J’ai deux églises en moi…

Lecture Biblique : Actes 2,1-11

Prédication :

Au commencement, il y avait deux églises. Pas une mais deux.

Il y avait l’église du dedans qui se rassemble au même endroit, qui tient chaud et se soutient dans l’adversité. Et puis il y avait l’église du dehors, celle qui se dit dans toutes les langues et qui parle à tout le monde. Au commencement, il y a deux églises mais elles ne le savent pas. Elles n’en ont conscience ni l’une ni l’autre et chacune se pense seule, unique, légitime héritière.

Bien malin qui prendra le risque de juger l’une… ou l’autre.

L’une est fille de la fidélité. Elle est communauté. Elle s’appelle église locale, paroisse, temple… Elle est amour vécu et partagé dans des relations étroites et bien réelles, celles des gens que l’on connaît par le prénom, celle des enfants que l’on a vu naître, qu’on a baptisés et qu’on embrasse à la sortie du culte. A la fois des amis, des frères, des sœurs, des compagnons au sens fort du terme, celles et ceux avec qui j’ai partagé le pain depuis toujours. Une famille, quoi ! Avec ses chamailleries de famille et ses inévitables trahisons (quand on pense à Pierre qui a renié 3 fois ou à Judas et son rapport difficile à l’argent). Mais une famille fondée sur des liens à l’épreuve du temps et des orages. Celle-ci a souffert durement à cause du confinement parce qu’il lui était impossible de se retrouver dans la maison de famille, le temple (son temple). Et, comme elle dit, le « vrai » culte lui manque : la liturgie, les cantiques, le pasteur en robe, le message proclamé du haut de la chaire, l’école biblique, la chorale… Et puis la sortie du culte, le café, le papotage entre copines… Elle ressent un manque et elle se prépare aux retrouvailles avec délectation et jubilation. Ah ! quelle joie ce sera quand on va se retrouver enfin ! Elle est actuellement sevrée mais elle est solide. Elle en a vu d’autres. Elle a en elle le trésor inestimable de sa mémoire huguenote, le Désert, le Refuge. Et tous les combats pour rester là, debout, malgré tout. Proclamer l’Évangile. Donner à penser. Bâtir à l’épreuve du temps. Celle-ci vous transmet une identité forte, une histoire longue, vivante, avec de véritables racines. Cette église-là est fille de la parole donnée et de la promesse tenue. Elle s’appelle transmission et engagement. On peut compter sur elle.

L’autre est fille de l’aventure et du vent. Elle est née pour sortir, voyager, rencontrer, questionner, imaginer, inventer, contester peut-être, se risquer souvent, baragouiner toutes les langues, refuser toutes les frontières et braver les limites. Toujours en quête d’universel, elle aime ce qui est différent. Elle part à la rencontre de ce qui vient d’ailleurs : Parthes, Mèdes, Elamites, habitants de Mésopotamie, de Judée, de Cappadoce, du Pont, d’Asie, de Phrygie, de Pamphylie, d’Égypte, de Lybie… et d’ailleurs. Le monde entier est son terrain de jeu. Elle se sent irrémédiablement attirée par les migrants, les inconnus, les musiques et les plats venus du bout du monde. Elle ne rechigne pas à se frotter au monde des mécréants, des incroyants, des hérétiques, des chercheurs de l’absolu parce qu’elle refuse de se laisser enfermer dans un catéchisme ou une dogmatique. Les idées farfelues, les projets novateurs, les défis impossibles ne lui font pas peur. Elle se moque d’être considérée comme folle ou ivre. Au fond, cela ne lui déplaît pas de susciter l’étonnement et l’interrogation : tout sauf l’indifférence, tout sauf l’insignifiance. Autant l’une est discrète, autant l’autre est exubérante. Elle, elle a vécu le confinement comme une formidable opportunité d’ouverture et d’aventure, créant des cultes autrement, se réjouissant de trouver un public nouveau, de croiser la route de nouvelles personnes arrivées là par hasard (?) ou, qui sait, par grâce. Elle a aimé la nouveauté des outils qui lui donnent la possibilité d’être présente sur le web. Zoom, Facebook, YouTube, Clickmeeting, WhatsApp, Restream… n’ont plus de secret pour elle. Elle fait feu de tout bois et toutes les opportunités sont bonnes. L’important pour elle c’est d’être là, dehors, sel de la terre et lumière du monde. Semence jetée à tous vents et à profusion, quel que soit le terrain. Chemin, pierres, ronces ou bonne terre, elle n’en a cure. Elle se sent à l’aise avec cette manière d’évangéliser en racontant dans toutes les langues les merveilles de Dieu sans aucun moyen de forcer le passage. Donner sans compter. Offrir sans idée de retour. Semer sans prétendre récolter. Cette église-là n’a peur de rien. Elle est fille de la confiance et de la liberté.

Entre les deux mon cœur balance. Il n’est pas donné à tous d’être membre des deux. Il n’est même pas forcément nécessaire ou exigé de tous d’être membre des deux. On peut légitimement avoir sa préférence en fonction de son histoire personnelle et familiale, de sa manière de vivre et de penser sa foi. Mais sans doute faut-il commencer par arrêter de s’ignorer l’une l’autre. Et encore, dans le meilleur des cas, on ne se connaît pas. Mais il arrive bien souvent que, sans vraiment se connaître, l’on se méprise secrètement ou que l’on se dénigre à mots couverts. Caïn et Abel. Jacob et Ésaü. Rachel et Léa. Les deux fils du père prodigue… Stop ! Arrête !

L’une ne peut pas dire : « Le vrai culte c’est ici et le reste n’est qu’un pis-aller ou un ersatz », renvoyant sa sœur cadette au virtuel, au superficiel, à l’inconsistance, lui déniant même le droit d’exister ou alors faisant valoir son droit d’aînesse, sa prééminence : « Le plus important, c’est nous ! Et si on a le temps et l’argent on verra plus tard. »

L’autre ne peut pas dire non plus : « Je n’ai pas besoin de toi parce que je suis, moi, le chemin, la vérité et la vie ! » Elle ne peut pas préempter la vitalité et le dynamisme et confondre sans autre la modernité avec la vérité, rejetant sa sœur aînée dans l’obscurité des sacristies ou l’insignifiance désuète d’un passé révolu, d’une survivance ancestrale.

L’une revendique la vérité et l’autre revendique la liberté. Mais il ne faudrait pas que notre amour de la vérité devienne plus fort que la vérité de notre amour !

C’est pour cette guérison-là qu’il nous est nécessaire, à tous, de revenir à l’instant fondateur de la naissance du christianisme, ce matin de Pentecôte et de fêter ensemble notre anniversaire commun. Redécouvrir que ces deux églises sont sœurs jumelles mises au monde au même moment, par le même Esprit. C’est pourquoi je vous le déclare personne ne peut déclarer : « Jésus est le Seigneur ! », s’il n’est pas inspiré par l’Esprit saint. 4Il y a diverses sortes de dons spirituels, mais c’est le même Esprit qui les accorde. 5Il y a diverses façons de servir, mais c’est le même Seigneur que l’on sert. 6Il y a diverses façons d’agir, mais c’est le même Dieu qui opère tout en tous. 7En chacun l’Esprit saint se manifeste par un don pour le bien de tous.

Laquelle peut prétendre être supérieure ou simplement prioritaire sur l’autre ? Laquelle peut s’imaginer vivre seule sans avoir besoin de sa jumelle ? Laquelle peut revendiquer prendre toute la place dans le cœur de Dieu ? Il n’est pas seulement question de se côtoyer, de se supporter, d’arrêter de s’ignorer ou de médire l’une sur l’autre. Il est bien question de prendre conscience qu’elles ne peuvent pas se passer l’une de l’autre. Aucune ne peut prétendre à la totalité, la pleine ecclésialité comme disent les spécialistes de l’œcuménisme. Elles doivent savoir qu’elles ont besoin l’une de l’autre pour exister. Elles sont interdépendantes. Et si l’une souffre, l’autre tombe malade. Si l’une meurt, l’autre disparaît. Cette question se joue ici et maintenant au sein de chaque Église locale en sortant de la crise sanitaire et qui se demande ce qu’elle va faire maintenant. Elle se joue entre les différents courants spirituels qui traversent notre Église. Elle se joue entre les églises chrétiennes au sein du christianisme. L’Église du Christ est à la fois refuge et ouverture, vérité et liberté, enracinement local et universalité. Allez les amis, puisque c’est notre anniversaire, il est temps pour nous de « prendre langue » !

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