Lecture Biblique : Marc 4, 1-9
Prédication :
Jette ton pain à la surface du web… dit l’Ecclésiaste (11,1) et, avec le temps, tu le retrouveras… Comme nous tous, Jésus s’est retrouvé confiné. Avait-on enfin trouvé le moyen de le réduire au silence ? Alors confinement oblige, finis les cultes, messes, célébrations de mariage, obsèques et autres baptêmes ? Exit la communion fraternelle, eucharistie et autre Sainte Cène ? Terminés les enseignements, études bibliques, méditations, homélies, sermons et autres prédications ? Enfin, la religion réintégrait le for intérieur. Privée de vie et d’expression publique, la foi se devait de redevenir une question purement privée. Couché ! A la niche ! Et surtout sans aboyer pour pas déranger les voisins !
Après un temps de réflexion et Jésus se remit à enseigner… au bord du web, cet océan de données liquides sans aucune frontière, sans délimitation public et privé, vrai ou faux, juste ou injuste… Et il se rassemble auprès de lui une foule si nombreuse qu’il monte dans la barque et se met à l’eau et s’y assied. A son tour, il décide de dominer cet outil internet qui est là devant lui, menaçant et intriguant à la fois. Il décide de monter à bord, bien résolu à parler à cette foule innombrable qui ne sait pas trop ce qu’elle cherche. Toute la foule était à terre prête à tout pour sortir, s’échapper, vivre malgré l’enfermement. Alors il décida de jeter son pain à la surface du web. Zoom, Skype, Clickmeeting, Restream, FaceBook Live, Instagram, YouTube Live, Linkedin… n’avaient plus de secret pour lui. Il les instruisait longuement par des paraboles et, dans son enseignement, il leur disait : Attention, écoutez-bien, tendez l’oreille parce que ce que je vais dire est important. J’ai pour vous une Parole qui vient de Dieu. Il vous suffit d’avoir des oreilles pour l’entendre. Aucun mot de passe demandé, aucune compétence préalable, aucune hotline pour résoudre des problèmes de connexion. Alors écoutez bien. Tendez l’oreille et le cœur aussi si vous le pouvez. Et Comprenne qui pourra ou A bon entendeur, Salut ! ou si vous préférez cette traduction : Que celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende !
Comprenons bien ceci : cette histoire de semeur sorti pour semer ne parle pas de nous mais de Dieu. Elle raconte sans expliquer ce que Dieu fait, son mode d’action et d’interaction avec le monde. Comme vous utilisez le chat pour interagir avec nous sur le web, voilà comment Dieu interagit avec nous. La semaine dernière, nous évoquions la nécessité pour les chrétiens de trouver le bon moyen d’interagir avec le monde. Il s’agissait de chercher d’abord le Royaume de Dieu et sa justice en évitant le double écueil de la posture qui dénonce et de l’adhésion servile avec le monde. Sans doute que cette histoire peut nous aider à y voir plus clair sur la manière que Dieu choisit d’employer pour se rendre présent au monde.
Le semeur sorti pour semer. Première surprise. Dieu est un semeur et rien d’autre. Il n’est ni absent ni surveillant silencieux. Ni inspecteur de police ni réviseur des comptes, ni Père fouettard ni Mère abusive. Il n’est que semeur. Et il jette sa semence quel que soit le terrain sans chercher à distinguer, choisir, discerner, sélectionner. Que ta vie soit une route goudronnée par le tabac et autres produits cancérigènes, qu’elle soit encombrée de cailloux qui alourdissent tes poches comme des poids morts que tu trimbales partout avec toi, qu’elle soit étouffée et que tu manques d’air, empêtré que tu es dans ces ronces qui te lacèrent à chaque mouvement ou que tu sois disponible pour recevoir dans le terreau fertile de ton existence une graine qui va porter du fruit, Dieu ne choisit pas les meilleurs. Il donne à tous la même dose de semence du Royaume.
Et remarquez qu’il ne demande pas aux terrains de changer ! En général nous imaginons un Dieu immuable et immobile dans son Royaume et un monde qui bouge et qui change tout le temps dans un mouvement perpétuel de plus en plus rapide. La parabole nous montre qu’il n’en est rien : en réalité, c’est le monde qui ne change pas et quelle que soit l’époque, il y aura toujours des chemins, des pierres, des ronces et de la bonne terre. Jésus nous parle d’un Dieu en mouvement qui se déplace pour semer ici et maintenant les germes de son Royaume. Il n’exige rien, il ne reproche rien. L’explication traditionnelle moralisante de la parabole viendra quelques versets plus loin. Les interprètes incorrigibles exigeront des efforts surhumains pour retirer les pierres et de couper les ronces de nos existences pour qu’elles deviennent de bonnes terres bien réceptives, bien obéissantes, bien convenables… Comment est-il possible de reprocher au chemin d’être ce qu’il est, aux oiseaux d’avoir faim, aux gens d’avoir des inquiétudes qui les brûlent ou des ennuis qui les étouffent. Non seulement vous n’y pouvez rien mais en plus vous en seriez coupables ? Quelle horreur et quelle ânerie. Le semeur n’est pas venu pour demander mais pour donner. Le Royaume est un cadeau.
Et ce cadeau est donné à tous, partout de la même manière. Dieu veut être omniprésent. Même là où personne de sensé n’irait, lui il veut y aller. Ne pensez pas qu’il soit un gaspilleur maladroit ou inconséquent. C’est un choix délibéré. Même là où personne ne veut de lui, même là où tout le monde s’en moque, même là où il n’a aucune chance de pousser, même là où il y a trop d’obstacles. Aucun lieu ne doit être privé de la présence de Dieu. Si infime soit-elle. Si désespérée soit-elle. C’est son choix. J’aime l’idée que nous ayons choisi de parler sur le net pendant ce confinement : c’est une concrétisation très fidèle de la parabole du Semeur qui choisit de semer partout même quand il n’a aucune chance de réussir. Jette ton pain à la surface du web !
Et le semeur sème partout sans compter, sans mesurer, sans calculer, sans un regard sur le résultat ou l’efficacité de son geste. Il s’en moque. L’efficacité, la croissance, la rentabilité, ce n’est pas son monde. C’est le nôtre. L’obsession des résultats et de la réussite, c’est notre problème, c’est notre angoisse, c’est notre croix aussi. En son nom, que de malheur sur terre, que de lits supprimés dans les hôpitaux, que de personnes au chômage, que d’enfants au travail… Le semeur n’est pas de ce monde. Il pense autrement. C’est une véritable semence du Royaume qui nous est offerte. Est-ce si difficile d’accepter qu’il puisse y avoir une part d’incertitude, d’échec, de perte, une part de mort dans notre existence ? Le Semeur nous montre la voie. Il sait que ce n’est pas facile partout. Il sait que lui-même sera rejeté, dénigré. Il sait qu’il devra souffrir et mourir et il ne le refuse pas. Nous si. Nous avons tellement peur. Lui il refuse de s’imposer par la force. Il renonce à contraindre la terre à produire à rendement forcé. Il accepte qu’il y ait une part d’échec inévitable sur le chemin, dans les pierres, dans les ronces. Le semeur nous démontre qu’il existe un pouvoir qui refuse de dominer pour réussir, une force qui s’interdit d’écraser pour s’imposer, une puissance qui renonce à contraindre et à violenter pour gagner. Il ne s’agit pas de miser sur la faiblesse et la petitesse. Il ne s’agit pas de dénoncer la réussite ou de dénigrer la croissance. Il s’agit d’accepter de perdre un peu, de donner gratuitement, de laisser s’envoler une partie des bénéfices mangés par les oiseaux…
N’allez pas croire que le semeur soit un idiot. N’allez pas croire non plus que la parabole fasse l’éloge de l’échec et de la petitesse. Non la mort et le manque ne sont pas des valeurs souhaitables en soi. Ce serait une erreur fatale que de penser que le semeur valorise la décroissance et fasse l’apologie de la souffrance. Il n’en est rien. Le semeur sait où il place sa force et sa puissance. Et il n’a aucun doute là-dessus. Sa confiance est inaltérable et elle lui permet d’assumer toutes les pertes, tous les investissements ratés, tous les échecs survenus. Sa réussite est placée dans la rencontre de la semence avec la bonne terre. Cette fois il est bien question de productivité et d’efficacité maximales. Rendez-vous compte des chiffres avancés : quand le livret A plafonne à 0,5% et que la rentabilité des marchés obligataires flirte avec les 10% dans le meilleur des cas, le semeur annonce un gain de un pour 30 au minimum ! C’est du 3 000, du 5 000 voire du 10 000 % ! Qui dit mieux ? N’y a-t-il pas là matière à effacer toutes les dettes, rattraper toutes les pertes, oublier tous les échecs ? Alors qu’attendons-nous pour continuer à jeter notre pain à la surface du web ? Ne nous laissons paralyser ni par la possibilité de l’échec ni par l’obligation de la réussite. C’est une question de confiance dans la qualité de la semence et dans la possibilité qu’elle rencontre une bonne terre. Jette ton pain à la surface du web… dit l’Ecclésiaste (11,1) et, avec le temps, tu le retrouveras… Alors, promis, comme le dit toujours le Terminator : we’ll be back !
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