Chronique de l’Eglise Universelle – Mars 2023
Les dix ans de l’institut « Al-Mowafaqa ».
En faisant le tour de l’actualité œcuménique, j’ai trouvé dans le journal La Croix cet article évoquant le rôle de l’institut « Al-Mowafaqa » créé il y a dix ans par le pasteur Samuel Amédro et l’archevêque de Rabat, Vincent Landel. Mais au-delà d’un intérêt « amical », il me semblait que la dimension œcuménique et internationale de cet institut méritait notre attention. L’un des rêves des fondateurs était qu’il puisse recevoir des pasteurs et des prêtres français, venant se former à la connaissance de l’Islam et au dialogue interreligieux. A ma connaissance ce rêve ne s’est pas réalisé. D’autres étudiants, subsahariens, en ont en revanche compris l’intérêt.
JAC
« L’institut Al-Mowafaqa a participé à l’accompagnement des chrétiens subsahariens au Maroc »
Entretien (recueilli par Marguerite de Lasa, pour La Croix, le 17 mars.
Au Maroc, l’Institut œcuménique de théologie Al-Mowafaqa, créé en 2012, fête ses dix ans ces jeudi 16 et vendredi 17 mars, avec un colloque sur les minorités religieuses. Sophie Bava, socio-anthropologue, retrace la genèse de cette institution unique, étroitement liée à l’émergence du christianisme né des migrations subsahariennes au Maroc.
« Ce christianisme qui vient des pays du Sud va redynamiser un christianisme colonial en déclin après les indépendances », selon Sophie Bava.
La Croix : Depuis plusieurs décennies, les Églises du Maroc sont revitalisées par l’accueil de fidèles subsahariens. Quels sont leurs profils ?
Sophie Bava : Certains sont des étudiants qui choisissent de venir au Maroc effectuer une partie de leur cursus, d’autres sont des migrants en route vers l’Europe. Ces migrations subsahariennes se sont accrues à partir des années 1980, poussées par la politique migratoire de Schengen : l’externalisation des frontières de l’Union européenne les incite à s’installer plus durablement dans les pays du Maghreb. Petit à petit, les pays de transit deviennent des pays d’installation, de l’Égypte jusqu’au Maroc.
Dans ce contexte-là, les Églises catholiques et protestantes se repeuplent. De petites églises de maison voient le jour, qui permettent aux migrants de garder la dénomination de leur pays d’origine, souvent pentecôtiste ou néo-évangélique. La naissance de ces communautés domestiques s’explique aussi par le fait que les quartiers où les migrants s’installent sont souvent loin des centres-villes où se trouvent les églises historiques. Ce christianisme qui vient des pays du Sud va redynamiser un christianisme colonial en déclin après les indépendances.
Comment son apparition a-t-elle suscité la création de l’Institut œcuménique Al-Mowafaqa il y a dix ans ?
S. B. : Autour des années 2010, le pasteur Samuel Amédro, responsable de l’Église évangélique au Maroc, et Mgr Vincent Landel, archevêque de Rabat, ont perçu le potentiel de cette dynamique venue des pays du Sud, mais aussi ses risques de tensions. Ces églises de maison pouvaient prendre une tournure anti-islam, mercenaire, voire guerrière. Les deux responsables ont donc décidé de créer un lieu de formation pour former et encadrer ce christianisme naissant et informel, avec l’accord du gouvernement.
Des partenariats ont été créés avec la faculté de théologie protestante de l’université de Strasbourg et l’Institut catholique de Paris, qui délivrent les diplômes. Par contre, dans ce pays musulman où la liberté religieuse n’est pas garantie, l’institut ne peut pas faire de prosélytisme, ni former des chrétiens marocains. Il ne peut donner de cours qu’à des chrétiens étrangers.
Pourquoi cet institut a-t-il été pensé comme œcuménique ?
S. B. : Samuel Amédro pensait à l’époque que si l’institut se basait sur le protestantisme – ce qui aurait été logique puisqu’avec les migrations, cette confession devenait majoritaire parmi les chrétiens –, il n’aurait pas d’assise officielle, assise dont disposait le catholicisme. Protestants et catholiques ont donc décidé de créer cet institut ensemble. Un ou deux ans après, de nombreux acteurs engagés dans le dialogue islamo-chrétien les ont rejoints. L’idée, c’est que les étudiants soient formés à la théologie catholique et protestante, mais aussi à l’islamologie, et ceci à travers l’apprentissage de trois langues : l’arabe, le grec et l’hébreu. La formation est complétée par des cours en sciences humaines, en anthropologie, en sociologie des religions, etc.
Le modèle de cet institut de théologie œcuménique dans un pays musulman est unique au monde. Ses professeurs viennent des plus grandes universités européennes, et les cours sont donnés en duo catholique et protestant. Cette forme d’œcuménisme, au début, n’allait pas de soi. Certains professeurs me racontaient qu’il leur arrivait de se disputer lors de leurs premières séances, parce qu’ils n’avaient pas la même lecture des textes.
Quel rôle joue l’institut Al-Mowafaqa dans la cohabitation de ces communautés chrétiennes avec leur environnement musulman ?
S. B. : Samuel Amédro et Bernard Coyault, directeur à l’époque, voulaient que l’institut profite aux pasteurs des églises de maison, qui se forment un peu sur le tas. Au sein d’un programme qui leur dispense une formation une fois par mois, ces pasteurs ont donc appris à encadrer leur communauté avec la spécificité de leur dénomination et de leur langue. Cela a participé à leur intégration, parce qu’en se formant à la théologie, on apprend la tolérance. Les pasteurs formés au sein de l’institut organisent d’ailleurs à leur tour des séminaires de formation dans les quartiers de migrations.
Pour ces communautés qui peuvent être en proie à des tensions dues à la souffrance, à la précarité et à l’absence de papiers, ils deviennent des personnes-ressources. Ici, la formation en théologie a une fonction d’apaisement.