Chronique de l’Église universelle (n°2) – Oct. 2023

J’ai demandé à la pasteure Anne-Laure Danet, chargée des relations œcuméniques pour la Fédération protestante de France, de nous donner des échos du synode romain sur la ‘synodalité’, car il s’agit d’un moment important pour l’Église catholique romaine qui connait en son sein de multiples tensions. C’est une première étape qui se vit actuellement, à huit clos et qui devrait se poursuivre en 2024. Anne-Laure nous avait parlé de la rencontre guidée par la Communauté de Taizé et qui précéderait l’ouverture du synode, quand elle est venue animer un culte en janvier dernier au Temple du Saint-Esprit. Elle nous a donné cet article qui paraitra dans « le monde des religions » ; je l’en remercie.
JAC

Au moment où l’Assemblée des évêques catholiques s’apprête à entrer en synode sur le sujet précisément de la synodalité, il faut se souvenir de tout le chemin de préparation qui fait partie de la démarche synodale et qui a impliqué tous les diocèses donnant lieu à des synthèses nationales, continentales et finalement une synthèse globale.

Dès le départ, avec les premiers documents préparatoires, la dimension œcuménique est incluse dans la démarche.  C’est dans ce cadre que j’ai eu la joie de participer comme pasteure, responsable des relations œcuméniques à la Fédération protestante de France, à des tables rondes, des conférences, etc. sur le sujet de la synodalité.

La démarche ne peut que réjouir les autres confessions chrétiennes parce qu’elle les concerne aussi. Chaque confession chrétienne vit une forme de synodalité mais chacune à sa manière. Et dans cette perspective, nous pouvons nous enrichir mutuellement. En travaillant ce sujet, l’Eglise catholique interroge indirectement les autres confessions sur leur vécu synodal, et celui-ci est toujours à « réformer » pour vivre, dans un discernement permanent, la fidélité à l’Evangile. Par ailleurs, être en synode n’est pas seulement un moment mais un état d’esprit, une démarche qui signifie cheminer ensemble. Comme le rappelle Frère Aloïs, prieur de la communauté de Taizé « c’est seulement ensemble que nous pouvons suivre le Christ dans la diversité ».

Le protestantisme a un fonctionnement synodal depuis ses origines. Pourtant les protestants ne s’intéressent pas directement au sujet, mettant l’accent non sur l’Eglise mais sur l’Evangile qui se situe au cœur de leur foi et de leur vie, ils sont cependant attachés à ce fonctionnement synodal parce que c’est la manière dont s’y exerce l’autorité. Et c’est bien là tout l’enjeu du synode catholique. Comment passer d’une logique verticale à une logique collégiale sans toucher, semble-t-il, à la compréhension de l’Eglise et des ministères, car il ne s’agit pas comme l’a souligné le pape François, de devenir une Eglise protestante ? Toute réforme implique des changements qui ne concernent pas seulement le fonctionnement institutionnel mais l’Eglise elle-même à la fois dans son bene et son bene esse. Dans cette volonté de décléricalisation de l’Eglise dont la synthèse générale s’est faite l’écho, donner aux conseils épiscopaux et aux conseils paroissiaux un pouvoir décisionnel et pas seulement consultatif serait déjà un pas décisif, et plus largement donner une place à chaque baptisé -hommes et femmes- pour faire vivre une autorité plurielle qui renvoie à la seule autorité de Christ, serait aussi un signal fort. C’est sans doute d’ailleurs un des meilleurs garde-fous contre toute dérive autoritaire et, plus profondément n’est-ce pas désacraliser l’image du prêtre et même de l’institution ?  Le changement est d’autant plus important dans la société dans laquelle nous vivons parce qu’elle fonctionne de plus en plus en réseaux et en interdépendance sous de multiples formes tout en valorisant l’autonomie de l’individu, sa liberté de conscience et d’adhésion. Du coup la question est aussi, non pas de se conformer au monde, mais de faire entendre une parole compréhensible et crédible. Dans cette perspective, c’est aussi la mission et l’évangélisation qui sont en jeu.

C’est bien ce qui guide la compréhension synodale des protestants, l’essentiel étant la proclamation de cette parole de salut en Jésus Christ, à travers la prédication et les sacrements. C’est le ministère de toute l’Eglise, chacun par son baptême devient prêtre non seulement pour lui mais pour tous les autres, appelés à témoigner de l’Evangile. Ce sacerdoce universel n’empêche pas des fonctions spécifiques, des « ministères spécialisés » de pasteurs, de docteurs, de diacres, etc. mais cette compréhension de l’Eglise implique un mode de gouvernance collégiale qui engage l’ensemble des fidèles. La conception de l’autorité n’y est pas à sens unique du haut vers le bas mais les deux organes (paroisse-synode) renvoient à la seule autorité de Dieu. Le protestantisme n’entend pas supprimer le pouvoir ecclésial mais le soumettre à des principes et des contrôles (il est toujours collégial jamais solitaire, la durée des mandats est limitée, etc.). Le principe est que le pouvoir n’a de légitimité qu’à la condition qu’il soit réglementé, provisoire et qu’il puisse être sanctionné. Et puisque le gouvernement n’est pas l’affaire des seuls ministres, la participation des uns et des autres (ministres ou non) est de même nature.

L’autorité est donc une autorité partagée où il y a une circularité incessante. Celle-ci repose en fait sur le principe de subsidiarité. Ce système cherche d’une part à être au service du plus petit (chacun peut s’exprimer, prendre part au vote, assumer sa responsabilité) et d’autre part il signifie que la foi est d’abord une affaire individuelle (Dieu rencontre une personne, pas une masse humaine, pas une institution, etc.).

C’est donc une culture du débat qui a été développée et qui a la particularité en protestantisme d’être toujours poly-centré. On accepte qu’il y ait plusieurs options, il n’y a pas de dernier mot. La démarche dans les débats n’est pas une addition d’opinions individuelles mais le fruit d’un discernement communautaire de la volonté de Dieu. C’est pourquoi la liberté de conscience est si importante : le délégué peut changer d’avis au cours des débats et voter autrement qu’à partir de l’avis qu’il avait en arrivant au synode rempli du travail local et régional.

La dimension œcuménique revêt toute son importance non pour nous imiter les uns les autres, chaque confession a sa logique et sa cohérence internes mais la force du mouvement œcuménique est de nous soutenir les uns les autres, de nous interpeller pour continuer à  cheminer non pas les uns à côté des autres mais les uns avec les autres dans une société sécularisée où il importe de faire entendre ensemble et de témoigner ensemble de cette parole libératrice et réconciliatrice en Jésus Christ, à nos contemporains. Ce cheminement commun est aussi un chemin de conversion. Replacés devant l’essentiel, nous sommes sans cesse appelés à regarder ensemble, et pas seulement chacun à notre manière, à Jésus Christ. C’est pourquoi l’initiative des frères de la communauté de Taizé d’un rassemblement du peuple de Dieu, « Together », le 30 septembre à Rome pour une veillée de prière œcuménique à l’occasion de ce synode des évêques est un signe concret et fondamental de l’engagement des autres Eglises aux côtés de l’Eglise catholique et avec elle.
Pasteure Anne-Laure Danet

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