Voilà, Jésus est parti. Il n’est plus ici, il a été élevé vers le ciel. Nul ne peut plus le voir puisque la nuée le cache à leurs yeux.
C’est l’histoire d’un homme en voiture qui se trouve perdu au milieu d’une grande ville. Bien sûr, il a oublié son GPS, il n’arrive pas à se repérer sur la carte. Il ne sait plus où aller pour arriver à destination. Il s’arrête sur le bord de la route et demande des directions à un vieil homme qui passe par là. Celui-ci réfléchit longuement, et finit par dire : « Hmm, pour aller là-bas, monsieur, à votre place, je ne partirais pas d’ici ! » Voilà bien notre problème maintenant : comment pouvons-nous commencer le christianisme par un vide, un manque, une absence, une impossibilité de mettre la main dessus et de savoir où il est. « A votre place, je ne partirais pas d’ici ! » Quelle religion, quel disciple, quel fidèle accepterait de partir de là ? Il n’a pas dit à Pierre : « Tu es trou et sur ce trou je bâtirai mon Église ? » La peinture de Hans von Kulmbach nous le représente parfaitement :
Les disciples sont bien là, agglutinés les uns aux autres comme pour se rassurer, atterrés, sidérés, les bras ballants et l’œil hagard. Au milieu il n’y a plus rien. Un trou. Et on a beau lever les yeux, on ne voit que la plante de ses pieds et la seule trace qu’on garde c’est celle des trous laissés par les clous.
Reste la peur, palpable. Peur de ne pas être à la hauteur de la tâche. Enfermés à double tour par peur des autorités juives, dit l’Évangile de Jean (Jn 20,19). « Seigneur, est-ce en ce temps-ci que tu rétabliras le règne pour Israël ? » Jésus leur avait répondu : « Il ne vous appartient pas de savoir quand viendront les temps et les moments, car le Père les a fixés de sa seule autorité. » Circulez, il n’y a rien à voir ? Non parce qu’il avait ajouté : vous recevrez une force quand l’Esprit saint descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’au bout du monde. Il est marrant lui ! Ce n’est pas la peur du vide non, c’est le vide qui crée la peur. Et voyez-vous, la plus grande prison, le plus grand frein, le plus gros obstacle à tous nos projets, je crois que c’est la peur. C’est qu’il faut ici affirmer une vérité de tout temps et particulièrement en ce moment : la peur mène le monde.
- Antiquité : peur des démons (exorcismes)
- Moyen âge : angoisse diffuse d’une fin du monde imminente : comment échapper aux tourments éternels de l’enfer ? Comment être en paix avec Dieu ?
- 20ème siècle : Peurs multiformes provoquées par les multiples conflits armés dont deux guerres mondiales, la bombe atomique, le nazisme, le fascisme, le communisme.
- 21ème : peur du terrorisme religieux, du désastre écologique, la peur des flux migratoires et maintenant plus forte que toutes les autres, la peur de mourir contaminés les uns par les autres…
Le mot grec « phobie » accompagne aujourd’hui quasiment tous les aspects de la vie. On parle volontiers d’apiphobie, d’ablutophobie, de triskaidékaphobie, d’ochlophobie, de katagélophobie, de mysophobie … Wikipédia offre un inventaire à la Prévert impressionnant.
Parce qu’en ayant peur des abeilles (apiphobie), peur de se noyer jusque dans sa baignoire (ablutophobie), peur du nombre treize (triskaidékaphobie), peur du regard de la foule (ochlophobie), peur du ridicule (katagélophobie), ou très à la mode en ce moment la peur de la contamination (mysophobie), on peut ne pas avoir le compte des peurs qui nous habitent alors on a conçu un néologisme (un mot qui n’existe pas vraiment) qui surplombe toutes les peurs : on parle alors de pantophobie. C’est-à-dire la peur de tout. La peur qui englobe les peurs imaginaires (celle des enfants qui regardent sous leur lit pour voir s’il y a des fantômes ou des monstres) et les peurs bien réelles – peur de perdre son emploi, peur pour l’avenir de ses enfants, peur pour un être cher, peur pour sa retraite, peur de vieillir et de mourir… Et vous, quelle est votre peur à vous ? Celle qui est là cachée au creux de votre ventre ? De quoi as-tu peur mon frère, ma sœur ?
La peur s’attrape par contagion. Pas de masque, pas de geste barrière, pas de gel hydroalcoolique. On peut être des milliers à avoir peur ensemble mais la peur laisse chacun dans son isolement et sa solitude. La peur est un tombeau. Elle enferme, recourbe sur lui-même et son nombril celui qui y cède. La peur ne se partage pas. La pire des peurs est-elle sans doute la peur de la peur, c’est-à-dire le sentiment qu’on ne s’en sortira pas. Souvenez-vous de la phrase de Roosevelt dans sa campagne électorale de 1932 : « S’il y a une chose dont nous devons avoir peur, c’est de la peur elle-même. » Parce que la peur mène le monde.
La Bible en a conscience. Depuis toujours elle sait que l’envers de la foi n’est pas l’incroyance ou l’hérésie ou le doute mais la peur. Pensez à l’interpellation de Jésus à ses disciples terrifiés par une tempête : pourquoi avez-vous peur gens de peu de foi ?
Pensez aussi au récit de la Genèse quand Dieu cherche l’homme et la femme dans le jardin. Souvenez-vous de la réponse de l’homme : « J’ai entendu ta voix dans le jardin, j’ai pris peur parce qu’ j’étais nu, et je me suis caché.. » L’homme a peur de Dieu ! Comme si Dieu pouvait être son ennemi et lui vouloir du mal ! D’où vient ce soupçon ? C’est le serpent qui a mis le doute et la peur dans l’esprit de l’Homme par sa question perverse : « Est-ce que Dieu vous a vraiment dit que vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ? » Et voilà la peur qui entre dans le cœur de l’homme et vient détruire la confiance qu’il avait : Dieu pourrait me vouloir du mal, pourrait ne pas vouloir mon bonheur mais être égoïste et garder pour lui tout le savoir du bien et du mal… Dieu pourrait m’abandonner et me laisser seul pour affronter le malheur. On connaît les ravages de cette peur entrée dans le cœur de l’homme ! Y compris au cœur de l’Église-même alors qu’elle devrait être bâtie sur la confiance et la foi.
Voilà la vérité : la peur est le contraire symétrique de la foi. Et à sa manière c’est aussi une croyance : le propre de la peur est d’investir d’un pouvoir, d’une capacité de nuisance et d’anéantissement tout ce qu’elle touche. Une croyance pour la mort en vérité.
Ne crains pas, n’aie pas peur est une exhortation très fréquente dans la Bible. On la recense 366 fois. Autant de fois que de jours, années bissextiles comprises !
Comment s’en sortir ? Comment en sortir ? Comment guérir de la peur créée par l’absence ?
« Gens de la Galilée, pourquoi restez-vous là à regarder le ciel ? Ce Jésus, qui vous a été enlevé pour aller au ciel, reviendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller. »
N’aie pas peur maintenant, car je suis avec toi. Ne lance pas ces regards inquiets, car ton Dieu, c’est moi. Je viens te rendre courage, j’arrive à ton secours et je te protège, ma main droite tient sa promesse. (Esaïe 41,10)
Comment comprendre cette injonction ? D’abord comme un encouragement. Une parole de réconfort. Une parole apaisante. Et en même temps comme une promesse : il est possible de sortir de l’enfermement de la peur. Quelles sont les voies qui peuvent nous aider à tenir la peur à distance de nos vies ? J’aimerais vous montrer 4 chemins complémentaires…
Le 1er consiste à se voir tel que Dieu nous voit.
L’enfermement dans la peur vient souvent du regard que l’on porte sur soi-même.
Nous craignons de rater notre vie, de ne pas être à la hauteur.
Pour sortir de cet enfermement qui devient vite un enfer, il faut s’exercer à se regarder « en Dieu ». C’est-à-dire tel que Dieu nous voit. Dieu nous voit tel que nous sommes, c’est-à-dire avec notre tempérament, nos failles et nos vertus, nos forces et nos faiblesses, notre météo intime. Mais le plus important c’est de savoir que ce regard de Dieu sur nous est toujours posé dans la lumière de son amour, de sa foi et de son espérance en chacun de nous. Tu es aimé de Dieu. C’est ainsi que tu dois te regarder toi-même. Te regarder tous les matins dans le miroir et te dire : « Je suis aimé de Dieu : de quoi puis-je avoir peur ? »
La 2ème voie consiste à cultiver un esprit de volonté.
Nous le savons bien, Dieu ne fait rien pour nous sans nous.
Jésus est sans doute parti pour nous laisser l’espace de liberté nécessaire pour que nous puissions élaborer nos projets et construire notre témoignage. C’est ce que Jésus dit à ses disciples dans son discours d’adieu rapporté par l’Évangile de Jean : Je vous dis la vérité : il vaut mieux pour vous que je m’en aille ; car si je ne m’en vais pas, celui qui doit vous venir en aide ne viendra pas à vous. Mais si je m’en vais, je vous l’enverrai. (Jn16,7) Nous élaborons des projets et faisons le point sur les ressources disponibles, cette exhortation à la confiance dans la providence paternelle est bienvenue. Pourquoi ? Elle nous rappelle que nous sommes les serviteurs de Celui qui a assez confiance en nous pour nous remettre la gestion de ses affaires. Cette confiance fait toute la différence entre l’engagement religieux et n’importe quel autre engagement associatif.
Vivre nos ministères et nos engagements dans la foi c’est les accueillir comme un lieu où la confiance de Dieu vient nous rejoindre. Chacun peut se dire : la mission qui m’est confiée, j’y reconnais la confiance que Dieu me témoigne, une confiance que je reçois et à laquelle je m’efforcerai de répondre.
Concrètement cela veut dire que nous n’avons pas à vivre nos engagements comme si nous devions trouver en nous seuls les ressources nécessaires pour répondre aux situations et aux exigences qui se présentent à nous. La collaboration première, à l’origine de notre engagement, est une collaboration à l’œuvre de Dieu et non pas à une entreprise humaine. Que craindrais-je au final si sa force est ma force, si sa puissance est ma puissance ? Vous recevrez une force quand l’Esprit saint descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’au bout du monde.
La 3ème voie consiste à entretenir un esprit de compassion
Le souci des autres. Le climat actuel pousse à l’égoïsme. Pourtant il faut l’admettre une fois pour toutes, qu’on ne s’en sortira pas chacun tout seul et Dieu pour tous !
Seule la compassion peut faire ouvrir le tombeau de la peur de l’autre, restaurer en lui l’estime de lui-même, lui donner des envies pour demain. Compatir c’est se mettre à la place de l’autre, c’est croire et espérer pour l’autre, c’est être fort à sa place.
Et c’est quoi exactement la compassion ? De la colère… Uniquement de la colère. La compassion consiste à s’indigner ! La compassion, c’est pas de chialer, de pleurnicher sur la misère du monde en croisant les bras et en priant très fort en espérant que ça va tomber tout cuit dans l’assiette : c’est de la combattre. La compassion n’est pas humble, mais belliqueuse ! La compassion c’est de l’amour. En amour, il ne faut pas s’aplatir, c’est inopérant, et négatif. La carpette ? Jamais ! Dieu a en horreur les serpillières ! Pensez à ce fameux texte de l’Apocalypse : Je connais tes œuvres, tu n’es ni froid ni bouillant ! Mais parce que tu es tiède, je vais te vomir de ma bouche. (Apo 3, 15)
La 4ème voie qui permet de résister à la peur consiste à cultiver l’espérance.
Cette énergie ne vient pas de notre propre fond, elle est reçue d’une source en amont de nous. Le moteur de notre espérance c’est la force nucléaire de la résurrection du Christ en nous, et à travers nous pour le monde entier. Grâce à elle, on peut espérer jusque dans la nuit la plus noire : en Christ, je suis un homme nouveau définitivement arraché des griffes du désespoir.
Il y a dans l’épitre aux Hébreux une belle image pour décrire l’acte d’espérer. L’homme qui espère, est-il dit, c’est celui qui lance dans le ciel l’ancre de son navire (Hébreux 6, 18-19). L’espérance c’est cela : c’est envoyer son grappin jusqu’en Dieu. C’est la seule manière de permettre à mon navire de ne pas s’égarer, de ne pas sombrer dans les tempêtes de la vie. Alors nous ferons nôtres les paroles de l’apôtre Paul : Car j’ai la certitude que ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni les choses présentes ni les choses à venir, ni les puissances, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur. (Rom 8, 38-39)
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