Lectures Bibliques : Jean 6, 48-58
Prédication :
Arrêtons les faux débats. Arrêtons d’essayer de donner de vraies réponses savantes à de fausses questions idiotes ! J’ai l’impression que les chrétiens sont des orfèvres en la matière… Comment répondre à des questions que personne ne se pose ? Faut-il, par exemple, continuer de s’abîmer dans des guerres picrocholines au sujet du mode de présence du Christ dans l’eucharistie ? Les juifs se disputaient vivement entre eux : comment cet homme peut-il nous donner sa chair à manger ? demandaient-ils… Allons bon, les chrétiens sont-ils des anthropophages en appelant à manger de la chair humaine (à la différence du cannibalisme qui consiste à manger de sa propre espèce : le lion est anthropophage quand il en a l’occasion mais en aucun cas cannibale) ? Et les protestants de répondre en cœur : « Les anthropophages, c’est « pas nous – pas nous » ! Ce sont les catholiques qui croient à la présence réelle du corps du Christ par le miracle de la transsubstantiation opéré par le prêtre. » A ce moment-là, les protestants commencent à s’engueuler entre eux et les luthériens s’insurgent contre les réformés : « Oh vous, c’est guère mieux puisque vous en avez fait un apéritif du souvenir. Vous ne croyez pas que le Christ est présent ! » Rendez-vous compte : ce débat dure depuis les premiers jours de la Réforme ! Quand en octobre 1529, Philippe de Hesse convoque à Marbourg toutes les têtes pensantes du protestantisme. Ils sont tous là les Luther, Zwingli, Mélanchton, Oecolampade, Bucer, Capiton, Osiander… pour tenter d’unifier la Réforme. Ils vont réussir à se mettre d’accord sur 34 des 35 articles de foi du protestantisme. Mais ils vont échouer sur les modalités de la présence du Christ dans la Sainte Cène. « Ceci est mon corps ! » est compris de manière réaliste pour les luthériens qui croient à la consubstantiation et de manière symbolique pour les réformés qui croient à la présence par le Saint-Esprit qui crée la foi dans le cœur de l’assemblée. Et pendant que les chrétiens s’excommunient mutuellement, la terre tourne et se déchire et tout le monde s’en fout.
Quand je dis que tout le monde s’en moque, en fait, ce n’est pas vrai. L’enjeu est au fond très important même si la forme prise par le débat nous semble aujourd’hui surréaliste. De quoi est-il question au fond ? Il est question de savoir comment Dieu peut-être présent dans notre monde. Les catholiques et les luthériens insistent sur l’incarnation c’est à dire sur la présence réelle de Dieu dans le monde ici et maintenant et craignent une conception spiritualiste et désincarnée de la religion chrétienne. Les réformés, eux, insistent sur l’altérité radicale d’un Dieu souverain qui échappe à notre emprise et redoutent l’idolâtrie de celles et ceux qui pensent enfermer Dieu dans des objets sacrés (la Bible, le pain et le vin) ou des endroits sacrés (les églises et les temples) ou les personnes consacrées (le prêtre ou le magistère de l’Église). Je vous invite à réfléchir à cette question : à votre avis, Dieu est-il présent dans le monde ? Si oui comment ? Quelles modalités ? Si non, à votre avis, pourquoi ?
Pour répondre à cette question, on trouve deux opinions différentes spontanées : pour les uns, seul compte ce qui est matériel, scientifique et prouvable dans le réel, dans la chose-en-soi et pour les autres le plus important est invisible pour les yeux, le spirituel est essentiel à la vie. Mais ces deux options qui semblent diamétralement opposées sont en réalité des postures qui fonctionnent en miroir autour d’un même axe-pivot qui n’a rien de biblique parce qu’il nous vient de Platon. C’est le philosophe grec qui, dans le Mythe de la Caverne, sépare la réalité matérielle et l’idéal spirituel, le divin monde des Idées de la réalité d’un monde matériel déchu, dégradé, soumis au mal. Et les chrétiens se sont laissés enfermer dans cette métaphysique qui n’a rien de biblique. Et c’est toujours pour valoriser l’un et dévaloriser l’autre. Les uns vont reprocher à la foi chrétienne de se réfugier dans le spirituel en rejetant le monde perdu. Les autres vont lui reprocher de s’occuper de ce qui ne la regarde pas en faisant de la politique ou de la morale. Les uns prétendent que Jésus ne peut pas venir du ciel parce qu’on connaît son père et sa mère. L’arianisme pensait que Jésus ne pouvait pas être Dieu puisque ce n’est qu’un homme que Dieu a choisi. Ceux-là vont être scandalisés par l’idée de manger la chair d’un homme parce qu’il comprennent la question de manière réaliste. Les autres affirment que Jésus avait seulement l’apparence d’un homme, qu’il était Dieu et que Dieu ne peut pas avoir de corps, ni engendrer un fils et encore moins mourir sur la Croix (ce que croient les juifs et les musulmans). Le docétisme croit que Dieu ne peut pas s’enfermer dans le réel qui n’est qu’une prison. Pour certains chrétiens, notre monde n’est qu’une vallée de larmes, un lieu de danger et de perdition dont il faut se protéger et si possible s’échapper en privilégiant les choses spirituelles. Ceux-là vont privilégier une compréhension spirituelle des Écritures. Ils vont revendiquer une séparation stricte de l’Église et de l’État et vont refuser qu’on fasse de la politique dans l’Église.
L’Évangile de Jean nous permet d’échapper à ce jeu d’opposition en miroir entre les idéalistes et les réalistes. Il va d’abord réaffirmer fortement l’origine divine de Jésus : Moi je suis le pain vivant descendu des cieux. Souvenez-vous du tout début de l’Évangile : Au commencement était la Parole. La Parole était avec Dieu, la Parole était Dieu. Tout est venu à l’existence par elle, et rien de ce qui est venu à l’existence n’est advenu sans elle. En elle se trouvait la vie. (…) Et la Parole s’est faite chair et elle a habité parmi nous. Jésus le Christ n’est ni un sage, ni un prophète, ni un homme de Dieu, ni-même le fils de Dieu. C’est Dieu-le-Fils. Il est la Parole qui a créé le monde, par laquelle le monde vit et qui est venu dans le monde pour que quiconque croit en elle ne périsse pas mais qu’il ait la vie éternelle. Mais en même temps, la Parole s’est faite chair, elle a pris corps, elle est devenue réalité tangible, physique. Et Jean utilise des mots très réalistes pour en parler. Il s’agit, dit-il, de manger et de boire : l’action la plus corporelle qui soit, la plus basique, la plus nécessaire à la vie. Il s’agit de se nourrir de cette vie-là qui nous vient du ciel. Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra pour toujours. Jean veut joindre les deux dans le même geste : Car ma chair est une vraie nourriture et mon sang est une vraie boisson. Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang demeure uni à moi et moi à lui… Dieu lui-même est donc présent dans l’action la plus quotidienne et la plus banale de manger et boire. Quand je mange c’est lui que je mange. Quand je bois c’est lui que je bois. Et pour cela il utilise le verbe « mâcher » pour bien exprimer l’idée de déstructurer, de digérer, d’assimiler, de s’approprier complètement. est là présent tout en restant Dieu souverain. Arrêtons de séparer le matériel du spirituel, la réalité et la spiritualité, le corps réputé mortel et l’âme supposée immortelle, notre vie la semaine et notre vie le dimanche matin ! Voilà l’enjeu essentiel que je veux mettre devant vous ce matin.
Puisqu’il s’agit de mâcher l’incarnation pour la faire nôtre, nous arrivons ici ce matin avec les soucis du monde : le souci de recommencer à vivre avec et malgré le danger de la contamination autant que celui de la crise économique, le souci de continuer à vivre dans un monde qui s’épuise à force d’être violenté par l’esprit de prédation (catastrophe écologique) et le souci de vivre dignement dans un monde de plus en plus inégalitaire qui justifie des hiérarchies entre les êtres humains en fonction de la couleur de leur peau, de leur milieu social et culturel, de leur sexe. Si nous voulons arrêter de séparer le spirituel et le matériel, il nous faut trouver le moyen de digérer et nous approprier la présence du Christ dans ce monde qui est le nôtre. Il n’est pas besoin d’être chrétien pour s’occuper de la planète. Il n’est pas besoin d’être chrétien pour s’insurger contre le racisme. Il n’est pas besoin d’être chrétien pour prendre soin de la vie quand elle est menacée. Il n’est pas besoin d’être chrétien pour s’engager pour la justice sociale. Ces combats moraux sont justes et bons autant qu’on puisse en juger. Mais il s’agit de nous demander ce que la présence du Christ que nous portons en nous et avec nouse peut changer dans ce monde-ci traversé par ces crises-là ? Comment échapper à ces deux attitudes contestables ?
– La dénonciation et l’esprit de haine du monde pour trouver refuge dans une secte ou dans une spiritualité désincarnée, hors sol, éthérée.
– La complaisance et la conformité au monde qui transforme l’Évangile en un combat moral, faisant de l’Église un lobby politique parmi les autres lobbies qui essaie de jouer sa carte dans le jeu partisan.
Comment rendre Dieu présent dans l’action la plus banale et la plus ordinaire qui soit comme manger et boire. Quelle serait l’action la plus symbolique, c’est-à-dire qui tienne ensemble dans la même main (sym-boulein) le divin et l’humain, le spirituel et le matériel, l’âme et le corps, l’homme Jésus et le Christ Fils du Dieu vivant (vs le dia-bolos : celui qui sépare) ? Comment faire en sorte de signifier notre engagement sans faille auprès des persécutés (les gens de couleur, les femmes, les pauvres, les migrants) sans créer de nouveaux ennemis (les blancs, les hommes, les riches, les nationaux) mais joignant les uns et les autres de manière symbolique ?
Je crois que nous devrions nous inspirer du pasteur Martin Luther KING, immense théologien baptiste noir, qui réussissait par sa foi chrétienne à relier les 3 combats contre le racisme qui déshumanise les bourreaux comme les victimes, contre la pauvreté fruit de l’égoïsme matérialiste et contre la guerre véritable insulte au Dieu d’amour et de justice.
- L’arc de la JUSTICE est tendu par Dieu pour donner du corps à l’amour qu’il porte au monde. C’est un combat radical ce qu’il dévoile la racine du mal : l’esprit et les puissances à l’œuvre derrière le racisme ou les violences faites aux femmes ou le mépris pour les défavorisés économiques : nous devons tout faire pour mettre en lumière les puissances destructrices.
- L’importance décisive de ne pas créer des ennemis mais de chercher à changer son cœur pour gagner un ami et un frère. MLK prônait un AMOUR des ennemis qui sanctifie c’est à dire qui transforme le monde à partir du cœur de l’homme et qui remet les puissances au service de l’humain.
- Enfin, il proposait toujours d’essayer d’imiter le Christ en nous posant la question : Qu’est-ce qu’il aurait fait à ma place dans ce combat ? Qu’est-ce que cela veut dire être porteur de résurrection ? Si ce n’est inlassablement essayer de relever celui qui se sent blessé par le racisme. Seul le combat de la LIBERTE peut permettre à chacun de reprendre sa vie en main.
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