« Je viens vers vous »

Situer le passage biblique : Jésus a passé la dernière soirée avant son arrestation en partageant un repas avec ses disciples. Là où les évangiles de Mt, Mc et Lc culminent avec l’institution de la Cène, chez Jean, un tout autre geste est rapporté ; Jésus lave les pieds de ses disciples en signe d’amour et de service. Toujours à la différence des évangile synoptiques, après le repas, Jésus s’exprime de façon circonstanciée sur sa mort prochaine en prononçant deux discours d’adieu, puis en concluant par une majestueuse prière connue sous le nom de « sacerdotale ».

Zoom sur le discours d’adieu : Il s’agit d’un usage bien connu, aussi bien de l’AT que du monde grec. Dans ce testament, Jésus fait tout d’abord le bilan de son action, puis il met en place les dispositions qui permettront de poursuivre son œuvre. Si la première partie du discours approfondit le sens du départ de Jésus non pas comme une fin mais l’ouverture d’un nouveau chemin, la deuxième partie du discours que nous lisons et méditons ce dimanche (Jn 14, 18-26) précise comment le Jésus retourné auprès du Père vient au milieu des siens après Pâques. Cette venue n’est pas repoussée à la fin des temps mais elle advient dans la vie de chaque croyant. Elle se réalise dans la venue du Paraclet (du grec Parakletos qui signifie le Saint-Esprit chez Jean) qui permettra aux croyants à la fois de se souvenir de l’histoire de Jésus et d’en discerner l’actualité dans leur quotidien. C’est la raison pour laquelle les disciples ne doivent pas succomber au chagrin et à la crainte, mais être remplis de la véritable paix que leur donne Jésus désormais élevé auprès du Père.

Frères et sœurs en Jésus Christ,
Souvent une question peut en cacher une autre. « Seigneur, comment se fait-il que tu doives te manifester à nous et non au monde ? » Jn 14, 22

Au moment où Jésus annonce sa disparition dans un grand discours d’adieu qui prend l’allure d’un Testament pour dire ses dernières volontés, qu’entendons-nous derrière cette question posée à Jésus par l’un de ses disciples ? Quand Jude s’adresse à Jésus et lui dit : Seigneur, comment se fait-il que tu doives te manifester à nous et non au monde ? Il y a cette notion de retrait : le Christ doit disparaître pour que les disciples assument leurs propres vocations et leurs propres responsabilités. Dans son ministère, le Christ n’a de cesse de viser pour son interlocuteur, homme ou femme, l’émergence d’individus libres et responsables. Pour aller au but, au bout de sa mission, il faut qu’il se retire. Mais il y a encore autre chose. Derrière la question de Jude, nous entendons effectivement une inquiétude. Et il me semble que cette inquiétude peut se décliner en plusieurs questions :

  • Comment se fait-il que la lumière de Pâques ne brille pas partout dans le monde ?
  • Comment se fait-il que notre monde doive encore porter ses souffrances, ses injustices, ses déchirures ?
  • Comment penser le lien entre l’Église et le monde (le kosmos dans l’évangile de Jean) … ?
  • Y a-t-il un « nous » ici et un « eux » là-bas ?

Frères et sœurs,

derrière la question de Jude se cache effectivement l’inquiétude de l’Église johannique, habitée par un fort sentiment de vivre entre deux mondes, entre l’absence et la présence du Christ, entre la promesse de la venue de l’Esprit-saint et les injustices, voire les persécutions, qui perdurent et se multiplient. Une Église qui se sent tout d’un coup orpheline, en recherche d’une maison, d’une demeure, en quête de repères.

Frères et sœurs,

l’Évangile de ce matin vient à la rencontre de cette inquiétude qui est en même temps la nôtre. Nous sommes frappés par le langage-consolateur de Jésus dans cette page d’Évangile :

Je ne vous laisserai pas orphelins (v. 18)
C’est le Consolateur, le Saint-Esprit que le père enverra en mon nom (v. 26)
Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix (…) que votre cœur ne se trouble pas et ne s’alarme pas (v. 27)
Mon père et moi nous viendrons vers celui qui m’aime et nous ferons notre demeure chez lui (v. 23). 

Vous l’entendez, tout l’Évangile se mobilise pour atténuer la tristesse, pour porter le chagrin, pour ouvrir sur l’espérance, pour mettre debout. Par une multitude de paroles profondes, l’Évangile nous dit sans cesse : courage-courage-restez ensemble, ne te prive, ne vous privez jamais de la joie promise ! Oui, restez ensemble, restez en lien les uns avec les autres, proches les uns des autres, et pour les autres. Car ceci est bien le sens de la demeure de Dieu parmi les hommes. Si Dieu veut prendre sa demeure auprès de toi, auprès de nous, c’est bien pour que nous restions liés par un lien d’amour fraternel.

Après avoir lavé les pieds de ses disciples en signe de soumission mutuelle, de service, Jésus leur donne un commandement nouveau : « Aimez-vous les uns les autres ; comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres. A ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres ».

La doctrine de la trinité, c’est-à-dire, cette distinction entre les manières employées par Dieu pour se tourner vers nous, en tant que Père, Fils et Saint-Esprit, ne vise que ça : une circulation dynamique et aimante entre les personnes. Le pôle aimanté de la boussole pour orienter la carte de notre vie ! Cela signifie frères et sœurs que notre vie ne s’enferme pas, qu’elle garde toutes les fenêtres ouvertes pour se mettre en communion avec les uns et les autres, et avec la création tout entière, au sein du monde.

Demeurer et aimer

Le Père et le Fils prennent leur demeure auprès de celles et ceux qui gardent sa Parole. Et c’est justement par et grâce à cette parole que le Christ ressuscité affirme sa présence. C’est par l’écoute de la Parole du Christ, vivifiée par l’Esprit-Saint que Dieu affirme sa présence, comme autrefois quand il prenait sa demeure dans le sanctuaire, dans le temple de Jérusalem pour vivre près de son peuple. S’il est vrai que la communion avec le Christ ressuscité se vit au rythme de la Parole écoutée et dans un lien d’amour, ajusté à une vie intérieure, cela ne nous dispense pas d’être dans le monde et d’entendre l’exhortation et l’appel de l’apôtre Paul dans la première épitre aux Corinthiens d’être le temple, la demeure de Dieu, d’être ce lieu qui accueille la présence de Dieu au sein du monde pour y être son témoin.

« Vous êtes le temple, la demeure de Dieu »

Là où vous vous trouvez en communauté vivante, habités par le Christ. Là où vous vous laissez entraîner sur les pas du Christ, pour être un signe vivant de sa présence au milieu des hommes, pour leur annoncer et témoigner de l’Évangile. « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? » 1 Co 3, 16

Qu’on ne se trompe pas ! Être le temple de Dieu, ce lieu où Dieu peut prendre sa demeure, ne signifie pas que nous sommes appelés à vivre notre foi dans des lieux et des moments sacrés, coupés du monde, mis à part. Justement, la réponse à Jude renvoie au monde, dans le monde. Il n’y pas de séparation entre nous et le monde. Je vous la rappelle cette réponse : « Jésus dit à Jude : Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera ; nous viendrons vers lui et nous ferons notre demeure chez lui » Jn 14, 23

Frères et sœurs,

Le Christ se manifeste au sein du monde par son Église vivante qui écoute sa parole et la vit dans une communion d’amour. Son appel nous encourage à combattre toute forme de sacralisation, toute forme de fanatisme religieux, tout enthousiasme destructeur qui cherche la  Consécration de l’homme ou de ses idéologies. Le fondement de la demeure de Dieu reste Jésus-Christ, nous vivons la présence du ressuscité au sein du monde. Si Dieu veut prendre sa demeure en nous, c’est bien pour qu’Il puisse être présent au monde par sa Parole écoutée et annoncée et par son Esprit. Oui, c’est bien grâce au Saint-Esprit que nous sommes capables de vivre une communion d’amour dans laquelle la Parole de Dieu peut prendre sa demeure et s’enraciner dans nos cœurs. Je vous invite à la prière :

Seigneur,
Je voudrais te prier comme un ami qui s’est absenté.
Mais à toi, je ne dirais cependant ni : quand reviendras-tu, ni : où es-tu ?
J’ai cru entendre que ce n’était pas constructif pour moi, pour nous, pour nous deux.
De même je ne te dirais pas : pourquoi n’es-tu pas là, sur terre, comme un appui tangible et solide sur lequel je pourrais asseoir ma confiance ?
Puisse ta parole m’aider à aimer comme tu m’as aimé, et à nouer avec toi une nouvelle relation de confiance.
Le simple fait de pouvoir méditer ta parole est déjà pour moi une bénédiction.
Que ton esprit me soutienne et m’affermisse.
Amen !

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