Lecture Biblique : Matthieu 5, 1-16
Prédication :
C’est l’histoire d’un gars qui va consulter un psychiatre : « Docteur, j’ai un problème.
Tous les soirs, quand je suis au lit, j’ai l’impression qu’il y a quelqu’un caché dessous. Alors je me relève pour regarder sous le lit, et là bien sûr il n’y a personne. Je me recouche, mais au bout d’un moment je me dis que je n’ai peut-être pas bien regardé. Alors je me relève pour vérifier de nouveau, sans résultat bien entendu. Bref, j’ai beau me dire que c’est idiot, je ressens toujours le besoin de m’assurer que personne n’est caché sous le lit. Docteur, tout ça me pourrit la vie, pouvez-vous faire quelque chose ? »
Le psychiatre : « Hum… Je vois… obsessionnel-compulsif… Comptez quatre ans d’entretiens de psychothérapie, à raison de trois séances par semaine, et je vous guéris de votre obsession. »
Le patient : « Euh… Combien ça va me coûter, Docteur ? »
Le psychiatre : « Comptez 100 € par séance ».
Le patient (déconcerté) : « Euh… je crois que je vais réfléchir… »
Six mois plus tard, le psychiatre rencontre le type dans la rue, par hasard : « Alors ? Pourquoi n’êtes-vous jamais revenu me voir ? »
Le patient répond : « 4 ans de traitement à 100 € la séance ? Mon livreur de pizza m’a résolu mon problème tout de suite pour 5 €.
Le psychiatre (vexé) : « Votre livreur de pizza ?? Vraiment ?? Et comment a-t-il fait ? »
Le patient : « Il m’a conseillé de scier les pieds de mon lit !! »
N’attendez pas la fin du monde pour être heureux ! Voilà le message des Béatitudes. Le Royaume de Dieu ce n’est pas pour demain. Il est à l’œuvre ici et maintenant au cœur de la réalité. La réalité c’est le premier terme de chaque béatitude : ceux qui pleurent, les assoiffés de justice, les miséricordieux… Un monde pas simple, traversée par l’espérance et la souffrance : la quête de justice, de paix, de souffle, de consolation, de douceur, de miséricorde, un monde à habiter et à transformer. Le premier enseignement de Jésus à ses disciples est d’une simplicité lumineuse : la joie et le bonheur de vivre, ce n’est pas pour demain, pour le futur, pour après la mort. L’Évangile ne nous appelle ni à nous conformer au monde moderne (Rm 12,2) ni à nous échapper de ce monde en créant un arrière-monde tout rose et tout miel… C’est pour maintenant, pour tous et pour chacun dans cette foule qu’il regarde du haut de la montagne. Le monde n’a pas besoin d’une projection, d’un plan d’avenir, d’un « ça ira mieux demain » mais d’une réalité transformée. Jouir du bonheur de vivre c’est ici et maintenant, dit Jésus. Parce que le Royaume de Dieu a déjà commencé.
L’intervention de Dieu, le second terme de chaque béatitude est dit au futur : ils seront consolés, ils recevront la terre en partage, ils verront Dieu… Pourquoi au futur ? Tout simplement parce que c’est l’engagement des disciples que Jésus réclame : Afin qu’en voyant le bien que vous faites, ils rendent gloire à votre père qui est dans les cieux. La gloire de Dieu ce n’est pas la gloriole ou la vanité d’un petit dieu qui a besoin qu’on s’agenouille devant lui comme un petit potentat local, un vulgaire chef d’état qui ne supporte ni la contradiction ni l’opposition et qui ne recherche que la servilité de ses partisans. La gloire de Dieu c’est sa présence ici et maintenant au milieu de nous. C’est un enseignement pour les disciples et donc un appel, une vocation, une mission, une feuille de route et un cahier des charges. Bref voilà ce qui relève de notre responsabilité : rendre actuelle la présence de Dieu… C’est ce que nous devons faire.
Le bonheur du monde, dit Jésus, se joue dans la remise en route (« en marche » ou « debout » dans la traduction de Chouraqui) sortir de la paralysie, du confinement, d’une vie arrêtée, bloquée, contaminée, essoufflée… C’est ainsi qu’il faut comprendre le péché : une vie « em-péchée » qui attend d’être « ré-générée », générée à nouveau, à la fois une guérison et une libération pour se réjouir du bonheur de vivre, enfin !
Bien sûr, cette mise en route crée une tension entre la réalité douloureuse ou pénible et le bonheur qu’il y a à reprendre sa vie en main, à accomplir sa propre vie en redevenant acteur, responsable, créant la vie nouvelle de nos propres mains. Être non-conforme ne signifie pas sortir du monde ou se contenter de le dénoncer mais bien amener cette tension de liberté. D’où l’éventualité de la persécution et de l’insulte pour les disciples qui ne se contentent pas de jouer les rebelles et les critiques professionnels, à l’instar de ces fameux commentateurs qui savent tout mieux que les autres !! Notre monde est contaminé par une affection gravissime qui porte un nom scientifique précis : l’ultracrépidarianisme, comportement qui consiste à donner son avis sans avoir de connaissance sur le sujet. Nous ne sommes pas des commentateurs du monde mais des acteurs et notre mission consiste à apporter un ferment de liberté, la pincée de sel dont le monde a besoin pour ne pas devenir fou.
« Le chrétien doit accepter les conséquences de sa profession de foi de chrétien. Il ne peut se contenter de dire : « parce que je crois, je suis sauvé, et j’ai à vivre les vertus chrétiennes. » En réalité il doit accepter de dire : « parce que je crois, je suis responsable de la présence de l’Esprit au milieu des hommes » (…). L’erreur serait de croire que les hommes construisent leur monde, ce qui est très bien devant Dieu, et que les chrétiens ont à y ajouter l’amour et la liberté : En réalité, à ce moment, ce n’est plus que du vent et l’on s’engage dans un effort nouveau de civilisation qui échouera comme les autres. » (Jacques Ellul, Éthique de la liberté, p.434)
Il s’agit d’arracher les choses du monde au pouvoir des puissances qui les paralysent pour les remettre entre les mains du Christ, sous son autorité, en son pouvoir, sortir de la Fatalité, pour ouvrir à la liberté, rendre la décision possible. C’est cela la régénération : non pas repartir de zéro en faisant table rase du réel de notre vie mais bien rendre la puissance vitale qui nous remet debout. Voilà l’autorité qui est la nôtre en tant que chrétiens, une autorité de service. Rien d’autre.
Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? Quelles sont ces puissances qui asservissent et qui empêchent la vie, la joie, le bonheur et auxquelles les chrétiens sont appelés à s’attaquer ? Comment faire concrètement ?
Passons aux travaux pratiques…
Les Béatitudes prennent les situations réelles avec leur lot de difficultés à traverser pour les mettre dans la présence de Dieu : Afin qu’en voyant le bien que vous faites ils rendent gloire à votre Père qui est dans la cieux. Comment allons-nous assumer notre vocation de sel de la terre et de lumière du monde ? Nous l’avons dit : il ne s’agit ni d’une posture de dénonciation et de rupture (nous sommes bien sel de la terre et lumière du monde) ni d’une position de séduction et de complaisance (si le sel perd son goût, il n’est plus bon à rien, juste à être piétiné et on n’allume pas une lampe pour la cacher)
- Heureux ceux qui ont l’esprit de pauvreté… (esprit de dépendance à l’autre)
Parlons de l’esprit de convoitise (greed, avidité, cupidité…) qui nous domine tous. L’avare de Molière : (..)Hélas ! mon pauvre argent, mon pauvre argent, mon cher ami ! On m’a privé de toi ; et puisque tu m’es enlevé, j’ai perdu mon support, ma consolation, ma joie ; tout est fini pour moi, et je n’ai plus que faire au monde ! Sans toi, il m’est impossible de vivre.(..) ! La convoitise c’est le règne de la pulsion et de la passion sans limite. Il s’agit donc d’une pathologie du désir avec 4 symptômes :
- Posséder – s’accaparer – prendre – accumuler (le savoir, le pouvoir, l’argent…) : c’est l’anti-sainteté. La sainteté c’est ce que Dieu met à part, de côté, consacre au sens propre du terme. Il y a quelque chose qui ne m’appartient pas, des choses que je ne sais pas, des finalités qui m’échappent, des actions qui ne sont pas à ma portée.
- Dominer – vaincre – convaincre – forcer : c’est l’anti-amour quand tous les rapports humains sont vécus sous le règne de la contrainte et de la violence.
- S’affirmer – s’imposer – par la séduction ou par la force : C’est l’anti-confiance en soi de celui qui se perd dans le besoin maladif de reconnaissance (songez aux starlettes de la téléréalité)
- S’émanciper – rupture avec Dieu. Une éthique de la sainteté choisi volontairement d’accepter la limite posée dans le jardin : du fruit de cet arbre tu ne mangeras pas même si le fruit est beau et agréable. Il s’agit de guérir de la tentation de la maîtrise et de la toute-puissance en posant une limite fondatrice : tout prendre est meurtrier (Dieu seul est Dieu). Face à la convoitise, le partage et le don deviennent des signes de liberté dans notre vie personnelle, familiale et communautaire. Accepter de donner une part de soi, de son temps, de son argent, de son énergie, de ses compétences… Si je n’ai pas tout, j’ai besoin des autres, c’est une vérité essentielle. Miser sur l’amour : être présent ici et maintenant aux personnes, aux situations, aux êtres (et non donner de l’argent pour qu’on fasse à ma place) sortir de l’illusion des grands projets pour retrouver l’humilité et la simplicité du lien.
- Heureux ceux qui ont le cœur pur… (le cœur siège de la raison et de la décision)
Arrêter de diaboliser et de jouer aux moralistes : rien n’est mauvais ou impur en soi (Rm 14,4), ni la science, ni la politique, ni le pouvoir, ni l’argent, ni les médias. Il s’agit de se tenir devant Dieu pour notre usage de ces objets humains, pleinement humains… Je n’en puis plus de ces prescripteurs du Bien qui nous imposent leur point de vue et leur message avec la violence du totalitarisme. En même temps, il s’agit de sortir du conformisme et de l’esprit de troupeau en osant dire non, s’opposer, contester. La liberté exige la clairvoyance et la lucidité autant que la capacité à entrer en résistance. L’Esprit de liberté dont parle l’apôtre Paul peut seul nous aider à discerner pour prendre nos décisions selon les situations. Ici pour le confinement, là contre. Ce sera toujours mon choix mais un choix libre et éclairé.
- Heureux ceux qui ont faim et soif de justice… (accorder sa vie avec la volonté de Dieu)
Libération (exorcisme !) de la tyrannie de l’urgence pour retrouver du temps, profiter du silence et de la réflexion et ainsi, faire émerger l’important, l’essentiel, le fondamental : sanctifier le temps ? Un temps à part pour Dieu ou une présence de Dieu dans le temps ? Un temps pour le silence et donc pour l’écoute. La place que nous gardons pour la prière devient une arme anti-conquête en attente de Dieu, main tendue vers Lui. Un temps et un espace pour l’inutile et le gratuit : ce qui ne sert à rien, qui ne peut ni s’acheter ni de vendre, qui ne peut pas rentrer dans un bilan comptable ni enfourcher les trompettes de la renommée. L’inutile est indispensable et on mesure la bonne santé des démocraties à la place laissée aux artistes. Ce que Ellul appelait « l’absence de convoitise des résultats » entièrement remis entre les mains du Père « J’ai planté, Apollos a arrosé mais c’est Dieu qui a fait croître » (1 Co 3,6)
- « Heureux les faiseurs de paix »
Puissions-nous remettre au centre la question du sens : au service de qui ou de quoi agissons-nous ? La question du service est essentielle à condition de ne surtout pas la confondre avec le règne de « l’utile » qui se pose en critère absolu pour juger les êtres, les choses et les actions. Réservons une place au centre pour les personnes et les situations jugées inutiles : les vieux, les fous, les enfants, les handicapés, les invisibles et les vauriens (vaut-rien). Ils sont pour nous le cœur et le visage de l’Évangile. La manière dont nous les traitons est ainsi significatif de la valeur et de l’orientation que nous donnons à nos décisions. S’engager en politique ou dans l’économie en tant que chrétiens… non pas pour assouvir un fantasme de pouvoir mais pour que des chrétiens sanctifient ces moyens au service de la vie communautaire en les utilisant sans les absolutiser. Il s’agit de contrer la volonté de puissance et la quête éperdue de reconnaissance qui sont les deux mamelles pathologiques de la conquête du pouvoir politique.
Nous connaissons tous la devise républicaine (gravée sur le fronton rue Roquépine). Moi je vous en propose une autre qui pourrait être celle du Royaume « Justice, Amour et Liberté »
Dans JUSTICE, j’entends la protestation pour le plus vulnérable, la finalité réelle de nos institutions, l’apaisement de la vie communautaire. J’entends la quête de l’homme et le don de Dieu. J’entends la présence de Dieu au cœur du monde.
Dans AMOUR, j’entends le seul pouvoir qui soit réellement absolu. J’entends une puissance qui vient de Dieu pour relever, pour régénérer, pour donner du prix à une vie. J’entends la vocation de service et d’attention qui met l’autre au centre. J’entends la dépendance réciproque nécessaire, fondatrice et bienfaisante
Dans LIBERTÉ, j’entends la reconnaissance de la centralité de l’individu face au groupe, la reconnaissance de ma propre valeur et de celle de l’autre. J’entends le nécessaire combat pour dévoiler et sanctifier les puissances et les autorités à l’œuvre dans le monde. J’entends l’arrachement au destin pour assumer sa propre vie avec joie et bonheur. J’entends la seule source d’engagement qui soit véritable et féconde.
Justice, amour et liberté. Amen.
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