La parabole des talents

Prédication sur Matthieu 25, 14-30

La parabole des talents appartient aux rares textes des Evangiles où l’homonymie donne un sens ambigu, confinant au jeu de mots : tout comme « Tu est Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon Eglise », ou « Rendez à César ce qui est à César ». Cette parabole n’a qu’un seul équivalent dans les Evangiles synoptiques, la parabole des mines, dans l’Evangile selon Luc (19, 11-25), toutes deux étant, selon les exégètes, issues de la source Q (Quelle en allemand).

Les talents et les mines étaient des unités monétaires grecques de très grande valeur : en langage contemporain, on parlerait de millions : dans l’orient hellénistique du temps de Jésus, en Israël, un talent valait 35 kg d’argent pur, soit au moins le salaire d’un homme pendant 20 ans !

Le talent, poids monétaire, et le talent, qualité humaine, ont toutefois la même étymologie : traduit de grec en latin (talentum), le sens figuré a pris le pas sur le sens monétaire, ce qui est aussi le cas en français : c’est ce qui donne dans ces deux langues une saveur particulière à cette parabole. Déjà au XVI° siècle, Jean Calvin avait déjà donné un autre double sens au mot talent : dons naturels et dons du Saint-Esprit.

Si l’on prend cette parabole au sens littéral, elle nous parait choquante : on y voit Jésus, en défenseur du placement de l’argent, de la banque, et pour traduire en langage moderne, de la finance ! ce qui parait incongru dans la bouche de Jésus, celui qui a chassé les marchands du temple.

Les bons serviteurs ont fait fructifier l’argent de leur maître, le mauvais serviteur l’a enterré et l’a rendu intact : le maître lui dit : « Alors tu aurais dû placer mon argent chez les banquiers, et à mon arrivée, j’aurais récupéré ce qui est à moi avec un intérêt. » Dans la parabole des Mines, dans l’Evangile de Luc, les propos sont identiques : «  Alors pourquoi  n’as-tu pas placé mon argent dans une banque ? A mon arrivée je l’aurais retiré  avec un intérêt. On n’imagine pas Jésus en propagandiste des placements bancaires

Alors, il faut lire autrement cette parabole célèbre : plusieurs éléments nous permettent de  répondre : d’abord, elle est située juste avant l’explication par Jésus du jugement dernier, ensuite Jésus se compare au moissonneur, ce qui aussi une métaphore du jugement dernier. La parabole des mines de Luc est plus explicite à ce sujet : «  Un homme de haute naissance s’en alla dans un pays lointain pour se faire investir de la royauté, puis revenir ». C’est une allusion au retour du Christ, la parousie, après l’entrée dans Jérusalem comme un roi, la passion, la crucifixion, et la longue absence avant son retour triomphal. C’est d’ailleurs l’interprétation de Jean Calvin,  : « Jusqu’au dernier jour de la résurrection, Christ est comme en chemin, absent des siens, et cependant il ne faut pas qu’ils soient nonchalants ou qu’ils demeurent oisifs et sans rien faire. »

Le maître confie sa fortune à ses esclaves : chez Matthieu, il donne ou plutôt il confie cinq talents à l’un, deux à un autre et un au troisième. Chez Luc, il donne dix mines à dix esclaves. L’intérêt se concentre sur la façon dont les serviteurs ont employé le temps qui leur était octroyé pour valoriser et faire fructifier l’argent de leur maître. Que représentent donc ces talents ? Jean Calvin nous dit que ce mot recouvre à la fois les dons naturels et les dons du Saint-Esprit, c’est-à-dire la grâce du Seigneur. Ce sont ces dons qu’il faut cultiver et faire fructifier en attendant le retour du maître.

Puis le maître revient longtemps après, de façon inopinée, sans prévenir, ce qui correspond à la parole du Christ dans l’Evangile selon Matthieu : « pour ce qui est du jour et de l’heure, personne ne les connait, ni les anges des cieux, ni le fils, ni le père »

Le maître interroge alors ses serviteurs sur leur gestion durant son absence : il félicite les esclaves qui ont doublé la mise de leur maître, et il réprimande sévèrement celui qui a enterré le talent, sans la faire fructifier, ni pour autant sans la dépenser, comme  dans la parabole du « fils prodigue ». Le plus étrange, c’est la réponse du mauvais esclave : « Maître, je savais que tu es un homme  dur : tu moissonnes où tu n’as pas semé, et tu récolte où tu n’a pas répandu ». Le maître apparait donc sévère mais juste dans sa logique, et la réponse du mauvais esclave est d’une logique anticapitaliste, comme on pourrait dire de nos jours : le mauvais esclave conteste à son maître son droit de seigneur : il n’a pas reconnu la grâce qui lui était faite, ni que cette grâce avait une exigence. Son incrédulité et son oisiveté témoignent de son infidélité.

Il faut en fait considérer que ce jugement du maître sur ses esclaves porte sur la fidélité dont a fait preuve chacun d’entre eux. Cette fidélité c’est la foi. Les talents sont donc un don du Seigneur : tous les dons que nous possédons en propre, qu’ils tiennent à l’intellect, à la profession ou à la richesse, nous ont été confiés par le Christ, qui en plus nous  a donné un don gratuit, sa grâce, par l’entremise du Saint-Esprit : les bons esclaves ont donc su faire fructifier les talents ou les grâces reçues du Seigneur ; le mauvais esclave ne l’a pas fait, a enterré son talent, au sens propre comme au figuré, et, ayant peur, a manqué de fidélité et de foi. Son oisiveté témoigne qu’il ne s’est pas considéré comme engagé et qu’il est resté à l’écart de la grâce et de la Parole.

Puis vient le jugement du maître, qui reste surprenant : « Enlevez lui son talent, et donnez-le à celui qui a les dix talents ». Cela ne nous paraît pas juste au premier abord. Il faut donc considérer que ce jugement s’applique à la manière dont on reçoit la grâce et dont on y répond par sa conduite. Il nous faut donc recevoir la grâce avec humilité, la faire fructifier en nous, et témoigner.

Il faut sans doute relativiser un peu ces affirmations, en replaçant l’écriture de l’évangile de Matthieu dans son contexte : Matthieu s’adressait à une communauté juive, fortement teintée d’universalisme, mais aussi aux craignant-Dieu et aux païens : ce jugement était sans doute d’abord une adresse aux dignitaires religieux juifs : ceux qui ont écouté la Parole et ne l’ont pas entendue seront exclus du Royaume, ce qui s’adresse aussi bien entendu à chacun d’entre nous.

Puis vient la conclusion de cette parabole qui est de nouveau une référence au jugement dernier, tout comme le moissonneur : «  Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on enlèvera même ce qu’il a. » Celui qui a reçu la Parole et qui ne l’a pas entendue, celui à qui la grâce a été donnée et qui ne l’a pas reçue ni fait fructifier, à ceux-là, la joie du Seigneur leur sera refusée, et la porte du Royaume fermée.

Cette parabole des talents est donc une métaphore de notre vie de chrétien. Le Seigneur nous a confié ses talents, c’est-à-dire sa grâce et sa Parole. Dans l’absence du Seigneur après sa passion, sa mort et sa résurrection, nous devons faire fructifier tous les talents, les nôtres et la grâce du Seigneur, car comme le dit l’apôtre Paul «  Nous devons rendre grâce pour toutes choses » (1 Thessaloniciens, 5,18). En réponse à la grâce , don gratuit du Seigneur, nous devons y répondre par notre foi, faire fructifier la grâce et apporter notre témoignage.

Amen

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