Prédication pour le Dimanche de Pâques
Texte biblique : Marc 16, 1-8
Mes amis, je vous invite à fermer les yeux, à oublier tout ce que vous savez déjà pour simplement revivre la scène de ce matin de Pâques comme si vous y étiez vous-mêmes. L’Evangile de Marc veut nous entraîner dans l’histoire de ces femmes, revivre ce qu’elles ont vécu, ressentir ce qu’elles ont ressenti. Les femmes sont là. Une fois de plus elles ont répondu « présent » et elles n’ont pas fui. Elles étaient là au moment de la crucifixion à regarder de loin. Elles étaient là au tombeau à regarder là on l’a déposé en vitesse juste avant le début du sabbat. Elles sont là quand tous les hommes se sont comportés comme des lâches.
Ceux qui se réserveront les premières places, les titres et les fonctions éminentes, laissant les femmes à la cuisine et aux tâches ménagères, si possible voilées, ne sont pas là tôt ce matin. Peut-être qu’ils dorment encore ? Elles se sont levées avant l’aube. Elles sont allées acheter les aromates et le matériel nécessaire pour la toilette mortuaire. Suivons-les sur le chemin du tombeau. Elles aussi elles discutent entre elles : « Qui va rouler pour nous la pierre de devant le tombeau ? » Elles savent qu’elles vont devoir affronter une difficulté très grande, un obstacle énorme. Elles connaissent les limites de leurs forces : elles vont avoir besoin d’aide pour déplacer cette montagne. Elles savent cela et pourtant, elles ne renoncent pas. Elles y vont quand même. Elles vont affronter la difficulté sans fuir, sans nier la réalité. Certainement déçues, oui, sans aucun doute, mais elles assument. Elles savent que le seul moyen de faire face à la mort de celui qu’on a aimé, c’est d’accomplir les rites du deuil. Le sens du devoir pour accomplir ce qui doit être accompli malgré toutes les difficultés. La capacité à affronter les obstacles, à les regarder en face sans les nier. La conscience de ses limites pour savoir demander de l’aide quand la tâche est trop lourde.
Et pourtant… Les choses ne se passent pas du tout comme elles auraient dû se passer. Au moment où elles lèvent les yeux pour regarder leur problème en face. Elles se rendent compte que le problème a déjà été réglé avant même qu’elles n’arrivent sur place : La pierre a déjà été roulée ! Par qui ? Rien n’est dit. Nul ne sait en réalité. Et Marc ajoute : et pourtant c’était une pierre énorme… Ce n’est pas pour les rassurer. On sent l’inquiétude monter mais elles ne reculent pas.
Elles entrent dans le tombeau et nous les suivons, juste derrière elles. Nous regardons ce qu’elles regardent, nous ressentons ce qu’elles ressentent. La scène que Marc nous raconte est très réaliste : rien de merveilleux, pas de sensationnel, pas de commentaire… juste une sourde inquiétude qui monte devant ce que personne ne peut comprendre, une angoisse qui monte en nous devant ce qui n’est pas prévu et qui bouscule ce qu’on croit savoir.
Les yeux mettent un peu de temps à s’habituer à la pénombre à la recherche du corps de Jésus. Elles regardent à gauche, elles regardent à droite… et tout à coup elles se rendent compte qu’il y a quelqu’un assis là à droite. C’est un jeune homme (pas un ange) entièrement drapé de blanc. Et là elles hurlent de peur. La Bible parle de frayeur, d’épouvante. Un peu comme dans les films d’horreur quand la caméra suit au plus près le héros dans le noir avec une simple lampe torche et que d’un coup quelqu’un arrive par la droite. On ne peut pas s’empêcher de sursauter, de pousser un cri de terreur.
Le jeune homme a tout fait pour les rassurer, pour faire tomber leur frayeur : « Ne soyez pas effrayées ! Vous cherchez Jésus, le Nazaréen crucifié. Il est ressuscité. Il n’est pas ici. Regardez l’endroit où on l’avait posé. Mais allez dire à ses disciples et à Pierre qu’il vous précède en Galilée, c’est là que vous le verrez, comme il vous l’a dit. » Et pourtant rien ne fonctionne. La peur (l’effroi) est plus forte que tout, même pour ces femmes si courageuses. Et l’Evangile de Marc se termine brutalement sur ces mots : Elles sortirent et s’enfuirent loin du tombeau car elles étaient toutes tremblantes et hors d’elles. Et elles ne dirent rien à personne car elles avaient peur.
Qui leur jettera la pierre ? Quel est celui qui osera se lever pour leur faire le moindre reproche ?
Et pourtant, je le répète parce que je veux bien marquer vos esprits de cette vérité fondamentale : si elles se taisent, le christianisme n’existe pas. Si nous nous taisons, le christianisme n’existe plus.
Voyez-vous mes amis, ce qui bloque l’Evangile dans notre vie et dans notre monde, ce ne sont pas les obstacles qui se dressent sur notre chemin et qui nous semblent insurmontables. Comme ces femmes qui arrivent au tombeau le matin de Pâques, nous savons nous aussi que nous avons besoin des autres pour nous aider à rouler les grosses pierres qui se mettent en travers de notre route. Non, décidément le problème n’est pas là. Je dirais même, bien au contraire ! Y a-t-il témoignage plus fort que de recevoir un sourire, une main tendue, un soutien fraternel quand on traverse une passe difficile ? C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que tous sauront que vous êtes mes disciples. (Jean 13, 31-35) Quand on y réfléchit bien, les difficultés de la vie ne constituent pas un véritable obstacle à la foi. Il arrive même que dans l’adversité on redécouvre sa foi par la grâce d’une entraide fraternelle qui relève. Je dirais même que c’est la vocation spécifique de l’Entraide que de rouler les pierres énormes qui barrent la route des plus vulnérables, de les aider à se relever, à se remettre debout. L’Entraide, c’est LE véritable agent propagateur de la résurrection. C’est ce que je crois.
D’autres pensent que le véritable obstacle à la foi chrétienne, c’est la Croix parce qu’elle offrirait une image de l’Evangile et de l’Eglise triste, doloriste, tournée vers la souffrance et la mort. Il arrive même qu’on retire les Croix de certains temples. Moi je crois fondamentalement l’inverse. De la même manière que la mort du colonel Beltram était nécessaire pour que les otages vivent et que son sacrifice a permis à notre nation de reprendre courage et fierté, il fallait dit l’Evangile que le Fils de l’Homme souffre et meurt sur la Croix pour le salut de l’Humanité. Il a offert sa vie pour s’interposer et affronter la mort pour que justement nous puissions vivre sans avoir peur de la mort. Voilà pourquoi il est impératif qu’il y ait une grande Croix dans notre temple et que cette croix soit vide sans crucifié dessus. Mettre une représentation de Jésus sur la Croix, voilà qui serait particulièrement morbide à mes yeux. Mais la croix vide que nous allons replacer dans ce temple doit être un véritable symbole de victoire : « Mort où est ta victoire ? Mort où est ton aiguillon ? » (1 Co 15,55). On pourrait presqu’imaginer une croix avec des pousses vertes, des bourgeons, ou une plante qui s’enroulerait autour comme un lierre en symbole de la vie qui surclasse la mort de toute sa puissance et de toute sa beauté.
En fait, si on écoute ce que dit l’Evangile de Marc, ce qui provoque l’arrêt de l’Evangile, c’est la peur. Elles ne dirent rien à personne parce qu’elles avaient peur ! Si le christianisme meurt, ce sera à cause de notre peur. Peur de parler clairement, peur de transmettre à nos enfants, peur d’affirmer nos convictions sereinement. La peur c’est l’opposé de la foi, de la confiance, de la sérénité. La peur c’est la figure même du péché. Pourquoi avez-vous peur gens de peu de foi (Matt 8,6), demande Jésus lors de la tempête sur le lac. Réfléchissez-bien : la seule chose qui bloque votre vie, c’est votre peur. La seule chose qui nous empêche de partager nos convictions, c’est notre peur. Et chacun essaie de gérer sa peur comme il peut en inventant des stratégies, en se fabriquant des sécurités, en contractant des assurances pour ne plus avoir peur, en s’immergeant dans du divertissement et des écrans pour oublier la peur… Mais en ce jour de Pâques, Dieu vient balayer tout cela : c’est lui qui a roulé la pierre, c’est lui qui a ressuscité Jésus, c’est lui qui a envoyé le jeune homme dans le tombeau parler aux femmes… C’est lui qui vient balayer toutes nos fausses sécurités. C’est lui qui vient retirer nos béquilles pour que nous n’ayons aucune autre solution que de marcher vers lui pour l’appeler au secours. Il vous attend en Galilée… Eglise de Jésus Christ, oublie tes fausses sécurités et viens, suis-moi dit le Seigneur : j’ai une mission pour toi…
- Je veux te faire entrer dans la Mission de Dieu. Rappelle-toi : Il vous précède en Galilée… Le premier défi pour rouler la peur, c’est de nous rappeler que Dieu est déjà présent, déjà là, déjà à l’œuvre. Il nous précède… L’évangile ne commence pas avec nous : Au commencement était la Parole (Jean 1,1) et à la sortie d’Egypte, l’Exode affirmait déjà que (13/21) : Le Seigneur lui-même marchait à leur tête : colonne de nuée le jour, pour leur ouvrir la route – colonne de feu la nuit, pour les éclairer ; ils pouvaient ainsi marcher jour et nuit. Dieu agit déjà dans le monde et il nous demande de prendre notre part dans son projet.
- Quand il affirme que Jésus nous précède en Galilée, le jeune homme nous renvoie au début de l’évangile : Jésus vint en Galilée et il proclamait l’Evangile de Dieu et disait : « Le temps est accompli, le règne de Dieu s’est approché : convertissez-vous et croyez à l’Evangile ! (Marc 1/14) Remettons donc les choses dans l’ordre. Ce n’est pas l’Eglise qui est première. Le problème n’est pas d’inventer une stratégie pour remplir le temple mais d’offrir à ceux qui sont bloqués dans leur vie par la peur l’occasion et la possibilité d’entrer dans le Royaume de Dieu. Là, ce n’est plus la peur qui règne mais la joie, la vie, le bonheur. C’est le salut qui est en jeu et non la survie de l’Eglise.
- Annoncer le Royaume de Dieu, c’est donc prendre notre part dans le combat de Dieu. Pour porter le OUI de Dieu à la vie, il faut oser affirmer le NON de Dieu à la mort et à la peur. L’Evangile nous pousse à entrer en résistance contre tout ce qui blesse et abîme la beauté de sa création, contre ces obstacles qui empêchent d’avancer, contre cette peur qui paralyse, contre cette injustice qui révolte. On s’oppose à de l’inacceptable. Dire non, c’est aussi entrer en repentance, oser demander pardon et ne pas se prendre pour des purs, comme si le péché ne nous concernait pas. Un protestant, c’est celui qui proteste pour l’Evangile et contre le Mal.
- Mais ce combat ne peut se mener qu’avec les armes de Dieu. Ce ne sont pas forcément des méthodes humaines. Parfois cela coïncide quand par exemple nous réfléchissons à une stratégie de communication qui appelle et valorise les talents et les compétences professionnelles des membres de l’Eglise et qui utilise les médias modernes au service de l’Evangile. Mais parfois cela diffère grandement : à l’esprit de comparaison et de domination nous opposons l’esprit de service, la valorisation de la fragilité et de l’humilité, les armes de l’esprit dont parle l’apôtre Paul en Ephésiens 6,13-18 (la vérité, la justice, la paix, la foi, le salut, la Parole), la prière comme geste de confiance dans la puissance du Père et surtout la plus importante de toutes : l’amour. Le chrétien est un radicalisé de l’amour, un intégriste de l’amour, un fanatique de l’amour inconditionnel de Dieu qui se donne à la Croix. Pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis (Jean 15,13) nous a rappelé le Colonel Beltram. Et puisque Dieu pose la nécessité d’une cohérence de la fin et des moyens, les agents choisis par Dieu pour porter son message d’amour sont des femmes et des enfants : souvenez-vous de ce verset que nous avons cité pour le baptême de Constance : Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas, car le Royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent (Marc 10,13), faisant écho au Ps 8,3 : Par la bouche des tout-petits et des nourrissons, tu as fondé une forteresse contre tes adversaires pour réduire au silence l’ennemi revanchard.
- Les opportunités de Dieu. Le Seigneur déplace la pierre qui bloque l’entrée du tombeau ouvre les portes. C’est lui qui libère le chemin. C’est lui qui ouvre les opportunités : notre rôle consiste donc à ouvrir les yeux, les sens pour regarder le monde avec les yeux de Dieu pour aller dans la direction que Dieu choisit. Ce que nous voyons comme des contraintes peuvent devenir des opportunités à saisir pour tenir notre mission. Pour parler des occasions données par Dieu, Calvin utilise l’image de la « porte ouverte ». Il ouvre les portes. A nous d’apprendre à discerner, à voir clair ! Se développe alors une doctrine de la collaboration avec Dieu. Dans chaque contexte, il y a toujours des surprises et de l’inattendu.
Je voudrais conclure d’une phrase. Ne retenez qu’une chose : le plus grand ennemi de l’Evangile, c’est notre peur ! En ce jour de Pâques, le Seigneur lui-même est venu rouler la pierre, nous ouvrir la porte et nous remettre en route. Nous voilà maintenant libérés pour prendre notre part dans sa mission. AMEN !