Frères et sœurs,
Dans notre vie quotidienne, nous avons tous fait des rencontres : qu’elles soient amicales, amoureuses ou professionnelles. Pour faciliter des rencontres, nos contemporains ont même créé de nombreux sites de rencontres ou d’appli dédiés à cet effet. Une soif ardente de rencontres est en fait au cœur de notre société.
En réfléchissant attentivement sur l’évangile selon Jean chapitre 4, les versets 4 à 42, – un long récit qui raconte l’épisode de la rencontre entre Jésus et la femme Samaritaine au puits de Sychar en Samarie–, je retiens au moins trois enseignements qui me semblent nécessaires pour nourrir notre foi chrétienne.
D’abord, ce texte nous enseigne que la rencontre inattendue de Jésus (au bord du puits) avec la Samaritaine est une « rencontre de deux assoiffés ».
Ensuite, la rencontre entre Jésus et la femme Samaritaine fait tomber des murs de séparation.
Enfin, la rencontre de la Samaritaine avec Jésus nous invite à témoigner notre foi.
I. Au bord du puits, une rencontre inattendue de deux assoiffés
Tout a commencé au bord du puits. Dans la tradition biblique, plus spécifiquement dans les civilisations sémitiques, les puits sont d’abord des lieux de rencontres. C’est aussi l’espace privilégié de rencontres amoureuses :
- c’est près d’un puits que Moïse rencontre sa future épouse, Cippora (Ex. 2, 16-22);
- c’est également près d’un puits que le serviteur d’Isaac rencontre Rebecca, la future épouse d’Isaac (Gn. 24) ;
- C’est aussi près d’un puits que Jacob rencontre Rachel à Harân (Gn. 29, 9-12)[1].
- Et c’est près d’un puits que Jésus rencontre la femme Samaritaine.
Les puits, au Moyen Orient à l’époque de Jésus, n’étaient pas seulement des lieux pour s’approvisionner en eau ; c’étaient aussi des points de rencontre et de dialogue entre les humains.
Le récit de la rencontre entre la Samaritaine et un Jésus, fatigué et assoiffé au puits de Jacob sous un soleil de plomb, à une heure où normalement personne ne va aux puits, était inhabituel.
Le texte dit que cette femme est venue au puits à la sixième heure, c’est-à-dire à midi. Il est anormal qu’elle aille puiser de l’eau à ce moment-là.
Pourquoi est-elle venue à ce moment précis, alors que les femmes vont chercher de l’eau le matin et le soir ?
Aucun détail n’est donné explicitement dans ce texte. Néanmoins, on peut quand même faire quelques déductions :
- Si cette femme choisit de se déplacer à ce moment, c’est parce qu’elle souhaite probablement être seule et ne veut pas faire de rencontre au puits.
Cette hypothèse me paraît évidente quand on apprend surtout qu’elle a eu cinq maris et que l’homme avec qui elle vit n’est pas son mari.
- Si cette femme est venue au puits sous le soleil brulant de midi, c’est peut-être pour éviter de croiser des regards qui expriment une raillerie malicieuse et d’entendre des propos moqueurs ou féroces à son égard.
De toute évidence, elle n’a en effet aucune envie de croiser qui que ce soit. Elle vient donc puiser de l’eau au seul moment où elle est sûre d’être tranquille.
Discrètement, elle vient chercher de l’eau, et surprise ! Elle a rencontré un homme « fatigué du chemin » qui lui demande à boire.
À cette femme Samaritaine qui vient chercher de l’eau pour étancher sa soif, Jésus va lui dire : « Donne-moi à boire ».
Ce « donne-moi à boire » signifie aussi « demande-moi de l’eau ». Donc, au bord du puits, c’est la rencontre inattendue de deux assoiffés.
La soif de Jésus n’était pas celle de l’eau matérielle, mais c’est la soif de rencontrer une âme assoiffée. « Si tu savais le don de Dieu, quel est celui à qui tu parles, c’est toi qui m’aurais demandé de te donner l’eau vive : car l’eau que je te donnerai en toi sera source de vie. »
Jésus demande à boire, et il promet à boire. Il est dans le besoin, comme celui qui va recevoir, et il est dans l’abondance, comme celui qui va combler.
Jésus avait besoin de rencontrer cette Samaritaine pour mettre en évidence la soif qu’il y avait en elle. La soif de Jésus n’est pas en effet celle de l’eau matérielle, mais la soif de rencontrer une âme altérée.
Frères et sœurs, cette femme Samaritaine avait une soif que rien ne pouvait étancher. À un tel point, elle fuyait les autres parce qu’elle n’avait pas trouvé de quoi satisfaire sa soif auprès d’eux. Jésus est l’eau vive dont cette femme avait besoin pour se désaltérer. « Celui qui croit en moi, dit Jésus, n’aura jamais soif » (Jn 6,35).
Oui frères et sœurs, sur le chemin de nos vies, le Seigneur Jésus ne cesse de venir à nous rencontrer et faire jaillir des fleuves d’eau vive dans nos cœurs.
Aujourd’hui encore, comme il fit au bord du puits de Sychar, Jésus s’approche de nous, il vient à nous et nous demande à boire.
Quand Jésus dit à cette femme : « donne-moi à boire », alors qu’il sait que les Juifs n’avaient pas de relations avec les Samaritains, il pose un acte important qui consiste à faire tomber les barrières d’hostilité qui sont d’ordre ethniques, culturels et religieux.
II. La rencontre de Jésus avec la Samaritaine fait tomber les murs de séparation
Entre Juifs et Samaritains, les murs de séparation sont hauts et épais. Ils sont solides et la femme Samaritaine le sait bien. Et c’est notamment pour cela qu’elle exprime sa surprise : « Comment ? Toi, un juif, tu me demandes à boire à moi, une femme Samaritaine ?
Pour saisir le sens de la question de cette femme, il est bon de nous arrêter un instant sur l’origine de la mésentente entre Juifs et Samaritains.
Tout a commencé au moment de la chute du royaume du Nord, en 721, la capitale étant Samarie (II Rois 17, 24). Lorsque le royaume fut détruit par les Assyriens, Salmanasar fit venir des habitants de Mésopotamie pour repeupler le pays. C’est de là naîtra le peuple Samaritain.
Après la destruction du royaume de Juda par les babyloniens, lorsque les exilés juifs purent revenir de leur longue captivité, les relations vont se détériorer. Les juifs rebâtirent le temple de Jérusalem et les Samaritains construisirent un temple sur le mont Garizim. À ce moment-là, le schisme est consommé.
Le lieu de culte était le grand sujet de division entre Juifs et Samaritains. « Nos pères ont adoré sur cette montagne, et vous, vous affirmez qu’à Jérusalem se trouve le lieu où il faut adorer. »
À cette femme, Jésus dit : « l’heure vient, […], où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ; tels sont, en effet, les adorateurs que cherche le Père. Dieu est esprit et c’est pourquoi ceux qui l’adorent doivent adorer en esprit et en vérité. »
Par cette déclaration, Jésus ouvre à la Samaritaine un nouvel espace tant social que spirituel. Il opère en quelque sorte « la désacralisation » des lieux d’adoration au profit de l’intériorité de la vie spirituelle, comme a si bien dit le philosophe Frédéric Lenoir. Le cœur de l’homme est pour Dieu, le véritable temple où a lieu la rencontre personnelle avec le divin. Ce qui compte, en fait, c’est notre rencontre intime avec Dieu[2].
Par ailleurs, pour la vie communautaire, nous avons besoin d’un lieu pour célébrer notre foi avec d’autres, par des rituels collectifs. Jésus ne remet pas en cause l’attitude religieuse en tant que telle, mais il la recentre sur l’essentiel. Pour lui, ce n’est pas le lieu qui est au centre. Ce qui est au centre, c’est notre rencontre avec lui dans notre vie.
La vie renouvelée avec le Seigneur Jésus est une vie qui redécouvre les relations là où elle était rendue totalement impossible.
Frères et sœurs, le message de ce matin est une invitation à ne pas nous laisser enfermer par des préjugés, des barrières sociales, culturelles, religieuse ou autres.
Aujourd’hui, selon le lieu, la culture et le contexte, ces barrières sont toujours encore là. Des murs de séparations si épais et si hauts se dressent et se redressent entre hommes et femmes, entre les générations, entre les nations.
Jésus fait tomber les barrières socio-historiques et culturelles pour aller à la rencontre de cette femme Samaritaine. Il a transgressé les tabous de son époque pour rencontrer cette femme dans le concret de sa vie.
Dieu n’est pas un juge qui condamne et exclu, mais il est le Dieu d’amour qui accueille sans condition. C’est en relation avec l’amour de Dieu que notre Église est appelée à vivre cet accueil. Accueillir, c’est ouvrir grandement les portes de nos Églises et de nos cœurs, sans porter un regard de jugement, pour aller à la rencontre de l’autre.
Frères et sœurs, la manière dont le Seigneur Jésus accueille cette femme, ne devrait-elle alors pas devenir le modèle de nos rencontres humaines ? En tout cas, ce qui me semble essentiel dans cette rencontre inattendue, c’est que Jésus ne s’arrête pas aux convenances sociales ou religieuses, il fait tomber les barrières pour accueillir sans jugement, toutes les personnes qui ont soif de l’amour et de la grâce de Dieu.
Jésus ne montre aucune crainte vis-à-vis de la Samaritaine, il ne la stigmatise pas, il l’accueil telle qu’elle est.
Ayant vu comment Jésus a brisé les tabous, les barrières d’incompréhensions entre Juifs et Samaritains, cette Samaritaine a pris la décision d’aller dans son village pour témoigner de sa rencontre avec Jésus.
III. La rencontre de la Samaritaine avec Jésus invite à témoigner. Tel est enfin, le troisième enseignement tiré de ce récit johannique.
En laissant sa cruche, la Samaritaine s’en alla précipitamment dans son village pour témoigner de sa rencontre avec Jésus. Elle s’en va, comme les messagères de la résurrection, pour annoncer la nouvelle aux gens de la ville. Cette femme s’affranchit des murs de la honte pour aller témoigner sa foi.
Son témoignage est simple : « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-ce pas le Christ ?».
Le premier élément de son témoignage est un message d’invitation : « venez voir ». Par cette invite, cette femme appelle ses concitoyens à découvrir l’identité de Jésus.
Le deuxième élément de son témoignage révèle de la vérité sur son existence. En « évoquant son existence, elle voit en Jésus celui qui est en mesure de percer et de mettre au jour l’existence de chacun ».
En troisième lieu, cette rencontre inattendue avec Jésus amène la Samaritaine à poser la question messianique : « Ne serait-ce pas le Messie ? » Certes, cette formulation révèle encore une conviction hésitante, mais elle ne s’est pas enfermée dans des certitudes acquises, elle s’est mise en mouvement.
En ce sens, « la mise en mouvement suscité par la parole d’un témoin, commente le théologien Charles L’Éplattenier, débouche sur la rencontre personnelle et l’écoute de Jésus lui-même[3]. » Même si cette femme n’est pas arrivée à la plénitude de la foi, cependant elle va quand même en ville, et là, elle témoigne. Elle n’attendait pas une foi parfaite pour aller rencontrer ses compatriotes.
Le témoignage de cette femme Samaritaine est simple, mais efficace : « venez ! Venez écouter vous-mêmes, venez rencontrer celui qui m’a rencontré ».
À cause de la parole de cette femme qui témoignait, beaucoup de Samaritains crurent en Jésus.
La Samaritaine, après un long dialogue – je dirais après une longue séance de KT avec Jésus – conclut avec ses compatriotes par une magnifique confession de foi : « nous savons que tu es vraiment le Sauveur du monde ».
Frères et sœurs, à l’instar de la Samaritaine, Dieu ne cesse de nous inviter à témoigner notre foi dans le monde qui nous entoure.
Pour citer votre ancien Pasteur, Samuel Amedro, actuellement Président de la Région, dans son message au Synode Régional 2022 à Paris, déclare :
« Nous pouvons tous témoigner de ce que nous vivons et qui donne du sens à notre existence. Nous pouvons prendre notre place dans l’espace public sans nous excuser d’être là. […] Nous pouvons continuer humblement à réfléchir avec les autres pour partager notre expérience de la vérité, et témoigner de ce qui fait sens pour nous[4]. »
Oui frères et sœurs, ne nous laissons pas décourager en disant : parler du Christ dans certains endroits ou à certaines personnes est totalement impossible. La Samaritaine n’avait pas honte de retourner dans son village pour témoigner du Christ en parlant en « je » : « j’ai rencontré un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait ».
Oui frères et sœurs, ne nous laissons pas freiner par la peur. Osons témoigner notre foi sans faire du prosélytisme. Parfois dans nos entourages, dans nos milieux de vie, il peut y avoir des personnes, comme la Samaritaine, qui sont à la recherche de quelque chose qui peut donner du sens à leur existence. Êtes-vous prêt ? Soyez une Église de témoins. Amen !
Sources :
AMEDRO Samuel, Discours au Synode Régional 2022 à Paris.
COULANGE Pierre, La femme Samaritaine. Une invraisemblable rencontre, Paris, Cerf, 2020.
L’ÉPLATTENIER Charles, L’Évangile de Jean, Genève, Labor et Fides, 1993.
LENOIR Frédéric, Le Christ philosophe, Paris, Plon, 2007.
MILLOT Alphonse, Sermon d’hiver, Lyon, 2001.
[1] Pierre COULANGE, La femme Samaritaine. Une invraisemblable rencontre, Paris, Cerf, 2020, p. 106.
[2] Frédéric LENOIR, Le Christ philosophe, Paris, Plon, 2007, p. 281 282.
[3] Charles L’ÉPLATTENIER, L’Évangile de Jean, Genève, Labor et Fides, 1993, p. 106.
[4] Samuel AMEDRO, Discours au Synode Régional 2022 à Paris.
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