Lectures Bibliques : Gen 2, 18-25 + Gal 3, 23-28 + 1 Co 11, 2-16
Prédication :
Le 10 septembre 1900, Eugène Thomas, maire de la ville du Kremlin-Bicêtre, prend un arrêté municipal : « Considérant que si le costume spécial dont s’affublent les religieux, peut favoriser leur autorité sur une certaine partie de la société, il les rend ridicules aux yeux de tous les hommes raisonnables et que l’Etat ne doit pas tolérer qu’une catégorie de fonctionnaires serve à amuser les passants (…) Est interdit sur le territoire de la commune du Kremlin-Bicêtre le port du costume ecclésiastique à toute personne n’exerçant pas des fonctions reconnues par l’Etat et dans les limites du territoire assigné à ses fonctions. » A 100 ans de distance, Burkini et soutane, même combat, même hystérie collective. Hier les catholiques, aujourd’hui les musulmans. Et pourtant… Tareq Obrou (imam de la mosquée de Bordeaux, Paris-Match août 2016) dénonce ce qu’il appelle « la bédouinisation de l’islam » : « Phagocyté par le wahhabisme saoudien, le salafisme consiste à bédouiniser l’islam avec des moyens technologiques particulièrement développés. C’est un retour à l’histoire pré-islamique mais certainement pas un retour à l’état de l’Islam. (…) Le Prophète n’est pas venu sur terre pour donner des cours de couture. Les vêtements n’ont rien à voir avec la religion. Un voile n’est pas une kippa. Il n’y a pas d’objets cultuels dans l’islam. (…) C’est une hérésie que d’introduire dans le culte les vêtements. (…) Dieu n’est pas un tailleur, ce n’est pas un styliste de mode. En vérité, on se cache pour mieux se montrer. Alors certes, l’apparence est conforme à la lettre du texte, mais l’intention n’est pas bonne. Ce qui est condamnable, c’est l’habit de l’orgueil, de l’arrogance et de l’ostentation. »
La burqa (et sa déclinaison pour plage) habit de l’orgueil, de l’arrogance et de l’ostentation ? C’est un imam qui le dit. Elle n’est donc ni coranique ni islamique mais bien antérieure. Il faut remonter le temps pour retrouver sa trace chez… Tertullien, un père de l’Eglise qui vivait à Carthage en Tunisie entre 150 et 220 après JC : « Les femmes de l’Arabie, toutes païennes qu’elles sont, vous serviront de juges ; elles qui, non contentes de se voiler la tête, se couvrent aussi le visage tout entier, de sorte que, ne laissant d’ouverture que pour un œil, elles aiment mieux renoncer à la moitié de la lumière, que de prostituer leur visage tout entier. Là, une femme aime mieux voir que d’être vue. » (Tertullien, Du voile des vierges, XVII) Je remarque donc que, plus de 400 ans avant l’arrivée de l’islam, Tertullien admire l’usage de la burqa et qu’il souhaiterait même voir toutes les chrétiennes la porter !
Alors commençons par balayer devant notre porte. Si cette affaire de voile n’est pas coranique, on ne peut pas en dire autant de la Bible : Toute femme qui prie ou prophétise tête nue fait affront à son chef… Insupportable à nos oreilles, que faire de ces paroles bibliques sans renoncer à l’autorité des Ecritures ?
Je vous félicite de vous souvenir de moi en toute occasion, et de conserver les traditions telles que je vous les ai transmises. Paul n’est donc pas en train d’annoncer l’Evangile. La différence est grande avec le début de la lettre aux Corinthiens : « Je rends grâce à Dieu sans cesse à votre sujet pour la grâce de Dieu qui vous a été donnée dans le Christ Jésus » Ici Dieu lui-même donne sa Grâce par le Christ, là l’apôtre Paul transmet des traditions. Tout homme qui prie ou prophétise la tête couverte fait affront à son chef. Mais toute femme qui prie ou prophétise tête nue fait affront à son chef ; car c’est exactement comme si elle était rasée. Il est donc ici question de regard social : il est question de honte, de déshonneur, d’affront, de ce qui serait convenable ou au contraire choquant…
Je remarque que pour l’apôtre Paul, il est normal que les femmes dirigent la liturgie et qu’elles assument la prédication au même titre que les hommes : le culte n’est pas (pas encore) la propriété exclusive des mâles dominants ! La question consiste à trouver une tenue socialement appropriée pour ne choquer personne. Je pense ici à une jeune collègue pasteure qui prêchait en mini-jupe et qui avait des difficultés à capter l’attention de son auditoire…
v.7-10 « L’homme, lui, ne doit pas se voiler la tête : il est l’image et la gloire de Dieu ; mais la femme est la gloire de l’homme. Car ce n’est pas l’homme qui a été tiré de la femme, mais la femme de l’homme. Et l’homme n’a pas été créé pour la femme, mais la femme pour l’homme. Voilà pourquoi la femme doit porter sur la tête une marque d’autorité, à cause des anges. » Pas facile de justifier la tradition. Il reste à Paul l’argument d’autorité : c’est comme ça parce que c’est Dieu qui l’a voulu depuis la Création ! v.11-12 « Pourtant, la femme est inséparable de l’homme et l’homme de la femme, devant le Seigneur. » Et « pourtant », il y a un grain de sable : l’Evangile vient tout bousculer : Devant le Seigneur… En Christ : le registre n’est pas le même. Il y a d’un côté la tradition et de l’autre il y a ce qui se passe en Christ. Il y a d’un côté le fonctionnement social habituel et il y a de l’autre côté le fonctionnement dans la foi, voulu par Dieu, devant Dieu et en Christ… Et de ce côté-là, force est de constater qu’il n’est plus question de hiérarchie sociale : si la femme est tirée de l’homme, l’homme naît de la femme et tout vient de Dieu. — Voici cette fois l’os de mes os, la chair de ma chair, celle-ci on l’appellera femme car c’est de l’homme qu’elle a été prise. Aussi l’homme laisse-t-il son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et ils deviennent UNE SEULE CHAIR ! Voilà une belle manière d’interpréter l’expression « une seule chair » : aucune hiérarchie n’est possible dans une seule chair, entre soi et soi-même, os de mes os, chair de ma chair. Je ne peux pas être inférieur à moi-même. Et avec quelle conséquence ! Tous deux étaient nus (sans voile !), l’homme et la femme, sans se faire mutuellement honte. L’absence de hiérarchie enlève la honte, le déshonneur et l’humiliation ! Je ne sais pas si vous en mesurez le potentiel hautement subversif qu’il y a dans cette idée. Paul va résumer cela d’une phrase lumineuse qui marque la grande différence entre les traditions humaines construites autour des hiérarchies sociales, des questions d’honneur, de pouvoir, de préséance, de honte et de voile et l’Evangile de la Grâce qui fait vivre tous ceux qui sont en Christ… Gal 3, 28 : Il n’y a plus ni juif ni grec (plus de hiérarchie entre les identités ethniques) ni esclave ni homme libre (plus de hiérarchie économico-sociologique) ni homme ni femme (plus de hiérarchie entre les sexes) ; car tous vous n’êtes qu’un en Jésus-Christ. Une seule chair : le Corps du Christ.
Le v.13 nous fait revenir à notre question du burqini… : Jugez par vous-mêmes : est-il convenable qu’une femme prie Dieu sans être voilée ? L’Evangile ayant été posé (pas de hiérarchie pour ceux qui sont en Christ), Paul nous invite à revenir à notre discernement personnel : jugez-en vous-mêmes… A nous de nous faire notre opinion donc soit à partir de notre tradition (même si on peut le déplorer : les femmes sont moins payées que les hommes, elles n’ont pas accès aux mêmes responsabilités), soit à partir de l’Evangile. Jugez par vous-mêmes : est-il convenable qu’une femme porte la burqa ou aille se baigner en burqini ? Sur cette question qui se pose aujourd’hui et qui enflamme jusqu’à l’hystérie tous les réseaux sociaux, les politiques et les religieux, essayons d’y voir plus clair pour pouvoir en juger par nous-mêmes à partir de nos convictions et non à partir de nos traditions. Il y a, je crois, 4 possibilités :
- La burqa n’a pas été choisie mais imposée aux femmes par des hommes pour les opprimer et les maintenir dans un état de subordination. Elle doit donc être interdite, dans l’espace public comme dans l’espace privé : l’égalité homme-femme n’est pas du domaine du négociable. Tous les hommes naissent libres et égaux en droit fait écho à nos convictions chrétiennes. Au même titre que l’excision ou l’affibulation, ce traitement est un traitement inhumain et dégradant qui relève de la mutilation. Il doit donc être refusé sans discussion.
- La burqa (le burqini) est choisie et voulue par les femmes elles-mêmes. Il est particulièrement déstabilisant d’entendre une femme revendiquer le voile intégral. On aurait envie de leur offrir le « Traité de la servitude volontaire » écrit au XVIème siècle par La Boétie mais je refuse de juger un choix qui n’est pas le mien. Ce que nous pouvons dire en revanche c’est que l’espace public est par essence un espace partagé, un espace d’échange et de communication. Ce n’est pas un choix c’est une réalité. Or, comme l’a très bien démontré Elisabeth Badinter, la burqa est un vêtement conçu pour empêcher toute interaction, même d’un regard, même d’un sourire. En choisissant la burqa, une femme refuse l’idée même d’espace public : elle devrait donc accepter de rester chez elle.
- C’est un signe de pudeur. 3ème argument qui se veut protecteur des femmes qui refusent d’être agressées sexuellement ou tout simplement d’être considérées comme des objets de désir dès qu’elles pénètrent dans l’espace public. Il serait idiot de nier cette réalité et il est parfaitement compréhensible que les femmes souhaitent échapper aux prédateurs. Il faut aussi être très clair sur la réponse à apporter à cette problématique sérieuse : l’arsenal juridique est suffisant pour que les femmes puissent se défendre. Nous devons affirmer fortement qu’il est possible d’être en relation avec une personne sans avoir forcément envie d’avoir des relations sexuelles avec elle. Il faut rappeler également avec force que le désir est dans le regard des hommes concupiscents et non dans la tenue des femmes. Le problème est donc du côté des hommes et non de la responsabilité des femmes. En imposant la burqa ou le burqini aux femmes, on accepte l’idée abjecte de punir LA victime et de conforter LE coupable.
- C’est une question de conviction religieuse qui demande à être respectée et donc une question de respect de la laïcité. Je ne reviens pas sur ce que disait Tareq Obrou qui refuse de faire du Coran un code vestimentaire. Il faut rappeler à tous que la laïcité ne consiste pas à nettoyer l’espace public de toute manifestation religieuse. Seul l’Etat (et ses agents) a l’obligation de neutralité, pas les citoyens. La loi de 1905 affirme que le culte est une activité publique et la Charte européenne des droits fondamentaux explicite : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. » Si on accepte que le port du burqini relève de convictions religieuses, il ne peut donc pas être interdit dans l’espace public pour des raisons de laïcité. Il faut l’accepter comme tel.
Il n’y a plus qu’une solution : il nous faut entrer dans le débat de conviction à conviction. C’est exactement ce que Castellion reproche à Calvin à propos de la mise à mort de Michel Servet : « Si Servet t’avait combattu par les armes, tu aurais eu raison d’en appeler aux magistrats pour te défendre. Mais il te combattait par des écrits. Pourquoi, contre des écrits, as-tu fait donner le fer et les flammes ? Servet a combattu avec des arguments et des écrits, il fallait le combattre avec des arguments et des écrits. » (Sébastien Castellion, Contre le libelle de Calvin, 1555)
Il ne sert à rien de chercher à interdire par la force publique ni à faire taire ce qui nous dérange. Nous n’avons pas d’autre possibilité que d’essayer de convaincre et d’expliquer pourquoi nous refusons de faire ça à nos femmes, à nos filles, à nos sœurs et à nos mères. Cette affaire nous renvoie donc à nos propres convictions chrétiennes et nous invite à témoigner de ce que nous croyons. Allons-nous continuer à garder le silence ? Ou allons-nous accepter d’entrer dans un débat qui nous pousse à assumer nos propres convictions. Alors bien sûr si nous ne croyons en rien, il ne faut pas pleurnicher en reprochant aux autres de croire ce qu’ils croient : nous perdons toute crédibilité dans la discussion. Moi, je pense qu’il est temps de nous réveiller et d’assumer ce que nous croyons. Pour moi qui suis chrétien et qui le revendique haut et fort, aucune femme ne peut être mise sous cloche. Parce que, il n’y a plus ni juif, ni grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme, car tous nous sommes qu’un en Jésus Christ. C’est ce que je crois. Amen.
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