De grandes foules faisaient route avec Jésus ; il se retourna et leur dit : « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut être mon disciple. Celui qui ne porte pas sa croix et ne marche pas à ma suite ne peut pas être mon disciple.
« En effet, lequel d’entre vous, quand il veut bâtir une tour, ne commence par s’asseoir pour calculer la dépense et juger s’il a de quoi aller jusqu’au bout ? Autrement, s’il pose les fondations sans pouvoir terminer, tous ceux qui le verront se mettront à se moquer de lui et diront : “Voilà un homme qui a commencé à bâtir et qui n’a pas pu terminer !”
« Ou quel roi, quand il part faire la guerre à un autre roi, ne commence par s’asseoir pour considérer s’il est capable, avec dix mille hommes, d’affronter celui qui marche contre lui avec vingt mille ? Sinon, pendant que l’autre est encore loin, il envoie une ambassade et demande à faire la paix. « De la même façon, quiconque parmi vous ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut être mon disciple. Luc 14, 25-33.
Il y a toujours des sentiments étranges et divers qui viennent en nous quand on s’attaque à un défi. Un défi ou un « challenge » somme on pourrait aussi le dire aujourd’hui. Et bien des « challenges », qui nous paraissent comme des montagnes à gravir, il est possible que nos vies en soient pleines. Passer un diplôme, un entretien d’embauche, se marier, acheter un bien immobilier, élever un enfant, rentrer au conseil presbytéral, j’en passe. Autant d’étapes qui pouvaient en leur temps paraitre proprement infranchissables. Etions nous préparés à ces montagnes à gravir ? Si nous y avions plus réfléchi, nous serions nous engagés à les passer ? Ce n’est pas sûr. Il arrive que plus tard on repense rétrospectivement à ces années en se demandant comment avions-nous pu y arriver et que parfois nous nous rappelions cette phrase attribuée à Mark Twain : « Ils ne savaient pas que c’était impossible alors ils l’ont fait. »
Et bien dans notre Évangile qu’en est-il en réalité ? Je dois avouer que c’est un texte difficile que nous avons ce matin, un évangile difficile qui donne bien du fil à retorde au prédicateur. Lançon nous tout de même et que l’Esprit nous donne attention et intelligence.
Dans cet évangile Jésus nous demande, et il l’illustre par plusieurs exemples, que nous réfléchissions à deux fois avant de nous mettre à sa suite. Usant d’exemples il nous fait nous poser simplement la question : en matière spirituelle et en matière d’Église : avons-nous les moyens de nos ambitions ? Si nous prenons le texte à la lettre il est fort à parier que la réponse est non. Première étape : rejeter toute sa famille, il faut déjà le faire. Deuxième étape : porter sa croix et troisième étape, c’est la conclusion de notre extrait, renoncer à toutes ses possessions. Dans ce cadre-là, il y aurait très peu d’élus dans l’Église. Alors que peut bien nous apprendre cet Évangile à nous qui ne remplissons manifestement aucune de ces exigences, et qui je le pense, ne voudrions pas en remplir une seule, même avec la meilleure volonté du monde, même si j’essaye de déployer tous les talents possibles pour vous le prêcher ce matin.
Ce texte nous est proposé à la méditation à un moment qui n’est pas choisi par hasard. En effet, en cette rentrée, il convient de mesurer les projets de l’année à venir et de nous y mettre. Nous avons eu, je l’espère, un peu de recul pendant les vacances pour souffler et aérer nos esprits. Désormais nous sommes à la pose des fondations de cette tour dont nous parle Jésus. Que ce soit dans nos projets professionnels ou ecclésiaux toute œuvre a ses fondations et il est bon de construire raisonnablement avec un plan en tête et un objectif. C’est ainsi que Jésus nous parle de son école et de son enseignement. A la manière d’une entreprise, à la manière d’un chantier exigeant. Le suivre n’est pas et ne peut pas être une idée d’un jour. Ça se fait sur du long terme. Dans notre texte, Jésus parle à une foule subjuguée par tant de sagesse et par la profondeur d’un enseignement encore inouï. Il est bon de se ressourcer et que nos vies trouvent écho aux Paroles que nous entendons de Jésus.
Mais ça ne devait pas suffire pour notre Seigneur. Celui-ci exhorte maintenant la foule subjuguée à une réponse active à la Parole reçue. Et cette réponse active est ancrée dans les réalités de notre monde, ancrée ici amèrement. Elle n’est pas romantique dans le sens où Jésus ne dit pas : « Agis désormais comme il te plait d’agir pour me suivre » mais il semble plutôt dire : « calcule bien ton coup mon ami, à ma suite la vie ne sera pas de tout repos. » Et en effet nous pouvons peut-être en témoigner ce matin, nous ne pouvons entendre la Parole qui nous est prêchée si nous l’entendons comme un appel au renoncement absolu en revanche nous pouvons l’entendre comme échos aux difficultés concrètes d’une vie chrétienne. Tout métier a ses contraintes, tout projet a ses dépenses. La suivance de Christ n’épargne ni la contrainte ni la dépense. Le vocabulaire employé est très puissant. « Haïr » ses parents est un trait rhétorique qui devait probablement retenir l’attention de celles et ceux venu l’écouter, c’est la première déclaration de l’enseignement et nous ne pouvons pas l’entendre dans l’absolu tant une haine des parents rentrerait en opposition avec le commandement du décalogue « honore ton père » et serait une contradiction de l’amitié que Jésus entretint avec les membres de sa famille. Alors en s’étant dit cela on peut souffler un peu et quand même aller partager le gigot en famille après le culte.
Cependant, cette phrase n’est pas dite simplement pour choquer. Elle provoque en nous la réflexion que suivre le Christ ne sera pas à terme une décision familiale mais bien une décision personnelle du disciple vis-à-vis de son maître. Il ne faut pas s’y tromper. Et un peu en germe de cet enseignement, c’est ce qui est demandé aux catéchumènes qui confirmeront leur baptême. On ne demandera pas à leur famille si leur adolescent veut bien continuer à suivre le Christ dans l’Église mais on demandera au catéchumène, en dépit de sa famille, s’il confirme le baptême qu’il était alors trop jeune pour demander lui-même. Il en est de même pour celles et ceux qui viennent adultes à la Foi, décisions qui bouleversent parfois l’équilibre familial originel et qui peuvent malheureusement se traduire par des tensions et des ruptures.
Ainsi cette exhortation « si quelqu’un vient à moi sans haïr son père, sa mère, etc. » ne doit pas être rayée de nos Bibles et nous faire la place, après l’émotion légitime que cette phrase provoque, à cette réflexion intérieure qui nous dit que nous sommes disciples du Christ en notre nom propre et au nom d’aucune famille, d’aucune dynastie et d’aucune tribu sous quelque forme qu’elle puisse être. Il ne faut pas s’en extraire pour vivre authentiquement ce que Dieu nous appelle à vivre mais dans le face à face avec le Seigneur c’est nous qui prions, nous seul avec lui. Et c’est nous seul qui le suivons, nous seul à côté de beaucoup d’autres sinon ça ne serait pas l’Église et il faut que le chemin soit parcouru en groupe pour se soutenir les uns les autres, mais bien nous seul derrière lui.
Et la suite de l’enseignement contraste dans les sentiments qui nous sont rapportés. Il s’agit, après cette exhortation à suivre passionnément et totalement notre Seigneur, à prendre le recul de la réflexion. Alors frères et sœurs, après avoir reconsidérés chacun pour soi ici, son engagement personnel sur la voie du Christ, son engagement pour soi, libre de toute structure et emprise qui nous lierait à quelque chose d’étranger à la libre grâce de Dieu, prenons le temps en cette rentrée, cette pré-rentrée diront nous, et demandons-nous au moment de nous lancer à l’édification de la tour ou à cette campagne métaphorique dont nous parle Jésus, quels moyens nous mettront en œuvre cette année. Quels moyens nous mettront en œuvre pour vivre en cohérence avec le chemin que nous voulons suivre. Si nous n’avons pas beaucoup de moyens alors quel édifice cohérent pourrons nous édifier en réponse à la Parole et si nous en manquons vraiment comment pourrions-nous en trouver un peu plus, je ne parle pas que d’argent. Je parle de moyen concret pour vivre l’appel, ça peut être très simple, une prière simple plus régulière, le matin avant le café ou le soir après le travail, un peu de lecture de la Bible dans le métro, un chapitre bien lu suffit amplement, l’engagement de suivre une activité paroissiale, ici l’offre est riche. Il y a de multiples façons de donner un peu de soi et de construire quelque chose de vraiment beau, tout effort compte et c’est loin d’être impossible, n’ayons seulement pas peur que cela puisse nous coûter un peu. De temps, d’énergie ou d’argent, je n’ai pas peur de le dire. A celles et ceux qui hésitaient à s’engager et à faire ce pas en avant pour une implication dans l’Eglise, et bien Jésus vous lance ce défi, allez-y ! C’est loin d’être impossible.
Cependant si vous vous demandez comment vous lancer, par quoi commencer, comment faire n’hésitez pas à vous tourner vers votre pasteur, un conseiller presbytéral ou même moi, l’ Église est à votre écoute. Quoiqu’il en soit gardons simplement en tête que suivre Jésus ce n’est pas qu’écouter la prédication et venir parfois au culte, ça c’est le début du travail. C’est un vrai début de travail, mais l’édifice reste à l’état de chantier, c’est pour le monde un témoignage incomplet et pour nous des fondations peu assurées. Alors Jésus ce matin ne nous demande pas pour notre vie l’entrée au monastère, il ne pose pas une chose encore impossible à accomplir, exigence stressante qui viendrait s’ajouter aux multiples exigences stressantes qui nous attendent cette année. C’est un engagement à travers notre vie et pour nos vies qu’il nous demande, c’est l’engagement de nos vies qu’il nous demande et cela s’incarne dans nos quotidiens, cette tour dont la construction nous est racontée, est une tour secrète, intérieure, personnelle, mais qui nous tiendra dans notre existence. Finalement, cela vaut peut-être la peine que ça nous coûte un peu.
Frères et sœurs en cette rentrée je vous souhaite de mener vos projets dans la paix et la grâce, que l’espérance vous accompagne dans tous vos projets et que Dieu vous donne la force nécessaire dans vos quotidiens professionnels et familiaux, cette force nécessaire faisant de nous ouvriers de son royaume. Et que quand l’épreuve nous arrivera, que le doute surgira ou que nous perdions pieds effrayés devant l’ampleur de nos tâches respectives, sachons nous souvenir que nos chantiers professionnels ne sont pas les chantiers de nos existences et qu’il en est un plus important, un vital et qu’à ce moment-là il sera bon d’y revenir.
Amen.
« Jésus prenant congé de sa mère »
Albrecht Durer
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