Quelqu’un de cette assemblée m’a un jour reproché mon irénisme en chaire. Reproche fait et reçu évidemment dans la bonne humeur, pardonnez ma jeunesse qui peut parfois me pousser à un certain idéalisme. Je prends acte et tâcherai ce matin de parler d’amour et de paix les deux pieds ancrés dans la réalité concrète de notre monde ! L’amour et la paix face à Dieu, ce sont bien deux piliers fondamentaux qui structurent notre court mais intense évangile de ce matin. Resituons un peu cet extrait dans le récit de Marc, nous arrivons au bout d’âpres discussions, comme un déferlement de questions difficiles à Jésus, semblerait-il pour l’éprouver, ce sont les élites intellectuelles juives de différentes écoles qui se succèdent et leur pose chacune on pourrait dire la question la plus difficile propre à leur domaine. Tout d’abord les pharisiens et les hérodiens, groupe qui était mû par des questions de conduite morale et aussi de lien avec les autorités politiques qui l’interrogent à propos de l’impôt dû à césar, question relative à la soumission à l’occupant romain sur le territoire, viennent ensuite les sadducéens, groupe mobilisé sur la réflexion à propos de la résurrection des morts. Pour terminer le tout, l’assemblée témoin, impressionnée ne cachant pas une certaine fascination, un scribe vient l’interroger.
Et c’est ici que commence notre extrait, c’est ce dialogue et cette rencontre que celui-ci nous rapporte. Alors qu’est-ce qui se joue de vraiment profond dans cette rencontre. A la vérité pourquoi cette question ? Avant d’y répondre je vous propose de cheminer de manière un peu détournée, avant de nous demander pourquoi cette question je vous propose de vous demander : qui pose cette question. Il nous est dit que c’est un scribe. Quand nous pensons scribe nous avons peut-être l’image de cette statuette égyptienne assise en tailleur écrivant avec un roseau sur du papyrus, ce n’est pas très loin mais ce n’est pas exactement ça. Du temps de Jésus le scribe était une classe de religieux lettrés, très lettrés. Le scribe était le spécialiste de la loi par excellence. C’est celui qui était versé à tel point dans l’Ecriture Sainte, Torah, prophètes, écrits et psaumes, qu’ils étaient référence absolue pour les questions qui se rapportaient à l’étude du texte et les questions doctrinales qui s’en rapportaient.
Le scribe est le spécialiste de l’écriture et de la lecture, en grec c’est « grammateus », terme qui a donné notre grammaire en français. Spécialiste de la loi de moïse ils siégeaient au Sanhedrin avec les anciens et les grands prêtres afin de présider aux questions législatives du peuple juif. Ceci étant dit je nous invite maintenant à changer de lunettes. Très souvent, trop souvent, les récits évangéliques nous montrent des oppositions frontales et polémiques entre scribes, pharisiens e t Jésus. Les deux premiers étant présentés comme arborant la lettre qui tue : textes et prescriptions légalistes et mortifères contre Jésus, lui-même représenté comme héraut de l’Esprit qui donne la vie. Ce n’est pas faux quand nous lisons bien les textes, mais ce n’est aussi pas complètement vrai et c’est surtout très réducteur.
De cette tradition de lecture dont un certain protestantisme a fait son beur nous devons peut-être prendre un peu de distance. Combien de fois-n’ai-je pas entendu quelqu’un se faire qualifier de pharisien, ou bien lisant sous la plume de pourtant bons auteurs le « pharisaïsme attitude si contraire à l’esprit de Jésus », les pharisiens et autres classes de spécialistes au sein du judaïsme apparaissant comme les nouveaux sophistes des évangiles, de nouveaux sophistes reproduisant le crime antique d’avoir tué Socrate et menant ici à la condamnation de Jésus. En réalité la situation est plus complexe. Il faut nos lunettes celles avec lesquelles nous envisagions le judaïsme conduit exclusivement par l’attachement à un légalisme pointilleux.
Je me souviens d’avoir il y a un petit temps visité la grande synagogue de Paris, la synagogue des Victoires, qui n’est pas bien loin d’ici quand on continue sur les grands boulevards. En entrant nous voyons inscrit au fond, au-dessus de la Torah, la partie de ce premier commandement, concernant Dieu. Et en sortant, au-dessus de la grande porte la deuxième partie du commandement concernant l’homme, l’aire de signifier : tu es ici assis pour servir le seigneur le temps du culte, tu quittes la synagogue, voici la deuxième partie du commandement qui te concerne désormais. Non heureusement le chrétien n’a pas le monopole de l’amour du prochain.
Il y aussi certains éléments qui nous échappent nous ne savons pas à quelle classe du judaïsme ancien Jésus appartenait. Peut-être était-il essénien, pratiquant une forme de judaïsme ascétique, peut-être même était-il pharisien lui-même. Nous ne le saurons pas tout de suite. Mais ce n’est pas le plus important. Prenons de la distance vis-à-vis de ces traditions de lecture qui dans l’histoire ont fait bien plus de mal que de bien et revenons avertis à notre texte : Ici nous n’avons pas une polémique, dans ce dialogue entre un scribe, un parmi les autres nous est-il dit, et jésus, il n’y a pas un combat d’idée il n’y en a pas un qui aura raison sur l’autre et fera la démonstration pour l’un de sa grande maitrise du sujet et pour l’autre de son ignorance, non, il y a un chemin fait ensemble et culminera dans cette constatation de Jésus que ce scribe, scribe parmi les autres, s’est approché du royaume de Dieu. Cette coopération n’a pas culminé parce que le Scribe aurait reconnu Jésus comme son maître et Seigneur, mais bien parce que dans une simple, profonde et efficace discussion il a compris en lui-même et témoigné spontanément de l’essence et du but ultime de la Loi, cette loi qu’il a tant étudiée, cette loi pour laquelle il consacra sa vie à l’étude et à la réflexion. Il comprit ainsi son essence et son noyau central : l’injonction à aimer Dieu et son prochain comme soi-même.
Ici la loi n’est pas abolie, elle trouve cependant une dimension d’une profondeur jusque-là inouïe, dans le dialogue avec Jésus elle trouve désormais sa dimension humaine, elle occupe désormais l’espace du monde. Et cet espace du monde, la loi en vue de l’humanité par amour partagée à Dieu, au prochain et à soi-même, cela donne la proximité et l’aperçu du royaume de Dieu. C’est aussi simple que ça. On demande à Jésus le premier commandement, le premier par-dessus tous les autres, jésus réponds qu’il y en a deux indissociables, l’un n’allant pas sans l’autre. On demande à Jésus l’un il nous répond en trois dimensions avec toujours
le royaume en vue. Et ça c’est déjà fantastique, c’est bien le témoignage que le commandement d’amour devait être la loi, la loi principale et que celle-ci ne se contentait pas d’être un décret. C’est une ambivalence et en même temps un paradoxe. C’est la première de toutes les lois mais si elle ne rencontre le cœur humain, celle-ci meurt. Tout comme si elle reste dans une relation duelle d’homme à homme sans Dieu elle n’aura pas d’avenir. On demande à Jésus d’exprimer l’un au-dessus de tous, Jésus montre l’ensemble de Dieu, du monde et du prochain. Il me montre cette terre et dans cette terre il donne à voir le royaume de Dieu. Bien comme dans nos vies, l’amour, la vie conduite par l’amour, la vie mise au service du prochain dans une paix active, cela ne peut pas s’exprimer par un seul commandement mais bien par une vie fécondée par ce commandement. Nous l’avons peut-être aujourd’hui un peu trop pensé ce commandement, nous lui avons peut-être fait un peu quitter terre alors que c’est à nous qu’il était adressé, c’est Dieu qui dit ; « Ecoute », à l’ouverture de ce commandement. C’est un impératif. Alors qu’avons-nous pu faire de ce premier et plus grand commandement. N’y aurait-il pas un fil de la Paix qui aurait existé du commencement de l’histoire du salut jusqu’à nos jours et que nous aurions bien trop souvent perdu de vue ? Et oscillant sans cesse dans notre histoire humaine entre amour et haine, paix et guerre…
Le commandement est ancien, il aurait été donné au désert quand le peuple était perdu et désespéré. Entrant en terre promise ils massacrèrent des dizaines de milliers d’habitants qui occupaient déjà la terre. Ce commandement a été soumis plus tard à l’appréciation de Jésus qui lui a donné sa valeur en tant que clef du Royaume. Les pères de l’église ont ensuite le long du christianisme se construisant écrit d’une main des commentaires de cette loi qui comptent parmi les plus belles pages de littérature spirituelle qui soient, et de l’autre main procédée à l’anathémisation des chrétiens qui soutenaient des points de vue différents vis-à-vis du mystère chrétien. Plus tard les réformateurs, mus par le désir de revenir à un culte sincère envers Dieu et une posture chrétienne envers son prochain provoquèrent les grands mouvements réformateurs du XVIe siècle, une bouffée d’air entrait dans la chrétienté occidentale mais provoquaient en même temps des guerres qui durèrent plus d’un siècle. Et aujourd’hui des instances comme l’ONU tentent de se faire entendre par amour pour l’humanité mais se confrontent à une surdité quasi générale…
Mon frère, ma sœur, devant cet exposé je dois confesser parfois un certain désespoir. Nous connaissons l’état de notre monde. Et pourtant. Pourtant je ne peux me résoudre, dans la prière et la méditation, à perdre cet espoir que partout où l’entreprise de paix est envisagée, là point le royaume. Partout où une vie fait face à son Dieu par amour et amour du prochain, là point le royaume. Partout où quelqu’un conduira sa vie vers une recherche de paix active pour soi et pour la société, là point le royaume.
Mon frère, ma sœur, là où Dieu nous donne un commandement et à plus forte raison quand ce
commandement nous est montré par Jésus lui-même comme le premier de tous, il ne faut pas douter que nous aurons son assistance et que dans son évangile il ne nous commande rien qui ne nous soit impossible. Souvenons-nous encore que son évangile n’est pas condamnation mais bonne nouvelle. Alors dans la reconnaissance prenons conscience que si nous laissons nos vies être fécondées à nouveau par ce commandement d’amour, nos cœurs, restaurés par son Esprit, pourront continuer à battre dans l’amour du monde et nos pieds pourront de nouveau cheminer sur ce chemin de paix, jadis perdu, sans cesse retracé pour nous.
Amen.
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