« Parole, pains et poissons »

 

Les apôtres sont-ils surmenés ?

C’est en tout cas l’impression que me donne le début de ce passage dont nous avions entendu la lecture lors du dernier culte dominical ici en juillet et dont nous poursuivons la lecture et la méditation ce matin avec le miracle des pain partagés.
Les apôtres multiplient les signes et les enseignements ; ils sont sollicités de toute part et les gens vont et viennent, probablement chacune et chacun avec ses propres demandes, ses propres attentes.
Toute ressemblance avec des personnages ou des faits existants serait évidemment purement fortuite !
Ils sont tellement occupés, tellement sollicités [et encore, ils n’avaient pas zoom, teams ou WhatsApp à l’époque] qu’ils n’ont même pas le temps de manger et c’est Jésus, en bon N+1, qui les invite, ou plutôt qui les incite, au repos.
Les apôtres n’ont pourtant rien demandé. Ils semblent pris dans la même effervescence que la foule et quand ils se rassemblent auprès de Jésus c’est pour partager avec lui cette effervescence, lui raconter tout ce qu’ils ont dit, tout ce qu’ils ont fait. Mais Jésus les appelle à autre chose.
Il les appelle à venir à l’écart, avec lui. Il leur rappelle ainsi qu’on ne peut pas être apôtre sans être disciple, qu’on ne peut pas être envoyé pour proclamer la bonne nouvelle sans être aussi à l’écoute de celui qui incarne cette bonne nouvelle.
N’est-ce pas précisément pour être avec lui que Jésus les a appelés à sa suite ?
Alors que l’espace dans lequel ils se trouvent semble plein (plein des gens qui vont et viennent, plein de paroles et de gestes, plein sans doute aussi de ce sentiment grisant que peuvent provoquer les bains de foule) – alors que cet espace semble donc bien plein, Jésus invite les apôtres au désert et leur désigne un manque dont ils n’ont peut-être même pas conscience.

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La mise à l’écart est de courte durée… la foule les a précédés.

Lorsque Jésus sort de la barque avec ses disciples, la foule est là. Il va être question dans ce récit de miracle : de faim, de manger, de partager, de pain, de poisson… mais avec ce verset 34, ce sont les entrailles de Jésus qui entrent en scène : il est ému aux entrailles, une émotion qui le saisit jusqu’aux entrailles, jusqu’au fond de lui-même, plus loin que son ventre, plus loin que son estomac !
Ses entrailles sont « émues de compassion », et c’est à la vue de cette foule, de cette foule sans guide que ses entrailles sont ainsi saisies.

D’ailleurs, Jésus ne fait pas juste les entrevoir, il les voit avec leur manque : cette grande foule manque de berger qui aide à donner une direction, un sens qui concerne l’existence.
Jésus ne se met pas à chercher pour eux un berger ! Alors, voyons à notre tour comment il le devient. Il le devient pour eux en enseignant ! Il devient le berger dont ils ont besoin, celui qui va leur ouvrir un horizon.
Ce qu’il commence à partager c’est son enseignement, ce qu’il commence à partager c’est ce qu’il a à dire de la part de Dieu pour eux, pour chaque mouton.

Alors, malgré la faim du corps, malgré son besoin de souffler et celui de ses disciples, Jésus choisit d’enseigner encore, de partager de manière abondante une « quantité de choses » comme nous l’avons entendu à la lecture. Jésus commence par les nourrir de sa parole.

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Les disciples s’inquiètent. L’heure est tardive et il n’y a pas de quoi manger. Leur inquiétude est-elle pour tous ces gens rassemblés ou est-ce que c’est leur propre faim et leur propre fatigue qui parlent ?
Tout comme au début du texte Jésus invitait ses amis à un repos qu’ils ne demandaient pas, les disciples se soucient ici d’une foule qui n’exprime pas sa faim.
Et je me demande alors pourquoi ?

  • Est-ce parce qu’il est plus facile de prendre conscience de ce qui manque aux autres que de nos propres manques ?
  • Est-ce parce que nous projetons sur les autres les besoins qui en réalité sont les nôtres ?
  • Ou bien est-ce parce que nous avons tendance à vouloir faire pour les autres ce que nous aimerions qu’ils fassent pour nous ?

« Donnez-leur vous-même à manger leur dit Jésus ». Mais comment pourraient-ils donner aux autres ce qu’ils n’ont pas – ce dont précisément ils manquent depuis le début de notre histoire ?

Un peu plus loin dans ce même évangile selon Marc, Jésus affirme que la veuve a donné de son manque, tandis que tous les autres avaient donné de leur abondance (Mc 12, 41-44). Donner de son manque, c’est ouvrir une brèche dans son existence, c’est reconnaître qu’il y a du vide en soi et qu’on ne peut le combler soi-même. Donner de son manque, c’est accepter de s’en remettre à Dieu et lâcher notre besoin de contrôle. C’est un acte de confiance. N’est-ce pas d’une certaine manière ce que Jésus demande à ses disciples ici ?

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Après le partage de « quantité de choses », de sa Parole, de son enseignement, la foule va être toujours au bénéfice du partage, d’un partage de Jésus accompagné de sa parole :

– parole qui structure et accompagne une foule qui s’installe en groupes sur l’herbe verte, d’une foule qui se pose, se repose,

–  parole qui devient bénédiction !

Jésus maintenant lève les yeux vers le ciel, Dieu est de la partie ! Il prononce une parole de bénédiction avec du dérisoire, le dérisoire du pain, cinq pains. Jésus donne les pains et également les poissons à ses disciples qui les partagent à leur tour. Le résultat de toute cette démarche ? L’abondance : « Tous mangèrent et furent rassasiés ».
Au final, la foule a mangé, et nous pouvons avec ce « tous » dire que les disciples ont mangé et que Jésus également a mangé !

Être en mission avec Jésus est nourrissant ! Cela l’est aussi pour nous, pour toi, pour moi aujourd’hui.

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« Douze paniers de morceaux de pain et de poisson »
Du manque va donc naître l’abondance, de trois fois rien on repart avec douze paniers pleins de morceaux de pain et de poisson. Tous furent rassasiés, et il en reste encore.

C’est peut-être en exprimant leur propre manque, en reconnaissant devant la foule leur propre faim et peut-être aussi leur inquiétude pour les autres, en assumant ne pas avoir de solution à cette impossible équation, que le partage a pu avoir lieu.
Quand la foule, anonyme, devient peuple, quand on se sent en confiance au sein de ce peuple, alors il devient possible de partager aussi son manque.

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Et si en réalité, grâce au changement de perspective opéré par le Christ, c’est la foule qui avait nourri les disciples, et non l’inverse ?

Et si ce récit nous racontait que celles et ceux qui ont reçu l’enseignement de Jésus ont donné à leur tour, en ouvrant leurs besaces, pour que les disciples puissent se nourrir ?

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Frères et sœurs, témoins de la Bonne Nouvelle,
Ce n’est pas dans un lieu désert et à l’écart de tous que les disciples se sont finalement restaurés, mais en partageant leur manque avec la foule qui les a suivis, et en recevant d’elle ce qu’ils s’inquiétaient de ne pas être en mesure de lui donner.
Alors, ne craignons pas la rencontre ; c’est ainsi que l’Evangile se partage, se donne et se reçoit.
Il nous entraîne dans la grande nuée des témoins ; la joie de Dieu sera notre cortège

Amen !

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