Et il leur dit : « C’est comme il a été écrit : le Christ souffrira et ressuscitera des morts le troisième jour, et on prêchera en son nom la conversion et le pardon des péchés à toutes les nations, à commencer par Jérusalem. C’est vous qui en êtes les témoins. Et moi, je vais envoyer sur vous ce que mon Père a promis. Pour vous, demeurez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez, d’en haut, revêtus de puissance. » Puis il les emmena jusque vers Béthanie et, levant les mains, il les bénit. Or, comme il les bénissait, il se sépara d’eux et fut emporté au ciel. Eux, après s’être prosternés devant lui, retournèrent à Jérusalem pleins de joie, et ils étaient sans cesse dans le temple à bénir Dieu. Luc 24, 46-53
Frères et sœurs, nous continuons vaillamment à commémorer l’Ascension, et sa place dans notre pratique en protestantisme ne tombe pas sous le sens alors tout d’abord bravo à vous d’être ici présent et de ne pas avoir profité de ce pont supplémentaire pour changer un peu d’air ! Cette fête passe pour une fête très mineure alors qu’elle est un évènement essentiel du cycle de Pâques. Elle est considérée par certains comme tardive dans l’histoire du christianisme en trouvant des premières mentions aux IIIe et IVe siècle, en termes de témoignage tardif on fait mieux dans le sens où c’est aussi à ce moment que la fête de noël se fixe, ce n’est donc pas vraiment un argument.
Alors pourquoi est-elle boudée ? Pour le théologien Laurent Gagnebin s’interrogeant de la même manière que nous, cette fête est mise sur le banc je cite : « pour son caractère hautement mythologique […] qui voudrait que Jésus soit monté au ciel comme une fusée1.». Il a probablement bien vu, cette fête peut être considérée comme fantaisiste et assez peu crédible au temps où la foi chrétienne doit répondre à la raison et à la science. Mais le problème n’est pas non plus vraiment là, ou bien plutôt il l’est sans l’être. La fête de l’Ascension est vectrice d’un message et de symboles de foi qui sont extrêmement précieux pour nous et comme bien souvent, sans investissement théologique ces symboles et enseignements se voilent et disparaissent dans le brouillard nous devenant insaisissable. Réinvestissons ce matin cette fête puisque c’est cette occasion qui nous réunit ce matin, entrons dans l’Evangile de l’Ascension, Laurent Gagnebin, Pour un christianisme en fêtes, Paris, Editions église réformée de la Bastille, bonne nouvelle renouvelée pour nous.
Le sens théologique de l’Ascension est un remède puissant contre la morosité, contre la peur et le pessimisme du monde ainsi que le nôtre. Il est une étape nécessaire et oubliée du salut, oubli qui laisse de graves conséquences dans notre tableau spirituel. Sans elle c’est un élément du paysage qui manque, absence à laquelle nous nous sommes bien habitués. Et pourtant nous devons tenir à cet élément, y tenir fermement car c’est cet élément qui tient ici-bas la promesse de salut. Et si nous devions renoncer à des choses en cette vie, Dieu fasse que nous ne renoncions pas au regard bienveillant de Dieu pour nos êtres et que sa présence qui était venue nous visiter en Jésus-Christ ne soit pas qu’un hôte de passage, vite passé, rapidement oublié, mais un compagnon de route constant et un éclaireur d’éternité. Et que nous nous souvenions qu’aussi
important que les articles de la foi commune comme : « Il s’est incarné », « il est mort et il a ressuscité », figure tout autant, ni plus, ni moins : « il est monté au ciel ». Mais qu’est ce que cela peut bien nous faire qu’Il soit monté au ciel ?
Cela nous concerne, sinon cela ne nous aurait pas été communiqué et nous poser cette question témoigne bien de notre distance avec cet évènement.
Par l’Ascension le ciel ne nous est désormais plus étranger. Même si par les fatigues quotidiennes il nous paraît bien loin ou au contraire pèse même sur nos âmes, par l’Ascension le ciel devient lui-même notre demeure et signe symbolique de notre propre éternité partagée. Il est question ce matin d’une union et d’une réconciliation inédite qui peut peut-être mieux passer par le langage symbolique. Dans beaucoup de religions et de nos vieilles croyances qui structurent toujours notre pensée Dieu vient du ciel et y reste. Et nous tombe dessus la foudre et la grêle, l’humanité semble souffrir de la gravité et de l’apesanteur. De cette force inexorable qui tire vers le bas, force inexorable dont Dieu est exempté. Depuis la plus haute antiquité l’homme cherche à s’en affranchir et à partager cette légèreté, cette liberté divine et nous avons des
témoignages mésopotamiens et égyptiens de personnes s’envolant dans leurs rêves durant leur sommeil. Peut-être qu’ici certains de nous rêvent aussi parfois de s’envoler et de s’émanciper d’une pesante gravité. Nous connaissons aussi bien la légende d’Icare, coincé dans un labyrinthe que son père Dédale avait pensé, image, symbole de nos sociétés, afin de s’en échapper ayant perdu l’issue, ils se fabriquèrent des ailes afin de sortir par le haut. Ils s’envolent et Icare ivre de légèreté s’est trop approché du soleil ses ailes enduites de cire fondirent et vous connaissez la fin.
Aujourd’hui à l’heure où je vous parle l’homme le plus riche du monde dépense des milliards de dollars pour coloniser Mars et nous sommes au quotidien dans la pesanteur du monde à rarement pouvoir lever les yeux vers ce ciel nous paraissant si étranger.
Dans l’Ascension ce qui nous est révélé c’est que les cieux ne sont pas à coloniser et notre terre n’est pas à fuir. Ce qui nous est révélé c’est que notre vie n’est pas inévitablement soumise à une pesanteur fatale mais que des cieux nous est promis l’amitié et la vie renouvelée de la part de Dieu. L’Ascension brise les simples et funestes logiques d’un monde horizontal, dédale sans issu qui contiendrait des individus étrangers les uns aux autres et qui pour s’en sortir et pour s’approcher d’un ciel rêvé devrait se hisser sur son prochain rapproché plus bas que terre dans le seul but de gagner quelques centimètres afin d’apercevoir un peu mieux ce qui nous surplombe et ainsi forcer le ciel et faire son salut à bout de bras comme il nous est raconté dans les pages du vieux livre, à Babel, ce qui ne plut pas à Dieu.
Le salut devait venir de lui, les cieux se sont faits proches et nous ne sommes plus dans la mythologie. Nous devons mettre dans nos vies, dans nos vies spirituelles cette perspective qui donne la mesure du royaume. Nous devons mettre un peu des cieux dans nos vies et nous prendrons mesure de cet article de la foi « il est monté au ciel ». Il n’est pas monté au ciel pour lui-même, comme une retraite bien méritée après un séjour sur terre épuisant, comme nous pourrions bien le justifier d’ailleurs d’une vie terrestre très pénible et de la perception des cieux comme récompense d’une vie de souffrance, il n’y a pas que ça. Christ est monté aux cieux pour nous et pour la transfiguration de nos vies ici-bas.
De vieux textes disent que les chrétiens ont les cieux pour patrie. Oui, mais ils ne sont pas binationaux, de nationalité terrestre en cette vie et céleste après la mort. Non les chrétiens sont du ciel tout en étant sur terre, et c’est ici que ça devient intéressant. C’est le ciel qui féconde notre vie, libérée de la pesanteur du désespoir, accompagnée de la grâce qui n’est qu’un aperçu du royaume. L’Ascension c’est une précieuse valorisation de l’humanité car le Christ incarné à Noël ne se désincarne pas à l’Ascension il monte aux cieux toujours aussi homme et nous avec lui, reconnus dignes en notre humanité pour qu’il n’ait pas à rougir d’accéder lui-même aux cieux en son humanité. L’humain a désormais l’assurance d’un ami là-haut dans la bénédiction de Christ qui est élevé et dans cette bénédiction sa place pleine et entière dans l’univers, terre et cieux
confondues. La grâce, regard bienveillant de Dieu pour nos vies est descendue vers nous et donne vie à ce qui en nos cœurs était mort, il vient sauver, il vient restaurer, il vient bénir et soigner. En l’Ascension c’est cette dernière étape où l’humanité entière est redressée et rendue digne de se tenir debout la tête dans les étoiles la grâce au cœur. Des théologiens anciens y croyaient, ce n’est pas une invention et perception moderne idéaliste et naïve que je vous chante. Un théologien européen du XIIIe siècle, Albert le grand écrivait sur les minéraux et regardant des pierres disait en pensant aux effets de ce mouvement de l’incarnation et de l’Ascension sur notre monde : « Les maîtres disent que les étoiles versent toute leur puissance dans le fond de la terre, dans la nature et dans l’élément de la terre et produisent là l’or le plus pur. Dans la mesure où l’âme parvient dans le fond et le plus intérieur de son être, dans cette même mesure la puissance divine se répand absolument en elle, elle y opère très secrètement et manifeste de très grandes œuvres, l’âme devient ainsi très grande, élevée dans l’amour de Dieu qui est semblable à l’or pur². » Fin de citation. Voici une belle manière de dire comment en Christ, Dieu nous élève vers lui pour notre félicité présente et non pas à venir. Cela n’a pas manqué tant la joie des témoins de l’Evangile nous est racontée : « ils retournèrent à Jérusalem pleins de joie3. »
Cette bénédiction c’est le sous-titre théologique de cette fête, contenu théologique qui nous est tout autant transmis dans l’épitre aux hébreux et dans le livre des actes. Mon frère ma sœur, dans cette fête il est donné à l’humain d’hériter du ciel et les arrhes de son héritage nous sont données maintenant pourvu que nous nous en saisissions. C’est lui qui s’est approché de nous à Noël par la venue du Fils de Dieu et c’est nous qui nous approchons de lui dans l’Ascension du Fils de l’Homme.
Qu’en cette Ascension le Seigneur nous donne de lever les yeux vers ce ciel signe et sacrement de sa Grâce, notre patrimoine éternel reçu en partage, Amen.
1 Laurent Gagnebin, Pour un christianisme en fêtes, Paris, Editions église réformée de la Bastille, 1996, p.73.
2 Albert le Grand, Mineralium, I, tr.1 c.8, et III, tr.1 c.7 et c.10, Paris, Vivès, t.V, 1890, p.11,68, 72.
3 Luc 24, 52.
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