Je vais te suivre, Seigneur, mais permets-moi d’aller d’abord d’aller prendre congés de ceux de ma maison (Luc 9, 61)
Je te suivrai Seigneur, mais…
La liste pourrait être allongée, mais ce n’est pas nécessaire. C’est indéniable : nous regardons volontiers en arrière, nous risquons de faire du passé notre patrie. Bien entendu, nous avons d’excellentes raisons pour regarder en arrière. Ce n’est pas du temps perdu, car notre histoire passée renferme des richesses extraordinaires, d’innombrables exemples de foi jusqu’au martyre, des grandes initiatives de mission et de diaconie, les grandes créations de la théologie (les Réformateurs, Schleiermacher, Karl Barth, …) de la musique (Bach !), du chant (le Psautier genevois, les chorals luthériens), de la peinture (Rembrandt, Van Gogh).
Quelle histoire ! Quelle source ! Quelle ressource ! Heureux sommes-nous d’avoir une telle histoire ! Nous serions des ingrats impardonnables si nous ignorions ou négligions cet héritage unique, cette source incomparable d’inspiration pour notre témoignage aujourd’hui. C’est dans notre histoire que nous trouvons nos racines, notre identité protestante, les grands principes de la Réforme :
sola gratia : la grâce seule : non pas nos œuvres, mais la grâce de Dieu est la vérité de notre vie),
sola fide : la foi seule, c’est la foi, et non pas nos mérites, qui nous assure l’accès à Dieu),
sola scriptura : l’Ecriture seule, la parole de Dieu sur moi est décisive, non pas ma parole sur lui),
solus Christus : le Christ seul, il y a plusieurs prophètes, plusieurs maîtres spirituels, plusieurs initiés, plusieurs sages, plusieurs illuminés, plusieurs fondateurs de religions, mais Jésus-Christ est le seul Seigneur et Sauveur.
Tout cela se trouve dans notre histoire. Nous y trouvons les traces de Dieu, l’écho de sa parole, les fruits de son Esprit, les signes de sa présence. C’est à cause de cette richesse incomparable que nous regardons si souvent et si volontiers en arrière. Nous avons d’excellentes raisons pour le faire, tout comme cet inconnu désirant suivre Jésus avait d’excellentes raisons de vouloir saluer sa famille : « Je vais te suivre, Seigneur, mais d’abord permets-moi de faire mes adieux à ceux de ma maison » (v. 61). Mais Jésus réplique : « Quiconque met la main à la charrue puis regarde en arrière, n’est pas fait pour le Royaume de Dieu » (v. 62). Pourquoi celui qui regarde en arrière n’est pas fait pour le Royaume de Dieu ? Pour une raison très simple, que voici : le Royaume n’est pas en arrière, il n’est pas derrière nous, il n’est pas dans le passé. On peut tout y trouver, sauf le Royaume de Dieu. Et pourquoi le Royaume de Dieu n’est pas dans le passé ?
Parce que le Royaume est proche, il est devant nous, il est autour de nous, il est même en nous, mais il n’est pas derrière nous. Celui qui regarde en arrière ne le verra jamais. Le Royaume de Dieu n’est pas dans le passé, parce que c’est l’inédit, la surprise, le nouveau, l’inattendu, l’inespéré, c’est le Dieu qui vient, qui approche, qui frappe à ta porte, qui va commencer une histoire nouvelle. Jésus veut donc, en ce jour, nous rendre équipés pour le Royaume de Dieu. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire un certain rapport avec Dieu, un certain rapport avec nous-même, un certain rapport avec le monde.
- Un certain rapport avec DIEU.
Notre Dieu est un Dieu qui était, qui est et qui vient. Toujours le même Dieu, mais chaque fois autrement. Il était le Dieu révélé à Moïse, la voix dans le feu qui brûle sans se consumer, le Dieu unique, sans pareil. Ce même Dieu est devenu, par sa révélation en Jésus et dans l’Esprit, le Dieu trinitaire des chrétiens ; le même Dieu, mais autrement. Il y a toujours un Dieu qui était, un Dieu qui est, un Dieu qui vient. Souvent on se cramponne au Dieu qui était, sans jamais reconnaître le Dieu qui est, et moins encore le Dieu qui vient.
Dans l’histoire de la foi protestante, par exemple, nous avons connu, au XVI° siècle, le Dieu de la justification, le Dieu qui, gratuitement et librement, sans mérites de notre part et sans conditions de sa part, justifie le pécheur. Aux XVII° et XVIII° siècles, nous avons connu le Dieu de la sanctification, le Dieu qui change le cœur, les pensées et la vie des humains, le Dieu qui veut faire de chacun de nous une nouvelle créature. Au XX° siècle, Dieu est devenu pour d’innombrables chrétiens, surtout du tiers-monde, le Dieu de la libération, le Dieu chanté par Marie dans son « Magnificat », le Dieu qui « a jeté les puissants à bas de leurs trônes et a élevé les humbles » (Luc 1, 52), le Dieu qui aime notre liberté plus que nous-mêmes. Le Dieu qui était, le Dieu qui est, mais il y a aussi le Dieu qui vient.
QUEL EST CE DIEU QUI VIENT ? Quel est ce Dieu que nous n’avons pas encore connu et qui nous attend sur le seuil de l’avenir, qui frappe déjà à notre porte, mais nous ne l’avons pas encore ouverte ? Quel est le Dieu qui vient ? C’est le Dieu de la RÉCONCILIATION — des peuples, des races, des cultures, des Eglises, des religions, des économies.
CONNAIS-TU CE DIEU-LÀ ? Tu connais peut-être tous les autres, mais celui-là pas encore. C’est le Dieu qui vient, il vient frapper à ta porte. « ETRE FAIT pour le royaume de Dieu » veut dire avant tout s’ouvrir au Dieu qui vient, au Dieu de la réconciliation — le même Dieu que jadis, mais autrement.
- Un certain rapport avec nous-mêmes.
Ensuite, être fait pour le royaume de Dieu implique un certain rapport avec nous-mêmes. On parle beaucoup d’identité, on en a tous besoin, nous voulons et nous devons savoir qui nous sommes. On parle aussi, de plus en plus, d’identité plurielle, tellement nécessaire dans une société pluraliste, nécessaire aussi, quoiqu’en d’autres termes, dans la pratique œcuménique. Tout cela est très bien, nous avons tous droit à une identité. Mais dans l’Evangile, il en va un peu autrement. Selon la Parole de Dieu, ce que nous sommes est tout aussi important que ce que nous ne sommes pas encore.
Nous lisons dans la 1° épître de Jean : « Ce que nous serons, n’a pas été manifesté » (1 Jean 3/2) et l’apôtre Paul lui-même déclare : « …oubliant le chemin parcouru et tout tendu en avant, je m’élance vers le but… » (Philippiens 3/13-14). C’est bien de savoir qui nous sommes, c’est mieux encore de savoir ce que nous allons devenir, pour accomplir notre identité selon la taille parfaite du Christ. C’est bien d’avoir un profil, mais peut-être Dieu voudrait-il nous en donner un autre. C’est bien d’avoir une identité, mais peut-être que Dieu aimerait la modifier, l’agrandir, la délivrer de ses limites. Un lieu d’adoption. Être fait pour le Royaume de Dieu signifie avoir une identité claire, mais provisoire. Sommes-nous assez « PROVISOIRES », ou bien nos identités trop figées nous paralysent-elles ? Être fait pour le Royaume de Dieu signifie avoir une identité OUVERTE, ouverte vers ce que nous serons, tels que le Dieu qui vient nous façonnera.
- Un certain rapport avec le monde
Enfin, être fait pour le Royaume de Dieu implique un certain rapport avec le monde. Jésus, nous le savons, a prêché le Royaume de Dieu et sa justice. L’EVANGILE était pour lui l’Evangile du ROYAUME. Ce Royaume n’est pas de ce monde, mais il est tout proche de ce monde, il est donc destiné à ce monde, il est pour ce monde. Jésus a su embrasser dans un même regard le monde et le Royaume. Il a parlé des deux à la fois : il a su discerner dans le quotidien les paraboles du Royaume. Et c’est bien cela que veut dire être fait pour le Royaume : savoir découvrir, avec Jésus et comme lui, le lien secret entre le monde de Dieu et le Royaume de Dieu, savoir découvrir dans notre monde les paraboles du Royaume, et même savoir en susciter. Car Jésus n’a pas seulement raconté les paraboles, il les a suscitées.
Tel est, chers frères et sœurs, l’Evangile d’aujourd’hui. Dieu a attiré notre attention sur ce que notre histoire passée ne peut pas renfermer, à savoir le Royaume de Dieu. Il veut que nous soyons « faits pour le Royaume », littéralement « appropriés », « bien disposés », « utiles » pour le Royaume, c’est-à-dire pour le Dieu qui vient, le Dieu de la réconciliation, pour le chrétien que nous ne sommes pas encore — le chrétien à identité ouverte — et pour un rapport au monde TRAVERSÉ par la lumière du Royaume qui vient.
Prions,
Seigneur de notre vie, nous voulons nous mettre au diapason de ta grâce.
Nous voulons te suivre pour construire avec ton aide un monde plus juste.
Donne-nous l’audace de surmonter nos résistances et nos refus.
Que nous puissions contribuer à une paix inspirée par l’amour.
Amen.
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