Sept défis capitaux – Eglise et culture web

Les sept défis capitaux de la culture web pour les communautés ecclésiales

1. La gratuité

Au commencement était la gratuité. C’est la valeur de base sur internet qui, bien que encore très présente, tend à s’amenuiser avec le temps, au fur et à mesure que le marché se saisit d’internet parfois en conservant de façade l’apparence de la gratuité originelle mais à l’aide de la publicité, transformant ainsi celui qui se croit le consommateur en produit. Pour les églises sur le web, le défi de la gratuité se pose dans la nécessité de se déprendre de la culture de l’efficacité. On pourrait transformer ainsi la citation de l’Ecclésiaste (11,1) : « Jette ton pain à la surface du web ». C’est même sur ce point très précis que se distinguent évangélisation et prosélytisme : sur l’abandon de la prétention à mesurer les résultats. Internet est donc un outil particulièrement adapté à la conception réformée du témoignage qui n’est authentique que dans la gratuité, dans ce qui est donné sans réciprocité exigée, et qui respecte par là-même la liberté de celles et ceux qui le reçoivent. Ce que fait l’Église sur le web ne peut être que gratuit.

2. Le partage

Internet est d’abord un lieu d’échange et ceux qui prennent sans donner sont très mal vus. Même les technologies pour le téléchargement illégal étaient fondées sur le principe que, une fois le fichier téléchargé, il devenait à son tour disponible sur notre ordinateur pour d’autres souhaitant le télécharger à leur tour. Notre vitesse de téléchargement était conditionnée au nombre de fichiers que nous rendions ainsi disponibles. C’est cette valeur qui fait d’internet un lieu de viralité exceptionnelle. En fait, l’écho d’un propos déposé sur le web se mesure concrètement au nombre de partages, c’est à dire au nombre de personnes qui le reprennent à leur compte et le diffusent. Or on partage ce qui nous touche, ce qui nous semble particulièrement pertinent et vrai. Le reste tombe dans le silence. Ainsi ce principe structurant de la diffusion des idées sur le web pourrait et devrait susciter une véritable collaboration des églises entr’elles pour amplifier une diffusion du message de l’Évangile au-delà des frontières et des limites habituelles.

3. La culture « fun–cool »

Sur internet on ne se prend pas trop au sérieux. Surtout, il y a une impression d’absence de gravité accentuée par la multiplicité des propositions alternatives. Nos Églises ont une certaine habitude du « bricolage » et sur le web, nul besoin de disposer de moyens financiers, techniques et humains démesurés pour s’autoriser à produire ses propres contenus. La créativité, l’humour et une liberté de ton viennent compenser cela et les internautes le reconnaissent immédiatement. La proximité ressentie provoque la sympathie d’un public surpris que les Églises osent entrer dans cette culture-là et de cette manière-là. La désacralisation de la Parole que nous partageons sur le web la rend d’autant plus accessible, plus audible, plus vulnérable et donc plus personnelle. La perte du solennel se trouve compensée par la bienveillance de l’écoute partagée.

4. La culture du participatif et du collaboratif

On dit parfois que l’imprimerie a fait des masses des lecteurs. Internet a fait des masses d’auteurs. Sur internet, les usagers sont invité à participer. Il faut accepter que ceux qui regardent, écoutent et lisent ce que vous faites s’en saisissent pour, peut-être, le détourner. Il ne faut pas chercher à stopper ou même contrôler cette création spontanée mais au contraire la stimuler. Cet aspect de la culture web représente un véritable challenge pour les Églises, davantage habituées à confier ce travail aux prêtres ou pasteurs. Le message diffusé sera d’autant plus entendu que celui qui parle sollicite l’avis et les réactions de chacun, non pas sur le mode traditionnel enseignant/enseigné mais en cherchant à impliquer l’autre personnellement. Ce primat de l’écoute réciproque transforme de manière importante la forme et le contenu d’une prédication conçue pour le web : celle-ci ne peut plus se contenter d’être une parole déversée ex cathedra. Elle se doit d’être une Parole co-construite, ne serait-ce que par son écoute attentive de ce que les internautes partagent. Alors quelque chose de l’altérité de la Parole de Dieu peut être reçu… tout simplement parce que ce n’est plus perçu comme une prise de pouvoir de la part des clercs. Inévitablement, cette parole pourra être discutée voire contestée. Elle perd de son prestige, elle s’incarne en descendant de la chaire, elle assume sa vulnérabilité et par-là même acquiert sa véritable autorité.

5) La proximité

Les contenus les plus en vogue sur internet ne sont pas ceux les plus soignés mais ceux à l’égard desquels il existe un vrai sentiment de proximité. Cela repose aux églises la question de leur rapport au monde. Quelle parole portent-elles sur le web qui ne soit ni dans une posture de dénonciation/jugement (on mesure l’incohérence de celui qui cracherait sur une culture tout en utilisant ses outils) ni dans une position d’asservissement/soumission (en hurlant avec les loups pour finalement ne dire que ce que tout le monde dit déjà) ? L’Église doit arriver à une liberté sans éloignement ou, formulé à l’inverse, à une proximité qui ne soit pas enfermante. Il s’agit d’oser une parole qui rejoint nos contemporains dans leur intimité. N’est-ce pas le défi de l’Évangile que de prendre soin du « prochain » sans se limiter aux seuls membres de la communauté ? Nous touchons là au cœur de la tradition réformée : donner corps à ce vieux rêve d’une Église multitudiniste qui ne connaît pas ses frontières, d’une communauté qui ne se voit pas forcément mais qui existe réellement sans jamais posséder ses membres. L’Église sur le net n’est pas purement virtuelle : elle existe autant que celle qui se rassemble le dimanche matin. L’enjeu consiste à faire corps entre celles et ceux qui sont physiquement présents et celles et ceux qui le sont par écran interposé. La distance géographique n’empêche pas la proximité spirituelle et le fait de ne pas pouvoir se toucher n’interdit pas un partage fraternel, réel et personnel.

6) La liberté

Si aujourd’hui c’est cool d’être geek, pendant longtemps c’était le club des losers. Ce terreau, idéal pour une culture antisystème, ouvre désormais un boulevard à ceux qui se sentent écartés du jeu médiatique, quelles qu’en soient raisons. Cette liberté supposée du net, qui s’insurge immédiatement contre toute velléité de régulation, demande à être questionnée. Le net est le lieu où se développent sans entrave le commerce le plus cynique et les pulsions les plus sordides aux côtés des projets les plus généreux. Ainsi, la proximité créée par le web ne doit pas nous faire abandonner notre capacité de discernement (Rm 12,2). Il n’y a aucune liberté dans ce média, tout simplement parce qu’il n’est rien d’autre qu’un canal transportant des données. Serait-il possible de « sanctifier » cet outil ? C’est-à-dire le remettre entre les mains de Dieu, le détourner de son usage normal pour que Dieu l’utilise selon son projet et pour sa Gloire. Et le projet de Dieu ne peut être qu’un projet de liberté dans et pour l’amour du monde et des hommes… à condition, bien sûr, que les chrétiens n’en soient pas eux-mêmes esclaves…

7) L’égalité

L’autorité qu’acquiert un message publié en ligne repose sur l’agrégation des semblables, largement favorisée par le fonctionnement des algorithmes (calculs de probabilité qui oriente vers ce qui peut plaire). Toutes les autres formes d’autorité se trouvent de fait fragilisées : statut, fonction, compétence… Seule l’autorité charismatique semble tirer son épingle du jeu, et encore ! L’absence de hiérarchisation des contenus est censée être contrebalancée par l’élaboration collaborative (comme pour Wikipédia), mais avec quelle efficacité ? Sauf à se retirer dans leur tour d’ivoire en essayant de rester à l’abri du monde, les Églises ne peuvent pas s’abstenir d’être présentes dans l’espace public d’internet et doivent prendre leur part dans la conversation du monde. La contrepartie de cette descente dans l’arène réside dans la perte irrémédiable d’un statut privilégié (qui n’était qu’illusion) : la parole des Églises se trouve à stricte égalité avec bien d’autres. Et face à celles et ceux qui n’en sont pas familiers, elle ne peut se prévaloir d’aucun statut particulier. N’est-ce pas le principe même de l’Incarnation, rendue possible grâce à un dépouillement (en grec kénose, cf. Phi 2, 1-11) ? Quand le Verbe se fait chair (Jean 1), il se retrouve de fait à égalité avec les autres humains. Et en posant l’absolue souveraineté de Dieu comme un des fondements de la tradition théologique réformée, nous assumons la vulnérabilité de notre propre parole : si « Dieu seul est Dieu », nous devons accepter de ne pas pouvoir prendre sa place et de mettre toutes les paroles d’hommes à égalité. Dès lors, notre parole abandonne toute velléité de prise de pouvoir pour ne s’offrir que dans la seule volonté de servir son prochain.•  

            samuel amédro