Nous sommes simplement engagés dans une relation authentique, en vérité avec l’autre, tel que nous sommes, avec nos faiblesses et les siennes. C’est le sens du mot religion, relier les hommes les uns aux autres. Sans ce lien, il n’y a pas de foi.

Jamais notre monde fracturé, parcouru par les peurs et les haines, n’a eu autant besoin de cette Parole de vie et de confiance. Jamais nous n’avons autant eu besoin de ces moments de véritable partage avec les autres.

Dieu nous a choisi pour porter son message d’amour inconditionnel offert à tous. Il connaît chacun de nos cheveux et tient à nous plus que tout.

Rendons-nous sur les terrasses d’aujourd’hui, c’est à dire sur tous nos lieux de vie, le temple du Saint-Esprit, notre travail, nos lieux de rencontre et, pourquoi pas, sur les réseaux sociaux, pour partager avec d’autres cette Parole qui chaque jour nous relève et nous fait avancer avec confiance.
Plus rien ne nous menace. Allons à la rencontre des autres !

« Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le en plein jour ! »

Amen

Frédéric Martin

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