Je ne serai pas le premier à vous dire que l’apocalypse est un texte difficile d’accès. Parce que truffé d’images symboliques, de mises en scènes démesurées, où les forces du bien terrassent les forces du mal. Un peu comme les combats de titans de la mythologie grecque, ou les combats entre les gentils et les méchants au cinéma. Un texte difficile d’accès, si on n’a pas un certain nombre de clefs de lecture. Pour autant, le livre de l’apocalypse est un texte passionnant. Le message de ce texte n’est pas d’annoncer une soi-disant fin du monde, comme le mot apocalypse le sous-entend dans notre langage moderne, mais le message consiste à révéler, à dévoiler (à lever le voile) qui est vraiment Jésus-Christ.
Par les évangiles, nous connaissons un Jésus qui mange et qui boit, qui pleure, et qui a, du coup, un visage très humain, mais l’apocalypse présente un Jésus roi du ciel et des nuées qui prend place dans l’ordre spirituel du monde. « De la part de JC, le témoin fidèle, le premier né d’entre les morts et le prince (le souverain, le chef) des rois de la terre ». (Ap 1, 5)
Dieu, la source de cette révélation, se présente dans notre texte comme l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin «Je suis l’Alpha et l’Oméga ». (Ap 1, 8)
Pourquoi Dieu utilise l’image de l’alphabet grec, en disant être la première et la dernière lettre ? Comme il pourrait dire : « Je suis le A et le Z » ? Pourquoi pas une autre image pour désigner les extrémités : par exemple je suis les racines et les branches, ou je suis les fondations et le toit… ?
L’image de l’alphabet est chère à Jean, le rédacteur de l’apocalypse, parce que pour lui la parole et l’écriture sont le lieu par excellence de la révélation de Dieu. Le Dieu qui occupe l’espace entre l’infiniment petit et l’infiniment grand, rejoint l’être humain sur son terrain modeste et limité, par sa parole. Rappelez-vous, dans l’évangile de Jean, nous lisons au début cette formule très connue : « Le verbe s’est fait chair ».
« Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu (…) et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme celle du Fils unique venu du Père » Jn 1, 1-2 ; 14
Autrement dit : la parole de Dieu est venue à nous en chair et en os. Comprenez : Jésus-Christ nous apporte la parole de Dieu. En effet, Jésus-Christ parle de la part de Dieu, par des actes et des discours, de manière limpide ou cachée. Comme dans toute communication humaine, comprendre ne va pas de soi, c’est souvent une démarche et un effort. Dieu parle aussi par la bouche des prophètes, par la bouche de toutes celles et ceux, qui, hier et aujourd’hui, mettent des mots sur leur vie intérieure, sur l’élan de l’inspiration et de la prière. « Je suis l’Alpha et l’Oméga ».
Frères et sœurs, Dieu investit l’alphabet, le champ de la communication verbale, propre aux êtres humains. Nous, nous utilisons imparfaitement ce champ de la communication verbale, mais il nous permet d’extérioriser ce que nous vivons au-dedans de nous, il nous permet de tisser des liens simples et complexes avec les autres, élargir notre compréhension de la vie, accéder au savoir et l’enrichir. Nous avons tous des exemples au sujet du pouvoir de la parole : ces paroles qui fondent, ces paroles qui orientent, ces paroles qui blessent ou ces parole qui guérissent. Voilà ce qui concerne la parole. Qu’en est-il de l’écrit ? de l’écriture ?
Dans le judaïsme le texte a un caractère sacré : il faut lire la Torah avec assurance et élégance en utilisant un instrument en argent pour suivre les lignes (yad, la main ou etsba, le doigt). Chaque exemplaire est recopié à la main avec soin, la copie du texte est un acte de prière, de recueillement liturgique. Quand l’exemplaire est trop usé, il est enterré avec cérémonie. Le Christianisme, dans son histoire, a aussi donné de l’importance aux textes, transmis scrupuleusement par des générations de moines copistes. Mais au 16ème siècle, l’émergence du protestantisme, au sein de la chrétienté aidera à quitter une notion de texte sacré, pour une notion de message sacré du texte. En mettant l’accent sur l’interprétation des écritures bibliques.
Autrement dit : ce qui est important ce n’est pas le texte à la virgule près, mais ce qui est important c’est ce que je reçois du texte, comment il me parle. Et l’imprimerie aidera à la diffusion de la Bible, à la vulgarisation du texte, mise à la portée de tous. Vous avez peut-être entendu des catholiques dire : « ah ! vous les protestants, vous avez redécouvert la Bible, la Parole de Dieu, vous êtes l’Eglise de la parole. » C’est trop d’honneur. Les protestants ont peut-être à cœur la lecture de la Bible mais qu’ils se gardent bien de s’en croire propriétaire. La Parole dépassera et traversera toujours les différentes dénominations chrétiennes qu’on soit protestant réformé, orthodoxe de type roumain ou catholique tendance jésuite. Nous sommes Eglise de la Parole ensemble. Si nous sommes Eglise de la Parole, c’est avec d’autres, car nous cherchons et prions pour recevoir cette Parole. Soyons fidèles à nos convictions : la parole de Dieu, c’est ce que chacun reçoit dans son cœur de la part de Dieu, et ce qui le fait avancer. La parole de Dieu avant d’être une parole dite, est une parole reçue.
Venons-en au texte de l’Evangile de ce jour, chez Jean. Pilate est face à face avec Jésus. On le lui a amené pour qu’il rende un jugement à son égard. L’interrogatoire se passe en bonne et due forme, il commence par la recherche de chef d’accusation. « Qu’est-ce que tu as fait ? »
Pilate est déstabilisé parce que Jésus n’a rien fait, il a juste parlé. Il a affirmé être roi d’un royaume invisible. Le royaume de la vérité. C’est à dire le lieu au-delà du langage, où toute chose trouve son sens. Pilate termine avec cette question « qu’est-ce que la vérité ? ». Il n’attend pas de réponse comme si sa question était une affirmation. C’est comme si Pilate disait : « Le langage ne peut pas mettre la main sur la vérité absolue, le langage ne peut que s’en approcher. Toi, tu dis que tu es roi, que tu apportes la vérité, tu as le droit de dire ce que tu veux, s’il y a des gens pour te croire. »
Aujourd’hui ce dialogue nous interpelle et nous renvoie à cette question « qu’est-ce que la vérité ? ». Je vois deux possibilités pour répondre à cette question :
Premièrement : La vérité est une chose cachée, comme un trésor qu’il me faut découvrir. Le problème c’est que, si je trouve ce trésor, je pourrais me considérer comme riche, supérieur à des pauvres qui ne l’ont pas trouvé. Dans cette disposition : je risque de me croire meilleur que les autres, parce que je possède quelque chose que les autres n’ont pas. Je peux vouloir l’imposer aux autres, ils peuvent vouloir me le prendre. Ainsi naît l’intégrisme, ainsi naît la violence.
Deuxièmement : La vérité n’est pas une chose extérieure à moi, mais une chose intérieure qui fait que mon être trouve sa résonance, son harmonie. Quand je tiens quelque chose pour vrai, je me trouve structuré, je trouve un appui pour vivre, pour donner du sens à l’existence. La vérité comme un point de départ pour une aventure intérieure, une quête, un chemin. Et inévitablement, je vais trouver en face de moi des gens pour qui ma vérité n’est pas la leur, mais peu importe car je ne prétends pas que ce que je vis, ils doivent le vivre également.
En somme, à chacun sa vérité. Deux possibilités pour répondre à cette question : « Qu’est-ce que la vérité ? »
Frères et sœurs, Le texte nous dit autre chose. Quand Jésus parle avec Pilate : il ne dit pas j’ai la vérité absolue, ni j’ai une vérité. Il ne dit pas : « j’ai », il dit : « je suis ». Je suis la vérité. La vérité ne relève pas de l’avoir mais de l’être. Cela, les chefs religieux qui tenaient à leur pouvoir, ne pouvaient pas l’admettre, parce qu’il est plus commode de dire « j’ai la vérité » quand on veut dominer les autres.
Pilate, lui, se montre indifférent parce qu’il ne se sent pas concerné. Il tient fermement entre ses mains le pouvoir politique et militaire, et Jésus à cet égard n’est pas un concurrent qui pourrait le détrôner. Pour nous, que la vérité ait le visage de Jésus, cela nous invite tout simplement à le suivre. Suivre son enseignement, ses gestes et ses paroles. Pour marcher dans les pas de celui qui est la vérité. Celle qui nous aide à comprendre qui nous sommes et quelle est notre voie. Mais rappelons-nous que Jésus n’a pas dit : « Soyez comme moi », il a dit : « Suivez-moi »… En méditant sur sa vie et sur ses paroles, en nous recueillant dans la prière, nous trouvons pas à pas, les lettres pour écrire notre vie. Notre vie est dans les mains de Dieu, entre l’Alpha et l’Oméga.
Amen
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