Si ce matin vous êtes venus jusqu’ici en train, vous êtes peut-être passé aux abords de la gare Saint-Lazare, devant un des murs qui longent les rails et sur lequel est tagué en gros : JÉSUS REVIENT ! Deux réactions possibles : Ah bon ??? Jésus revient, mais n’est-il pas parti ce jeudi ? Lors de la fête de l’ascension… Ou vous pouvez également opter pour l’indifférence, comme celle de vos voisins et voisines de wagon qui ne semblent pas franchement perturbés par la nouvelle… Jésus revient, et comme le disait mieux que moi Reymond Devos dans un de ses sketchs, Jésus c’est pas rien ! C’est le ciel !1
Pourtant Jésus l’avait bien dit, pour celles et ceux qui ont eu le courage de lire leur Bible jusqu’au bout, c’était écrit, sur la dernière page : « Je viens bientôt, et j’apporte avec moi ma récompense, pour rendre à chacun selon son œuvre ». Qu’est-ce que c’est que cette histoire encore ? Rendre à chacun selon son œuvre, pourquoi pas prêcher l’Enfer et le Paradis pendant que nous y sommes…
I- La théologie des œuvres contre les réformateurs protestants
Non vraiment, il y doit y avoir une erreur. Le premier réformateur protestant Martin Luther l’a déjà expliqué : notre Salut, le fait d’être sauvé, ne dépend pas de nos actions. Il dépend de Dieu et de Dieu seul. Et Calvin pour nous rassurer a poussé la logique encore plus loin, avec ce qu’il appelle « la prédestination ». Celle-ci signifie que Dieu, dans ses mystérieux décrets, a décidé d’avance ce qu’il veut faire de chaque homme et de chaque femme. Dès nos premiers cris, tout est déjà déterminé : certains seront damnés à jamais, d’autres auront la vie éternelle. Et ce peu importe ce que nous faisons notre vie durant. Et le plus choquant sans doute, c’est que Calvin en écrivant cela se voulait rassurant. Et nous en conviendrons aisément, c’est un peu raté… Nous sommes mêmes un peu terrifiés, à cette idée que tout serait joué d’avance sans pouvoir rien contrôler.
Mais c’est sans prendre en compte le contexte des réformateurs, face à la très puissante Église catholique romaine du XVIe siècle, affirmer que notre Salut ne dépend de personne d’autre que Dieu, c’est rappeler trois choses essentielles pour la vie chrétienne :
• La souveraineté absolue de Dieu : Calvin veut préserver la toute-puissance et la liberté de Dieu, et pour cela rien ne peut échapper à sa volonté. Le salut ne peut donc pas dépendre des choix humains, mais il est un don souverain de Dieu. Car, si nous pouvions influencer le divin par nos actions et nos prières, celui-ci ne serait plus souverain.
• L’humilité de l’homme : La prédestination calviniste rappelle à l’homme sa dépendance totale vis-à-vis de la grâce divine. À bas l’orgueil spirituel, personne ne peut se vanter d’avoir choisi Dieu, pas plus qu’il ne sait si Dieu l’a choisi.
• La fidélité à Dieu : Contre toute apparence, dire que le Salut dépend de Dieu est censé nous rassurer. Si nous sommes sauvés, ce n’est pas à cause de nous, mais grâce à Dieu. Cette doctrine du Salut par la grâce seule, et même la doctrine de la prédestination nous invite vraiment à placer toute notre confiance en Dieu.
Et pourtant, une fois qu’on admet que nous ne pouvons rien pour notre Salut, d’ailleurs l’Apocalypse le rappelle bien puisqu’elle dit : « que celui qui est saint soit encore sanctifié ». Dans certaines traductions, vous trouverez : « que celui qui est saint se sanctife encore », ce qui est une erreur si on regarde le texte grec. Puisque le verbe est bien au passif, ce n’est pas nous qui nous sanctifions nous-mêmes, c’est bien Quelqu’un d’autre. Si nous sommes sanctifiés grâce à Dieu seulement, comment expliquer que Jésus promette une récompense à chacun selon son action ?
II- La foi comme clef pour sortir du paradoxe
Si nous sommes sanctifiés par Dieu seulement, et si tout est déjà joué d’avance, alors nous sommes libres. Libres de tout faire, mais aussi de faire n’importe quoi. Luther avait bien anticipé cet argument, c’est pourquoi dans la Liberté du chrétien il écrit : « Le chrétien est un homme libre, seigneur de toutes choses, et n’est soumis à personne. » Et juste après avoir affirmé cela, il ajoute : « Le chrétien est un serviteur empressé en toutes choses, et il est soumis à tous. »
Comment comprendre ce paradoxe ? Pour Luther c’est très simple : nous ne méritons pas d’être sauvés, car aucun d’entre nous n’est parfait. Pour être sauvé, il faut que ce soit Dieu, et Dieu seul qui le veuille. Cette folie, que Dieu nous sauve alors que nous ne le méritons pas du tout, c’est ce que Luther appelle la Grâce.
Comment expliquer la grâce ? Dans les Misérables, je crois que Victor Hugo y parvient mieux que moi. Il raconte une rencontre, celle de Jean Valjean avec un évêque, Monseigneur Bienvenu. Le religieux offre à notre héros, en errance depuis plusieurs jours, le gîte et le couvert. Pendant le repas, Jean n’a d’yeux que pour l’argenterie rutillante qui orne la table de l’évêque. Pendant la nuit, il ne résiste pas. Il vole l’argenterie et s’enfuit par la fenêtre. Le lendemain il est arrêté par la police qui le ramène chez Monseigneur Bienvenue. « Ah ! vous voilà ! s’écrie-t-il.
Je suis aise de vous voir. Eh bien, mais ! je vous avais donné les chandeliers aussi, Pourquoi ne les avez-vous pas emportés avec vos couverts ? »
Et Jean Valjean repart libre, avec les couverts en argent qu’il avait volé, et avec deux chandeliers en plus !
Ça. C’est la grâce. Et pour être capable de reconnaître et d’accueillir une telle grâce dans nos vies, alors que nous savons comme Jean Valjean, que nous ne la méritons pas… il nous faut nous dit Luther beaucoup de foi. Car c’est par la foi, et la foi seule que nous recevons ce don de Dieu. La foi, c’est savoir que nous sauvés, que nous sommes aimés et pardonnés. Et savoir ça, pour Luther, ça change tout. Ça change la vie. Ça transforme le cœur. Sauvé, aimé et pardonné. Celui et celle qui croit, est enfin libre ! Sauvés, aimés et pardonnés. Nous n’avons plus peur, nous sommes libres. Libres de vivre, libres d’aimer, libres de servir.
« Le chrétien est un homme libre, seigneur de toutes choses, et n’est soumis à personne. »
« Le chrétien est un serviteur empressé en toutes choses, et il est soumis à tous. » insiste Luther.
Celui qui se sait aimé de Dieu n’agit plus jamais pour être sauvé, il agit parce qu’il est déjà sauvé. Dans l’épilogue de l’Apocalypse, notre auteur se prosterne devant l’envoyé du Seigneur, Et celui-ci dit : relève toi ! Je ne suis que ton compagnon d’esclavage. Prosternes-toi devant Dieu ! Et Dieu seul. Celui qui a foi en Dieu n’agit plus pour être sauvé, il sert avec Lui car il est déjà sauvé.
III- La vie avant la mort
Mais jusqu’où nous portera la foi ? Nous mènera-t-elle jusqu’au sort d’Étienne, dont nous avons lu la fin tragique dans le livre des Actes (Ac 7, 55-60). Aussi violente soit-elle, Luc nous dit pourtant qu’Etienne était rempli du Saint-Esprit, ce qui signifie que sa vision avant de mourir n’est pas celle d’un moment d’inspiration… mais bien le summum d’une vie vécue dans l’Esprit. Étienne, rempli d’Esprit fixa le ciel et vit la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de Dieu. Il dit : je vois les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu !
Les autres poussèrent alors de grands cris, se précipitèrent sur lui pour le chasser hors de la ville et le lapidèrent. Alors qu’on lui jette des pierres, Étienne prie : Seigneur Jésus, reçois mon esprit ! Quelle oraison pour Étienne ? Quelle parole pour un homme amoureux de vivre à en mourir2 ? Combien d’hommes et de femmes pour vivre au péril de leur vie ? Est-ce l’idée de la vie après la mort qui donne à Étienne l’élan d’aller vers son destin ? Ou est-ce l’envie vivre, jusqu’au bout, avant la mort ? Est-ce la vie après la mort qui explique le Christ sur la croix ? Ou est-ce sa vie avant la mort ?
Le Livre de l’Apocalypse est un livre obscur, et de nombreux chrétiens ont même hésiter à le faire entrer parmi les livres de la Bible. Et encore aujourd’hui nombre d’entre nous le lisons comme le scénario plus ou moins plausible des catastrophes encore à venir. Pourtant le livre de l’Apocalypse a un sous-titre, et si je traduis correctement il ne faut pas dire Apocalypse, mais Révélation. Révélation de quoi ? De qui ? De Jésus-Christ. C’est ça le vrai titre : Révélation de Jésus-Christ. La lecture de ce livre n’est pas une invitation à deviner le terme de l’Histoire, elle est une invitation à entendre et recevoir aujourd’hui l’exhortation qui donne à l’avenir son sens et son espérance : le Christ est vainqueur des puissances de la mort. Que toutes celles et ceux qui comme Étienne endurent la persécution sachent : le mal est déjà vaincu.
Le temps, notre temps, aussi terrifiant puisse-t-il paraître quand nous ouvrons les journaux ou quand nous allumons nos télés… Notre temps n’est pas au désespoir ni à la tristesse, mais il est à la gloire de celui qui a triomphé et qui vient ! Sa gloire n’est pas pour nous la promesse que nous ne mourrons pas. Au contraire, elle est celle que nous mourrons. Mais nous mourrons comme Étienne, nous mourrons sans peur au ventre, choisissant la vie jusqu’au bout. Car nous croyons en Celui qui a raillé la mort. Et nous croyons qu’il revient.
IV- Le retour du Christ
Il revient, il le répète et répète encore à la fin. Mais prenons-garde, le Christ ne nous demande pas de l’attendre, il nous promet qu’il arrive. Sa demande est ailleurs : il nous demande de faire, de commencer, de continuer son service. Relève-toi ! Je ne suis que ton compagnon d’esclavage ». Nous ne nous mettrons pas au service pour être sauvé. Nous le ferons parce que nous avons la foi. Nous le ferons parce que nous avons soif. Et ça tombe bien, car l’eau de la vie est gratuite.
« Viens ! Que celui a soif vienne ! Que celui qui veut prenne de l’eau de la vie, gratuitement ! » dit le Christ à la toute fin de l’Apocalypse. Dire « Amen ! Viens Seigneur Jésus », Taguer « Jésus revient ! » sur les murs de la gare Saint-Lazare, ne sont pas des paroles d’attentes ni de défi. C’est la parole de celles et ceux qui sont déjà en train de se battre.
« Heureux ceux qui lavent leur vêtement pour avoir droit à l’arbre de la vie et pour entrer par les portes dans la ville. Dehors les chiens, les magiciens, les infidèles, les meurtriers, et les idolâtres » Voilà notre espérance. Le retour du Christ. Et comme Jacques Ellul3 le dit si bien : Tout ce que nous savons, en Jésus-Christ, c’est que Dieu aime sa créature, sa création et qu’il vient pour libérer et pour sauver. Donc nous croyons qu’il interviendra, et nous qui vivons dans cette espérance, nous sommes portés à agir nous-mêmes dans cet amour. Mais il faut bien que nous agissions nous-mêmes. Quand nous lisons le récit de la libération du peuple hébreu guidé hors d’Égypte par Dieu… Combien d’années, combien de siècles se sont-ils écoulés avant que Dieu n’intervienne ? Combien de fois le peuple qu’il a choisi, son peuple, a-t-il prié, pleuré, crié, souffert, appelé en vain ? Un jour pourtant, Dieu se souvient. Un jour, on ne sait pourquoi…Dieu se souvient.
Nous sommes, dit Ellul, parfaitement livrés à nos combats et nos problèmes.
Mais la foi, la foi d’être sauvé, aimé, la foi qu’un jour Dieu reviendra,
cette foi donne à vivre parce que tout n’est pas encore joué.
Nous sommes, livrés à nous-mêmes et certains que Dieu viendra.
Combien de fois les prophètes ont-ils crié dans le vide ?
Combien de fois les soldats ont-ils fait le tour des murailles de Jéricho avant qu’elles ne s’écroulent ?
Combien de fois nous faudra-t-il faire le tour des murailles de ce monde pour qu’elles tombent ?
Pour que les guerres cessent et chaque être humain ait droit à l’eau de la vie ?
Nous sommes chrétiens, livrés à nous mêmes et certains que Dieu viendra. Nous ferons le tour de la muraille, peut-être une fois, peut-être deux fois, peut-être sept fois pour les plus endurants et les plus courageuses. Nous ne serons sans doute pas ceux qui les verrons tomber… Mais la foi chrétienne dit : « je ferai le tour de la muraille quand même ». « Même si c’est au prix de ma vie » dit Étienne.
Nous sommes chrétiens, nous sommes chrétiennes, livrés à nous-mêmes et pourtant sûrs que Dieu viendra. Amen.
1 Raymond Devos, « Jésus revient ! »
2 Aragon, Le roman inachevé, « L’affiche rouge »
3 Jacques Ellul, Théologie et Technique
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