LA QUESTION DE LA FIN

Plus les temps sont troubles, plus l’angoisse se fraye aisément un chemin dans nos vies. Et avec elle, l’éternelle question du sens de notre existence. Ce combat pour donner du sens à nos vies, il y a un livre qui le raconte mieux qu’aucun autre. Et dans ce livre il y a un livre, celui de Daniel dont nous venons de lire un passage.

I- Le sempiternel combat de la vie contre la mort, du bien contre le mal

1.1 Daniel en son temps trouble
Le livre de Daniel est le livre apocalyptique par excellence de l’Ancien testament. L’histoire se déroule au moment de l’exil de l’élite juive à Babylone, après la chute de Jérusalem — au VIe siècle avant notre ère. Mais les chercheurs sont d’accord pour dire que le livre aurait en fait été écrit bien plus tard, au IIe siècle avant notre ère, dans un moment de crise pour le peuple juif en proie aux divisions, avec d’un côté le roi Antiochos IV Épiphane et les juifs hellénisants, contre, d’un autre côté, les Juifs traditionalistes. Les auteurs du livre comme le narrateur sont donc plongés dans des temps de bouleversements et de grandes violences. Avant notre passage, Daniel a vécu la guerre entre les royaumes du Nord et du Sud. Et dans le temps présent, les auteurs du livre connaissent la révolte des Maccabées. La littérature classique ne suffit plus, il faut en inventer une autre pour répondre à la crise. Les discours humains, les écrits d’antan ne suffisent pas. Seule une révélation divine est encore capable de donner du sens à la vie des gens de ce temps. Le livre de Daniel est à ce titre une apocalypse. Et si ce mot rime pour nous avec catastrophe, en grec il n’en est rien. Apocalypse signifie littéralement « enlever le voile ». C’est donc un livre qui cherche à nous éclairer, pas à obscurcir. Daniel veut apporter une révélation des mystères du monde, des secrets de Dieu, de son projet pour cette terre et aussi pour la fin des temps. Quand l’histoire se trouble, quand elle régresse ; quand des innocents sont déportés, exilés,
assassinés… l’apocalypse de Daniel tente de lever le voile sur ce Dieu, qui seul peut encore donner du sens à l’existence.

1.2 Notre lot d’actualités terrifiantes
C’est donc avec beaucoup d’attentes que nous relisons ce texte aujourd’hui. Car oui, nous aussi, nous avons bien besoin de lever le voile. Plus qu’un voile même, nous avons besoin de soulever ce drap noir qui drape le monde et qui n’en finit plus de s’enrouler autour de lui. Depuis bientôt deux ans, l’Ukraine est en guerre contre la Russie. Gaza est un champ de ruines. Israël fait désormais pleuvoir des bombes sur le Liban. En Afghanistan les femmes n’ont plus le droit de parler, Les gangs règnent sans foi ni loi en Haïti, Le Soudan sombre dans une spirale
d’innombrables violences et souffrances, Donald Trump a récupéré les clefs de la maison blanche, Valence a été dévastée par les eaux en Espagne… Je m’arrête ici, mais hélas je pourrais continuer des heures ainsi. Et c’est à juste titre que nous nous demandons souvent : où vont les innocents ? Où vont les victimes ? Reposeront-elles en paix à côté de leurs bourreaux, pour l’éternité et sans aucune autre forme de procès ? Où vont les femmes, où vont les enfants, qui sont plus de 600 millions selon l’ONU à vivre dans les zones de conflit que j’ai cité ? Et c’est bien volontiers que nous osons demander à Daniel si le temps de détresse dont il parle n’est pas celui de notre époque : Ce sera un temps de détresse comme il n’y en a jamais eu depuis que les peuples existent et jusqu’à aujourd’hui. Et avec Daniel nous serions tenté de supplier Dieu d’entendre nos prières et nos supplications. Nous qui sommes tes serviteurs, Notre Dieu, tends l’oreille et entends ! Ouvre les yeux et vois nos lieux dévastés et les villes dans lesquelles nous invoquons ton nom !

II- La mort comme lieu de vérité

2.1 Les uns pour la vie éternelle, les autres pour l’opprobre
Mais Daniel ne fait pas de la mort le seul lieu terrifiant de l’injustice et de la loi du plus fort. Non, pour lui, la mort n’est pas le concours de celui qui aura le plus d’armes pour détruire son voisin, elle n’est pas non plus celle du triomphe des meurtriers. La mort, dans notre texte est un lieu de vérité. Car nous dit-il, ceux qui dorment dans la terre de poussière, se réveilleront. Première bonne nouvelle, chacun des corps redevenus poussière un jour sera arraché à la terre pour vivre de nouveau. Mais notre auteur ne s’arrête pas là. Si certains seront réveillés pour la vie éternelle ; les autres auront droit à l’opprobre et à l’horreur pour toute l’éternité. Daniel nous parle-t-il d’Enfer et de Paradis ? Sa vision, somme toute très manichéenne ; d’un côté le Bien, de l’autre le Mal, nous indique au moins une chose certaine : Daniel ne laisse pas à la mort le dernier mot. Ce dernier mot, c’est à la justice qu’il le laisse.

2.2 Des sages et des justes
Et voici la promesse du texte : Ceux qui sont sages resplendiront comme la splendeur du firmament, et ceux qui apportent la justice à la multitude resplendiront comme les étoiles pour toujours et à jamais. Qui n’est pas tenté par cette expérience mystique ? De voir rayonner celles et ceux qui portent en eux la justice et la sagesse, que, pour une fois, ce soit eux qu’on écoute et qu’on suive ? J’espère en cette lumière. Celle qui promet qu’aucune vie n’est perdue à tout jamais. J’espère, voir un jour s’allumer dans le ciel autant d’étoiles que d’innocents morts avant l’heure. Si cela devait arriver, alors il ne ferait plus jamais noir la nuit, Peut-être même que la nuit serait plus claire que le jour.
Que leur lumière serait plus forte que celle du soleil. L’obscurité disparaîtrait, et peut-être qu’enfin nous apprendrions à toutes et tous vivre en paix ? Sans cette vision, je ne sais comment je pourrai encore continuer à écouter les nouvelles qui nous parviennent du monde qui hurle. Mais cette vision ne répare en rien le cœur d’une humanité déchirée.

III- La vie après la mort ou la vie avant la mort ?

3.1 Le monde dort
Souvent nous entendons dire « le monde hurle ». Daniel, lui, quand il écrit, croit plutôt qu’il dort. Et il nous appelle à ouvrir les yeux. Beaucoup de gens qui dorment dans la terre de poussière se réveilleront, Quoi ! Daniel serait-il woke ? Woke je traduis pour celles et ceux qui ne seraient pas branchés en permanence à CNEWS ou BFMTV : woke est un terme qui nous vient des États-Unis, plus précisément des années 1960 dans le contexte de lutte pour les droits des Afro-américains et qui signifie éveillé, ce qui voulait dire le fait d’être conscient des inégalités raciales qui se jouaient alors. Aujourd’hui c’est un mot valise, très prisé de l’extrême droite qui l’utilise à tout va pour refuser toute forme de discours qui critiquerait l’état actuel des choses. Dire que les femmes ne sont toujours pas les égales des hommes en 2024, dire que oui les immigrés aussi ont des droits, que non tous les Français ne sont pas blancs et bien catholiques… c’est trop woke, trop réveillé comme
discours pour certains qui aimeraient bien encore moins d’égalité et surtout qui aimeraient pouvoir toujours plus mépriser tout le monde au nom des célèbres libertés d’opinion et d’expression. Je ne sais pas si Daniel aussi est trop woke, mais ce qui est certain c’est qu’il nous appelle à ne pas dormir debout. Car Jésus le rappelle dans l’évangile de Marc que nous relisions tout à l’heure : prenez garde, restez éveillés, car vous ne savez pas quand sera le moment. Quel est ce moment ? Et quel est ce temps ? Quel est ce réveil ? S’agit-il de la résurrection des morts, du retour à la vie ? Ou est-ce une métaphore pour nous dire de vivre cette vie ? D’y être pleinement engagés et vivants ?

3.2 Douter et espérer
Parce que Daniel le dit avec toute sa poésie, le doute est permis. Peut-être n’est-ce qu’une métaphore pour nous aider à vivre notre vie ? Mais parce qu’il le dit aussi avec toute sa poésie, l’espoir est permis. Peut-être assisterons nous à la fin des temps et au réveil de toutes les poussières de la terre ? Et peut-être qu’enfin la justice triomphera. Pas celle des humains non, si souvent et gravement défaillante, mais bien celle de l’Éternel. Peut-être qu’un jour il y aura plus de lumières dans le ciel que le soleil. Heureusement d’ailleurs qu’un ange veille; En ce temps-là se dressera Micaël, le grand chef, celui qui veille sur les enfants de ton peuple. Qui est-il ? C’est un ange qui est déjà apparu dans le livre de Daniel pour protéger Israël et combattre l’ange de Perse. Son nom signifie qui est semblable à Dieu ? Mais il faut bien entendre à la fin de ce nom un point d’interrogation. Car son nom vient de l’addition d’un pronom interrogatif, d’un comparatif « comme » et d’un nom de Dieu. Là encore Daniel n’impose aucune certitude. Et nous interpelle : Un ange qui veille sur des enfants de ton peuple ; est-ce là un ange comme ton Dieu ? Moi je serai tentée de répondre, quid des autres enfants ? De ceux des autres peuples ? Mais Daniel me coupe dans cet élan : car si il écrit ton peuple réchappera, il ajoute aussi : tous ceux qui seront trouvés inscrits dans le livre seront sauvés. Une autre force, une autre puissance que celles des hommes semblent à l’œuvre. Elle ne fait plus de différence entre les peuples. Tous sont également dignes et indignes d’être sauvés. Un ange comme Dieu, un Dieu comme ange qui nous donne la force de maintenant ; car même dans les pires moments de détresse ; nous ne sommes pas seuls nous dit Daniel, l’ange Micaël veille. Et même la mort, et toute l’horreur portent en elles les fruits de la justice et de la vie encore à venir. Mais la foi de Daniel ne doit pas nous endormir ; Car il demeure dans ce texte un tout petit
détail à ne pas oublier : ce qui conditionne la mort et la vie après la mort, c’est la vie. La vie, entendez : la vie maintenant, la vie aujourd’hui. Dans le texte hébreu plusieurs verbes échappent à toute conjugaison. Parmi eux : l’ange qui veille, l’inscription dans le livre de celles et ceux qui seront sauvés, mais aussi ceux qui font preuve de sagesse et ceux qui apportent la justice. Autant de choses qui échappent au temps, prisonnières d’aucun passé, d’aucun avenir ni présent. Le Dieu qui veille, veille toujours. L’inscription dans le livre du Salut est ineffaçable. La sagesse et la justice s’inscrivent elles aussi dans l’éternité.

Au désespoir de son temps Daniel oppose la certitude que la mort n’est rien. Ou tout du moins, que la mort n’est pas tout. Il existe un livre dans lequel sont inscrits mêmes les noms des morts, il existe un Dieu qui veille et qui peut ordonner à la poussière de se soulever de la terre et redonner la vie. Cette foi de Daniel, métaphore, intuition ou véritable croyance en la résurrection ne doit pas nous endormir, mais nous réveiller. Au désespoir devant la mort qui gagne du terrain, Daniel répond qu’une espérance en Dieu est toujours possible. À ceux qui voudraient sauver leur vie, il répond qu’il vaut mieux vivre et mourir en sage et en juste, que dormir bien au chaud. À celles qui se disent que la vie est pour plus tard, au Paradis ou dans un au-delà plus paisible, il répond que la vie est maintenant, autant qu’elle était hier et qu’elle sera demain. Car ton Dieu veille à jamais. Car il existe un livre où sont inscrits les noms de tous ceux qui se réveilleront pour toujours. Car chaque instant de sagesse, chaque victoire pour la justice est de toute éternité.

Amen

2 commentaires

  • Je pense que cette prédication qui fait le choix courageux de commenter le livre de Daniel n’aurait pas eu moins de force en faisant l’économie de positions politiques un peu trop soulignées.

    Mettre sur le même plan l’élection de Donald Trump et le règne des gangs en Haïti est pour le moins injurieux pour ses millions d’électeurs qui sont peut-être d’aussi bons chrétiens que nous.

    Après tout, même en France, il y a des protestants « de droite » qui ont bien le droit de penser qu’on peut travailler à laisser s’approcher le Royaume de Dieu sans imposer une société avec toujours plus d’État et de collectivisme.

    Je ne sais pas s’il y a en France une extrême droite qui refuserait de reconnaître aux femmes les mêmes droits qu’aux hommes en 2024. Mais je sais bien par contre qu’il y a une extrême gauche, et bien présente.

    En vérité, la chaire de la prédication n’a plus de raisons d’être une tribune politique dans une société laïque ou la liberté de notre culte est acquise.

    Redde Caesari quae sunt Caesaris, et quae sunt Dei Deo!

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  • Merci pour ces messages dominicaux que je télécharge depuis un certain temps et conserve précieusement ;
    Il serait judicieux pour ceux qui lisent les commentaires, d’avoir aussi le texte de référence, le ou les versets bibliques qui servent de base à la prédication.
    Merci.

    Charles Reinhart

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