Aimez ses ennemis : mission impossible ?

Aimez vos ennemis, dit Jésus. Priez pour ceux qui vous persécutent. Personne d’autre que lui n’enseigne cela.
Difficile à entendre. Quant à mettre en pratique cet enseignement…

La question en effet n’est pas tant de savoir s’il faut ou non aimer ses ennemis mais est-ce seulement possible ? Nous le souhaiterions volontiers, bien sûr… mais comment faire ? Quelle méthode ? Quelle recette ?
Frères et sœurs, prenons garde : là où Jésus annonce une bonne nouvelle qui libère le monde de l’emprise de la violence et de la mort, attention à ne pas faire de cet enseignement une « super loi », un devoir, une obligation inaccessible.
Avec un tant soit peu de lucidité, nous reconnaissons bien volontiers que nous n’avons jamais réussi à aimer nos ennemis…

Et encore, faudrait-il avoir des ennemis. Comme tout le monde, nous détestons l’idée-même d’avoir des ennemis.  Nous aimerions tellement être aimé de tous.

Voilà même une des deux craintes secrètes de l’humain :

  • Découvrir que nous allons mourir un jour
  • Découvrir qu’il y a des gens qui ne nous aiment pas.

Le premier pas sur ce chemin escarpé vers l’amour des ennemis, c’est de reconnaître avec lucidité et humilité que nous avons tous des ennemis.
En effet, Jésus ne dit pas : « N’ayez pas d’ennemis ! » (Lui-même en a eu) mais il dit : « Aimez-les ! ». Et pour qu’un jour nous ayons une chance de réussir à les aimer, il faut d’abord reconnaître qu’ils existent…
Accepter d’avoir des ennemis, c’est commencer à se décentrer un peu pour regarder autour de soi et peut-être commencer à voir les larmes dans les yeux de celui que l’on a blessé sans doute sans le vouloir…
Il faut dire dans le même temps que c’est peut-être aussi pour nous une manière de revendiquer notre droit à la justice.
Derrière notre rancœur, notre ressentiment et peut-être notre inavouable désir de vengeance se dissimule notre désir d’être reconnu en tant que victime ainsi que notre demande de réparation pour le préjudice subi ?
Voilà la vérité : connaître et nommer ses ennemis, c’est une manière de réclamer son droit à la justice et d’exiger une légitime réparation. Qui pourrait nous contester ce droit ?

Là où la loi du Talion limite la surenchère en exigeant un œil pour un œil et une dent pour une dent, il faut le dire, ce tout premier pas demande un effort de lucidité et de clairvoyance pour regarder en face la violence qui se dissimule dans nos relations.
C’est alors et alors seulement que nous pourrons faire un pas de plus pour tenter de comprendre d’où vient ce mal qui nous ronge.
A relire ce passage étonnant du Sermon sur la Montagne, j’ai relevé que Jésus place la question et son appel sur un plan strictement affectif : Aimez vos ennemis !  (…) Si vous aimez seulement ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? Les péagers aussi n’en font-ils pas autant ?
L’apôtre Paul fait exactement la même chose dans l’épître aux Romains : Dieu a répandu son amour dans nos cœurs par l’Esprit Saint qu’il nous a donné. (…) Et voici comment Dieu a prouvé son amour nous nous : le Christ est mort pour nous, et pourtant, nous étions encore pécheurs. (…)  Oui, quand nous étions les ennemis de Dieu, il nous a réconciliés avec lui par la mort de son Fils.
Un ennemi, c’est quelqu’un avec qui j’ai une relation abîmée, ratée, malade, défectueuse. Cela peut prendre la forme d’une aversion épidermique irrationnelle (par exemple : je ne peux pas le sentir, il me hérisse le poil) ou que ce soit une volonté de nuire à l’autre voire de l’éliminer. Ce n’est jamais une question d’argent, ni une question d’identité, ni une question d’intérêts divergents, c’est une question purement et strictement relationnelle.

Frères et sœurs, serions-nous ici dans une impasse ?

Comment faire pour aimer quelqu’un que je n’aime pas ? Est-il seulement possible de forcer l’amour ? L’impasse apparaît d’autant plus terrible si l’on revient à notre constat initial : l’amour des ennemis est la seule exigence qui soit spécifiquement chrétienne.
Autrement dit, nous savons depuis le départ que c’est le seul lieu où nous mesurons la mise en œuvre réelle et concrète de nos convictions, de notre foi chrétienne.
Il ne s’agit pas seulement d’une question éthique du genre : « Pour vivre heureux nous avons intérêt à essayer de vivre en paix avec les autres ».
Il ne s’agit même pas d’essayer de mettre en pratique la Règle d’Or qui nous demande : « Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’ils te fassent ».
Il s’agit en fait d’une question spirituelle puisqu’il est question de mesurer si notre foi chrétienne est vivante ou si elle est morte !
Le constat n’est pas très agréable mais il doit être accepté avec lucidité et Paul nous le rappelle sans détour : nous sommes ennemis de Dieu. Avec Lui aussi notre relation est abîmée, ratée, malade, défectueuse…
Et c’est là, précisément, qu’il y a une parole à entendre. Voilà la vérité : Dieu aime ses ennemis. Il est même le premier à le faire. Jusqu’au bout, jusqu’à en mourir sur une croix. Voilà en vérité ce qui constitue le cœur du christianisme :

Je cite l’apôtre Paul dans son épitre aux Romains (Rm 5, 6-10)

Quand nous étions encore sans force, le Christ est mort pour les gens mauvais, au moment décidé par Dieu. Déjà pour une personne juste, on ne serait guère prêt à mourir. Pour une personne qui fait le bien, on aurait peut-être le courage de mourir. Mais voici comment Dieu a prouvé son amour pour nous : le Christ est mort pour nous (…) Quand nous étions les ennemis de Dieu, il nous a réconciliés avec lui par la mort de son Fils.

Dieu aime ses ennemis.

Il est possible que je sois, tour à tour, comme Judas, celui qui fait souffrir l’autre par ma trahison ou, comme Pierre, celui qui se contente de couper la relation par son reniement, il n’empêche : Jésus aime tous ses ennemis de la même manière.
Dieu aime ceux qui ne « méritent » pas d’être aimés.
Et je crains que nous en fassions partie, nous aussi, encombrés par nos rancœurs, nos aigreurs, nos ressentiments, nos colères, notre mauvaise foi et nos relations pourries avec les uns ou les autres.
Il nous aime malgré tout cela, et sans doute aussi à cause de tout cela. Et on ne guérit pas de la haine par la haine. Seul l’amour le peut.
C’est à cette source-là et uniquement là, qu’il nous est possible de venir puiser un peu de force pour tenter un premier pas vers l’amour de nos ennemis.
Dans cette certitude d’être nous-mêmes à la fois ennemis de Dieu et aimés par Lui.
Sans doute, dans un premier temps, pouvons-nous demander au Père qu’il s’occupe, lui, de nos ennemis, qu’il prenne soin d’eux à notre place ? Si nous nous sentons pour le moment bien incapables de les aimer, soyons convaincus que Dieu, lui, les aime autant qu’il nous aime.
Puissions-nous donc apprendre à prier pour nos ennemis.
C’est en vérité un véritable chemin spirituel qui s’offre à nous, une étape importante pour notre libération, un soulagement immense qui nous est promis quand nous réussirons enfin à déposer devant Dieu ce poids que nous n’arrivons plus à porter…
Puissions-nous nous décharger sur Lui de notre désir de vengeance qui perpétue le mal à travers nous.
Certains psaumes qui nous paraissent si scandaleux à cause de leur violence nous montrent la voie.

Citer un passage du Ps 58 et Ps 137

Ils vous offriront une aide précieuse pour prier pour vos ennemis et vous libérer ainsi de ce qui vous ronge l’âme et le cœur.
Aimez vos ennemis, mission impossible ? pas si sûr…
C’est une promesse de Dieu. Prier pour eux est un premier pas vers l’amour de vos ennemis.
Tout comme Jésus a prié le Père pour lui demander de pardonner aux Hommes ce qu’ils étaient en train de faire en le clouant sur la croix, il nous pousse à toujours approfondir notre relation à Dieu par la prière et l’amour du prochain, quel qu’il soit : ami ou ennemi.

Dans les Ecritures bibliques, l’amour n’est pas simplement un sentiment mais un engagement, une implication. Le prochain n’est pas celui qu’on apprécie, mais celui qui est aimé de Dieu, qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et qui fait pleuvoir sur les justes et les injustes.

Prière :

Seigneur, nous avons besoin de ton Esprit.
Par nous-mêmes,
Nous ne pouvons aimer ceux que nous n’aimons pas,
Nous ne pouvons bénir ceux qui nous maudissent,
Nous ne pouvons faire du bien à ceux qui nous haïssent,
Nous ne pouvons prier pour ceux qui vous persécutent.

Viens au secours de notre incrédulité !
Viens au secours de notre immaturité !
Viens au secours de notre pauvreté !

Guéris-nous de notre paresse, et nous pourrons aimer.
Guéris-nous de nos peurs, et nous pourrons accueillir.
Guéris-nous de notre agitation, et nous pourrons prier.
Guéris-nous de nos rancunes et nous pourrons bénir.

Amen.

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