Frères et sœurs en Christ, dimanche dernier, la prédication portait sur le sel de la terre et lumière du monde : deux marques distinctives qui caractérisent la vie des disciples de Jésus.
Aujourd’hui, au cœur de la péricope de l’évangile selon Matthieu chapitre 5, les versets 17 à 37, pose la question d’une justice plus grande, une justice supérieure à celle des savants de la Loi de Moïse.
Ma prédication est structurée en trois parties : la première consiste à expliquer que Jésus est lui-même l’accomplissement de la Loi et les Prophètes ; la deuxième invite à une justice supérieure à celle des savants de la loi ; enfin, la troisième montre que la justice est une sorte d’ouverture à l’amour à l’amour du prochain.
- Jésus est venu accomplir la loi
La plupart des chefs révolutionnaires coupent tous les ponts avec le passé et rejettent l’ordre existant. Cependant, ce n’est pas le cas pour le Seigneur Jésus. Il a maintenu la loi de Moïse et a insisté pour qu’elle soit observée.
Jésus n’est pas venu pour abolir la loi ou les prophètes, mais pour les accomplir. Mais que signifie « accomplir la Loi ou les Prophètes ? »
D’après le théologien Elian Cuvillier, « Le verbe accomplir a ici une signification qui dépasse la simple question de l’obéissance aux commandements : pour Matthieu, Jésus accomplit l’espérance d’Israël en donnant son véritable sens à la Loi et aux promesses prophétiques[1]. »
Autrement dit, en accomplissant la Loi ou les Prophètes, Jésus répond à ses exigences et devient lui-même, la nouvelle mesure sur laquelle repose la Loi.
Dans cette optique, la priorité n’est pas accordée à la Loi et l’obéissance aux commandements, mais à Jésus et son enseignement ; on est en fait passé de la Loi à la justice, de la Thorah à Jésus.
La loi du Christ se résume donc en une loi d’amour : « tu aimeras le Seigneur, ton Dieu de toute ton âme, de tout ton cœur et de toute ta force, et ton prochain comme toi-même. » L’amour de Dieu et du prochain, c’est ce que Dieu attend de nous.
C’est pourquoi, la Loi n’est pas une liste de commandements à valider pour accéder au Royaume, mais elle doit être considérée comme un cadre nécessitant un discernement quant au bien, au bonheur d’autrui et à la volonté de Dieu.
Ce que le texte nous dit, c’est plutôt :
Tu es pardonné, tu es l’enfant de Dieu, tu appartiens à son règne.
Ce qui prévaut, c’est la bonté du Seigneur Jésus. Parce que dans son infinie bonté, il nous accorde sa grâce. Cette grâce dont il est question, c’est celle de l’amour qui ne calcul pas, celle de la bonté sans limite, celle de la bienveillance qui fait place pour chaque être humain, quelle que soit sa condition.
Si Jésus est venu non pas pour abolir la loi mais pour l’accomplir. Par ailleurs, son accomplissement par Jésus exige une justice supérieure, une observance plus authentique. Telle est la deuxième partie de notre prédication.
- Jésus exige une justice supérieure à celle des savants de la Loi
Il est écrit : « Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume ». De quoi s’agit-il lorsqu’il mentionne la justice des scribes et des pharisiens ? Qui étaient ces deux catégories de personnes ?
- Les Scribes étaient des spécialistes des Ecritures, c’est-à-dire des maîtres de la Loi, de l’interprétation du Premier Testament ;
- Les Pharisiens étaient un mouvement spirituel d’homme qui essayaient de vivre sérieusement les commandements de la Torah.
C’est à ces deux catégories de personnes, souvent associées, que Jésus s’oppose et invite ses disciples à surpasser la justice de ces hommes religieux.
Du point de vue du sens, le verbe « surpasser » pourrait être traduit par « fournir en abondance », « excès » ou encore « surabondance ».
C’est au sein d’un mouvement de surabondance que les disciples sont invités à suivre l’exemple du Christ.
On est ici proche de ce que le philosophe Paul Ricœur [2] appelle l’éthique de la « surabondance », c’est-à-dire une éthique qui appelle à surpasser une justice mesurée.
Pour accéder au Royaume, Jésus invite ses auditeurs à faire preuve d’une justice plus grande, une justice surabondante qui dépasse celle des spécialistes de la Loi.
C’est pourquoi, la stricte obéissance à la Loi n’est pas pour Jésus le critère d’accès au Royaume des cieux. L’accès au Royaume est conditionné par la mise en pratique d’une justice qui dépasse celle des savants de la Loi.
Ce que Dieu attend de nous, c’est une justice qui s’enracine dans le cœur, un cœur qui s’abandonne constamment à Christ par amour et obéissance.
En ce sens, le Seigneur Jésus n’attend pas de ses disciples de tous les temps, une obéissance extérieure (une observance stricte de la loi) mais une obéissance intérieure.
Ce qui est requis, c’est une relation d’amour et d’obéissance envers Dieu; une relation qui est d’un plus grand prix que la stricte observance de la Loi.
L’accès au Royaume qui exige un surpassement de la justice des Scribes et des Pharisiens est conditionné par l’amour du prochain. Le Royaume dont parle Jésus évoque une ouverture au prochain.
Être juste, c’est considérer le prochain comme soi-même.
Pour Jésus, pratiquer la justice, c’est faire ce qui est juste, c’est aimer son prochain comme soi-même.
Si on regarde de près, chaque passage des antithèses dans le passage de Matthieu : « vous avez entendu qu’il a été dit… Eh bien ! moi, je vous dis… (Mt 5, 21-48) » est une protestation contre une violence exercée envers autrui[3].
- violence verbale (5, 21-26)
- le regard de convoitise est considéré comme un regard prédateur de l’homme sur la femme (5, 27-30)
- la lettre de répudiation est récusée comme une insupportable violence faite à la conjugalité (5,31-32).
- Le serment est dénoncé comme une violence faite à autrui au travers d’une parole falsifiée (5, 31-37).
Dans chaque antithèse Jésus s’oppose à toute action offensante envers le prochain. Les antithèses sont un appel à stopper la violence et invitation à pratiquer la justice.
D’ailleurs, la justice dans son sens technique, comme dans son sens large, est ce qui nous ouvre à l’autre, à sa personne, à ses besoins. Elle est une porte d’entrée qui a pour vocation à nous amener plus loin, jusqu’à l’amour du prochain[4].
Pratiquer la justice, c’est entretenir de relations humaines basées sur le respect de l’autre. Toute action ou pensée qui brise une relation ou qui détruit l’unité est tout simplement injuste.
Chers frères et sœurs, à chaque fois que nous agissons en soutenant une cause juste, comme :
- nourrir et vêtir les malheureux,
- accueillir et protéger les étrangers qui fuirent leur pays à cause de guerre,
- agir pour la sauvegarde de la création,
Eh bien, nous posons déjà des actes qui restaurent la justice. Aimer le prochain comme soi-même, c’est donc l’aimer avec tout l’amour qu’on peut porter à la réalité la plus intime de l’autre.
Ainsi mes chers frères et sœurs christ, si la Loi reste au cœur de l’univers religieux, ce n’est plus l’obéissance stricte à la loi qui nous donne accès au Royaume, mais c’est Jésus et Jésus seul.
La justice nouvelle que le Seigneur Jésus inaugure est l’accomplissement de la Loi et des Prophètes. Il est l’acteur de cet accomplissement.
Oui, c’est en cherchant premièrement le Royaume de Dieu et sa justice que la grâce nous est donnée de surcroît, selon la logique d’une justice surabondante. AMEN !
[1] Elian CUVILLIER, « Obéissance à la loi et radicalisation dans le premier Évangile Contribution à la question du lien entre Matthieu et le judaïsme du premier siècle », in Études théologiques et religieuses 2010/3 (Tome 85), pages 387 à 403.
[2] Paul RICŒUR, Lectures III. Aux frontières de la philosophie, Paris, Seuil, 1994, p. 277.
[3] Daniel MARGUERAT, Jésus et Matthieu, Paris, Bayard, 2016, p. 83.
[4] Frédéric De CONINCK, « Justice », in Christophe PAYA et Nicolas FARELLY (dir.), La foi chrétienne et les défis du monde contemporain, Charols, Excelsis, 2013, p. 272-273.
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