Bienvenue dans le Royaume de Dieu

Lectures Bibliques : Luc 15,1-10

Prédication :

Les employés des impôts et les pécheurs s’approchent tous de Jésus pour l’écouter. Les Pharisiens et les maîtres de la loi le critiquent et murmurent dans son dos. Attirance pour les uns, répulsion pour les autres. Quand Jésus s’approche, le Royaume de Dieu fait irruption et personne ne reste indifférent. Certains changent radicalement et Dieu est dans la joie. D’autres restent dehors à critiquer, à maugréer. Il en va de même pour nous. Certains parmi nous ont véritablement besoin de changer leur vie. Ceux-là portent en eux, souvent dans le secret, un poids, un malheur, une colère, une blessure, une honte, un méfait, une question insoluble, un doute profond, une angoisse existentielle… Et puis, d’autres parmi nous n’ont aucune envie de changer. Ils n’en voient pas l’utilité. Sans doute même ne voient-il pas vraiment ce qu’il y aurait à changer dans leur vie, satisfaits de ce qu’ils ont, de ce qu’ils vivent, de ce qu’ils construisent. Les premiers vont m’écouter, intrigués, intéressés, ouverts. Les seconds vont murmurer dans leur coin et j’espère qu’ils attendront la fin du culte pour critiquer : « Mais il se prend pour qui ? Au nom de qui ou au nom de quoi ose-t-il ? » Je parle au nom de ce Jésus que Dieu envoie dans le monde pour changer la vie de ceux qui en ont besoin. Je parle en son nom et, ce faisant, le Royaume de Dieu vient percuter notre existence. Notez bien que je m’inclus entièrement dans ce propos. Je ne suis pas là pour faire la leçon sur ce que vous devriez changer, ni pour donner un cours de théologie détaillé sur Dieu et le sexe de ses anges, ni pour faire une visite guidée d’un musée antique de la religion chrétienne. Je revendique la place de premier auditeur de ce que Jésus vient nous dire. La vérité, c’est que Jésus fait advenir le Royaume de Dieu sur terre. Il ne nous enlève pas au ciel pour nous arracher à notre réalité. Il ne nous ouvre pas les portes d’un Royaume après notre mort. Jésus n’a jamais dit : « Allez, venez, je vous invite chez mon Père ! » Il a dit : Le moment décidé par Dieu est arrivé, et le Royaume de Dieu est tout près de vous. Changez votre vie et croyez à la Bonne Nouvelle (Marc 1,14). Il est Dieu présent dans notre monde, pour transformer notre vie radicalement. Et c’est très exactement ma mission parmi vous : que votre vie soit radicalement changée parce que le Royaume de Dieu s’est approché de vous.

Alors bien sûr ces histoires de mouton perdu ou de pièce d’argent tombée du porte-monnaie ne nous parlent pas forcément mais, pour Jésus, cela n’a aucune importance. Pour lui, il s’agit de titiller notre bon sens pour nous faire réagir… Parmi vous, un homme a 100 moutons et il en perd un. Bien sûr, il va laisser les 99 moutons dans les champs et il part chercher celui qui est perdu, jusqu’à ce qu’il le trouve. (…) Parmi vous, une femme a 10 pièces d’argent et elle en perd une. Bien sûr, elle va allumer une lampe et balayer la maison. Elle cherche la pièce avec soin, jusqu’à ce qu’elle la trouve.  Bien sûr ? Mais ce n’est pas évident du tout ! Le bon sens voudrait qu’on sécurise le troupeau avant de partir. Je pense ici aux histoires de cohabitation avec le loup dans le Mercantour. Si j’ai bien écouté les bergers, ils ne laissent pas le troupeau sans surveillance même pour aller chercher un mouton perdu ! Et pour ce qui est de la pièce de monnaie, personnellement je ne vais remuer pas ciel et terre pour la retrouver. Je m’en veux sans doute, je regarde vaguement dans mes poches et autour de moi mais je ne fais pas comme cette femme qui allume toute la maison et qui cherche la pièce avec soin, jusqu’à ce qu’elle la trouve. Dieu n’a aucun bon sens, voilà la vérité ! Ce qu’il fait avec nous ne relève pas de l’attitude normale que nous connaissons. Jésus nous fait découvrir un Dieu inquiet qui en oublie tout bon sens pour partir sans réfléchir, toute affaire cessante à la recherche d’un perdu. Il doit y tenir à ce perdu-là. Je ne sais pas si c’est normal mais mon Dieu fait le choix de tout lâcher pour un seul. Un Dieu qui cherche ce qu’il a perdu jusqu’à ce qu’il le trouve ? Ainsi donc il y a du manque en Dieu à cause de nous. Et avec ce manque, il connaît tout ce que nous connaissons, nous les humains, de l’inquiétude, de la perte, du deuil, de la tristesse, des nuits blanches parce que cela nous trotte dans la tête. Et Dieu n’abandonne jamais…

Mais pourquoi fait-il cela ? Que veut-il au fond ? Luc martèle sa réponse comme un refrain : Je vous le dis, c’est la même chose : quand un seul pécheur change sa vie de manière radicale, Dieu est dans la joie. Sa joie est plus grande que pour 99 justes qui n’ont pas besoin de changer leur vie !  Quand UN SEUL pécheur change sa vie… Là encore, nous ne percevons plus forcément l’enjeu qui se cache ici. Notre Dieu ne fonctionne pas comme les religions le disent. Pour être retrouvé, sauvé, accueilli par Dieu dans son Royaume, les juifs affirment qu’il faut faire partie du peuple élu et recevoir la circoncision. Les musulmans croient qu’il faut appartenir à la Umma et pour cela il faut réciter trois fois de suite la Chahada. Hors du christianisme point de salut, renchérissent les chrétiens en exigeant le baptême. Et ce faisant, chaque religion met en place tout un fonctionnement à base de rites initiatiques, de frontières qui délimitent ceux qui sont dedans et ceux qui sont dehors, tout un système religieux qui fonctionne sur le registre de la pureté à préserver de la souillure. Tous se trompent. Tous trahissent la volonté de Dieu. Mon Dieu, dit Jésus, ne se satisfait pas de ceux qui sont déjà dedans, de ceux qui n’ont besoin de rien, de ceux qui ne voient pas ce qu’ils auraient à changer dans leur vie. Mon Dieu ne se contente pas des justes, des croyants fidèles, des bienheureux qui ont déjà un pied dedans. Tant qu’il manque UNE brebis dans mon troupeau, je ne suis pas heureux. Tant qu’il manque une pièce de monnaie dans mon porte-monnaie, je ne suis pas satisfait. Une fois encore mon Dieu n’a aucun bon sens, aucune sagesse. Vous savez, ce dont on nous rebat les oreilles à longueur d’émissions, de blogs, de chaînes YouTube sur le bien-être, l’épanouissement personnel, le coaching pour celles et ceux qui veulent être heureux et réussir leur vie : on vous conseille avec sagesse de cueillir les petits bonheurs, d’apprendre à accepter les petits pas, accepter enfin que tout ne soit pas parfait, apprendre à laisser une place au manque, à l’inachevé… Mon Dieu, lui, veut tout, tous et chacun. Aucune perte n’est admise à ses yeux. Il faut que sa maison soit pleine. Il va chercher le mouton perdu, jusqu’à ce qu’il le trouve. Il va chercher la pièce de monnaie égarée, jusqu’à ce qu’il la trouve. Voici la volonté de celui qui m’a envoyé, dit Jésus dans l’Évangile de Jean (6,38) : je ne dois perdre AUCUN de ceux qu’il m’a donnés, mais je dois les relever de la mort, le dernier jour. Aucun. Ce que confirme la 1ère lettre à Timothée (2,4) : Voilà ce qui est beau, ce qui plait à Dieu notre Seigneur. Il veut que TOUS les hommes soient sauvés… Mon Dieu vient nous chercher un par un. Tant qu’il y a une seule personne en enfer, il ne s’arrêtera pas. Tant qu’il y a un enfant malheureux, tant qu’il y a une femme battue, tant qu’il y a un homme en prison, tant qu’il y a un gilet jaune qui casse tout sur son passage, son combat n’est pas fini. Mon Dieu est un extrémiste de l’amour, un radical de la perfection, un fanatique du salut, un passionné de l’absolu. Quand il donne, il donne tout. Il ne calcule pas, il ne soupèse pas, il ne soustrait pas, il ne rejette pas. Mon Dieu veut que tous les hommes soient sauvés.

Et pourtant… je connais des gens qui n’osent rien demander pour eux-mêmes. Prier pour les autres, pour ceux qui souffrent, pour ceux qui sont dans le besoin, ils veulent bien. Mais prier pour eux, ils n’osent pas. Ils ne veulent pas déranger avec leurs « petits » problèmes, disent-ils dans un soupir, ravalant larmes et prières : « Il y a tellement plus malheureux que moi… » Voilà la question centrale du Ps 8 qui résonne : Quand je regarde le ciel que tes mains ont fait, la lune et les étoiles que tu as fixées, je me demande : Qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui ? Qu’est-ce qu’un être humain pour que tu prennes soin de lui ? Celles et ceux qui se dévalorisent ainsi n’ont rien compris à l’Évangile de Jésus Christ. Ils sont contaminés par un monde où le bon sens exige de chercher l’efficacité à tout prix, de rationaliser le travail en quête perpétuelle et inextinguible de gains de productivité. Et ce faisant, ils ne s’aiment pas suffisamment pour croire en leur propre valeur. Ils se comptent pour quantité négligeable sans comprendre que la valeur d’une personne ne se mesure pas. Il n’y a pas de règle comptable qui puisse quantifier la dignité d’un être. Il n’y a pas d’algorithme mathématique qui puisse prétendre la calculer. Pour Dieu, c’est le « UN SEUL » qui compte. Il fait du « one to one » ; il va de l’unique à l’unique, du singulier au singulier, de toi à moi, chacun son tour. Ton problème n’est pas mon problème. Ton péché n’est pas mon péché. Mon salut ne peut pas ressembler au tien. Il n’y a pas de massification de la démarche du salut. Il y a une parole de Dieu pour chacun, personnelle, spirituelle, habitée. Et le peuple élu n’a pas pour vocation d’exclure ceux qui ne font pas partie du judaïsme mais, comme on lit dans Esaïe 49,6 : Je fais de toi la lumière des nations pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. L’Église chrétienne n’a pas reçu la mission d’excommunier qui que ce soit mais de tout faire pour rester sel de la terre et lumière du monde (Matthieu 5,13-16), pour accueillir un seul de ces petits à cause de mon nom (Matthieu 18,5). Parce que Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde mais pour que le monde soit sauvé par lui (Jean 3,17).

Dieu a préparé une Parole pour chacun. Quand vous aurez accueilli, reçu cette parole que Dieu destine à chacune de nos vies, rien ne sera plus pareil. Le Royaume de Dieu aura changé votre vie. Vous aurez été retrouvés, accueillis, relevés de la mort. On trouve là toute la différence entre un discours théologique théorique qui décrit, analyse et argumente pour tenter de convaincre et un discours spirituellement habité qui se vit comme performatif en faisant advenir ce qu’il dit. La grâce et la paix vous sont données (Ep 1,2)Que la lumière soit (Gen 1,3)Je t’aime d’un amour éternel (Jer 31,3)Tu es mon fils bien aimé (Luc 3,22)Tes péchés sont pardonnésLève-toi et marche (Matt 9,1-8)Tu as du prix à mes yeux et je t’aime (Es 43,4). Quand nous recevons ses paroles personnellement, Jésus fait advenir le royaume de Dieu. L’éternité traverse notre réalité et la transforme radicalement. Je sais désormais : 1. Je suis attendu par Dieu 2. Je suis unique et précieux à ses yeux 3. Le bonheur de Dieu passe par moi.

Dieu a discerné en nous un germe de ce que nous vie pourrait être si elle acceptait de suivre sa vocation spirituelle : nous avons une divine raison d’être ! Quand la bonne volonté de l’homme fait écho au projet de Dieu, quand l’homme répond et se laisse trouver par Dieu en acceptant de proclamer son existence transcendante, de s’en féliciter, de s’en réjouir et de bénir cette vocation… Alors et alors seulement il y a de la joie parmi les anges de Dieu comme le dit l’Évangile de Luc. Quand il l’a trouvé, il est tout joyeux. Il met le mouton sur ses épaules, puis il rentre chez lui. Il appelle ses amis et ses voisins et leur dit : “Venez, réjouissez-vous avec moi ! On ressent la joie de Dieu. On entend son cri de victoire, qui laisse libre cours au soulagement inversement proportionnel à l’inquiétude qui le rongeait. Plus grande est la difficulté, plus grande est sa joie. Plus grande est la crainte, plus grand est sons soulagement. Plus grand est le danger, plus grande est sa victoire… Il n’attend pas notre mort pour nous ouvrir les portes de son Royaume. Face au danger qui guette, il envoie son Fils : Le moment décidé par Dieu est arrivé, et le Royaume de Dieu est tout près de vous. Tu as du prix à mes yeux et je t’aime ! Appelez amis et voisins, comme le dit la parabole, pour que nous puissions nous réjouir tous ensemble. Si le salut se joue de l’unique à l’unique, la joie, elle, n’existe que de se partager en communauté. On ne fait jamais la fête seul. C’est là que réside le véritable sens de l’Église : faire la fête ensemble à chaque arrivée d’un ou d’une nouvelle venue. La véritable Église est festive ou elle n’est pas. Amen.

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