Quelle étrange façon d’annoncer la Bonne Nouvelle de la résurrection par l’évocation du vide et de l’absence ! « Il n’est pas ici », s’entendent dire les femmes qui entrent dans le tombeau. « Et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur », conclut l’évangéliste.
Comment peut-on espérer que le message de la résurrection soit reçu, s’il y a tant d’éléments en creux, en négatif ? Comment appeler à la foi, si même les premiers témoins du matin de Pâques ont tant de mal à y croire ? On dirait que l’annonce de la résurrection choque les femmes beaucoup plus que la réalité de la mort, même si elle est très triste.
Mais d’autre part, l’évocation de l’absence est peut-être la seule expression adéquate face à la réalité. La réalité de la mort, d’abord, qui est l’expérience d’une absence. La possibilité d’une espérance, ensuite.
Si on ne veut sauter par-dessus la réalité, mais confronter l’annonce de la résurrection à notre réalité, il faut prendre en compte la dimension de l’absence.
La résurrection n’est pas une consolation facile. Elle n’est pas une explication magique du monde. La résurrection veut changer le monde. Elle veut dire la présence de Dieu à notre monde et dans notre vie. Elle s’est manifestée en l’un de nous, Jésus, le Christ.
Au tombeau, le matin de Pâques, les dimensions de l’absence et de la présence se confrontent. Absence du corps de Jésus, absence d’évidence immédiate, mais aussi absence de la fermeture qui « bouchait » le tombeau, puisque la pierre est roulée.
Présence d’un jeune homme vêtu d’un vêtement blanc, présence d’une parole de vie « Il est ressuscité », promesse de retrouvailles vivantes, en Galilée ; mais aussi, au présent immédiat la peur qui paralyse les femmes.
L’ange renvoie à ce que Jésus avait lui-même dit, avant, lors du dernier repas :
« Mais une fois ressuscité, je vous précéderai en Galilée. »
Il faut en effet remonter dans l’histoire de la Passion, et dans la vie de Jésus, avant sa mort, pour retrouver ce jeu de présence et d’absence, qui nous fait comprendre qui il est et pourquoi il est venu.
Pendant la Passion de Jésus, les personnes qui auraient dû être les plus proches de lui sont justement celles qui manquent à l’appel, qui l’abandonnent, qui sont absentes. En revanche, seront présentes des personnes auxquelles on ne s’attendait pas !
Pendant la prière de Jésus au jardin de Gethsémané, les disciples dorment, au lieu de veiller avec lui.
Au moment de l’arrestation de Jésus, tous les disciples s’enfuient, et même si Pierre veut rester à proximité, il finira quand-même par le renier. Et devant la croix, (à part le centurion qui se tient en face de Jésus – j’y reviendrai), il n’y a plus personne.
Les femmes, qui le suivaient depuis la Galilée, occupent une place intermédiaire, car elles sont présentes à quelque distance.
D’autre part, nous avons la présence surprenante de personnes auxquelles on ne s’attendait pas. Simon de Cyrène, qui porte la croix pour Jésus. Le centurion romain, qui confesse sa foi en lui. Joseph d’Arimathée, qui l’ensevelit dans sa propre tombe. On peut aussi compter Barabbas, le terroriste, qui doit à Jésus sa vie et sa liberté.
La Passion de Jésus révèle, par ce jeu d’absences et de présences, à la fois la fragilité de l’homme devant le mal, la violence et la mort, et les ouvertures surprenantes que Jésus provoque, même au cœur de la violence et de la mort.
Cette ouverture est déjà annoncée en pointillé, tout au début de l’évangile de Marc. Un matin, à Capharnaüm, Jésus est absent. Les disciples partent à sa recherche et le trouvent en un lieu désert, où il s’est retiré pour prier. Il répond à leur inquiétude « Tout le monde te cherche », en disant tout simplement : « Allons ailleurs, dans les bourgs voisins, pour que j’y proclame aussi l’Évangile, car c’est pour cela que je suis sorti. »
L’absence, qui induit la recherche et la mise en route, cette absence signifie la dynamique de l’Évangile, qui veut aller toujours plus loin, vers les autres. La même dynamique s’exprime dans la parole de l’ange :
« Allez dire à ses disciples et à Pierre : Il vous précède en Galilée ; c’est là que vous le verrez, comme il vous l’a dit. »
La présence de Jésus est en avance sur les femmes, en avance sur les disciples
… comme elle l’était déjà tout au long de son ministère.
Cette avance de Jésus, dans la proclamation de la Bonne Nouvelle d’abord, dans la vie ressuscitée ensuite, cette avance crée la promesse et l’espérance. Mais auparavant, il faut traverser le moment du vide. Le tombeau est vide. Les gestes traditionnels de fidélité au mort, comme ici l’embaumement, tournent court ; le deuil est perturbé. L’impact de la mort sur la vie est transformé, la place même de la mort dans la vie est contestée, bousculée. Mais la mort humaine ne débouche pas directement sur la vie de Dieu. Il faut ce vide, cette hésitation, cette suspension dans le temps, avant que puissent être accueillies la parole de Dieu puis la présence de la vie de Dieu.
Dans ce vide se tient le respect humain dû à Dieu, et le respect que Dieu manifeste aux humains. La place de la mort, le sens de la mort sont bousculés, et même contestés par Dieu. Souvenons-nous que Jésus avait été condamné à mort pour sédition contre l’empereur romain, autrement dit, le pouvoir en place le considérait comme un dangereux terroriste. Les autorités religieuses, pour leur part, n’avaient vu en lui qu’un blasphémateur, un ennemi de Dieu. Les disciples ont été désorientés par sa mort. Quant au peuple, il s’est laissé manipuler par ceux qui tenaient le pouvoir. Voilà l’interprétation officielle de la mort de Jésus : exécution capitale d’un criminel dangereux.
Il n’y a que Dieu qui proclame le contraire : cette mort était un acte d’amour et de don de soi, une porte ouverte sur la vie. Il le proclame en ressuscitant Jésus.
La résurrection de Jésus d’entre les morts proclame que ni la vie ni la mort ne doivent être confisquées ou détournées à des fins politiques, religieuses ou idéologiques.
Ni la vie ni la mort ne doivent servir à humilier, opprimer, exclure ou maudire. Dieu a mis la main sur la mort et l’a contrainte à s’ouvrir vers la vie éternelle.
Dieu réclame pour lui le sens de la vie comme un don et une promesse faits à chaque vivant. La mort et la résurrection de Jésus sont la protestation et la résistance passionnées de Dieu contre les mécanismes inhumains de notre monde.
La mort et la résurrection de Jésus sont une déchirure dans la logique humaine qui tend vers la mort, une déchirure par laquelle passe la vie.
Jésus avait manifesté cette résistance de Dieu contre la tendance humaine vers la mort tout au long de son ministère, pour sa plus grande partie en Galilée. Il avait donné à Dieu toute sa place, toute sa présence dans notre monde. Les conséquences ont été tellement dérangeantes que Jésus a dû payer le prix fort pour son engagement, la mort sur la croix. Mais Dieu a contesté le pouvoir de la mort et le sens de cette mort-là. Il a ressuscité Jésus Christ pour que, en lui et par lui, la vie soit présente pour quiconque veut bien l’accepter. La présence de la vie de Dieu en Jésus Christ est le don que Dieu, fidèle à sa promesse, fait à la communauté des croyants.
Nous sommes ancrés à tout jamais dans sa vie, quoiqu’il arrive.
Maintenant, laissons-nous appeler par sa parole : « Allons plus loin. » Développons le message de la résurrection dans notre vie présente.
Et partageons sa proclamation, toujours plus loin.
Amen
Laisser un commentaire