C’est la rentrée (scolaire)
Interrogation « orale » : 70 x 7 = 490 77 x 7 = 539 !
Le chapitre 18 de l’évangile de Matthieu nous montre le groupe des disciples autour de Jésus cherchant à déterminer des règles, des lois dans leur groupe : qui est le plus grand ? que faire en cas de conflit entre frères ? quel pardon ? etc.. tant il est vrai que nous préférons des discours légalistes et doctrinaires plutôt que les paraboles qui nous obligent à nous impliquer…
L’apôtre Pierre, comme c’est souvent le cas, intervient le premier pour poser une question qui lui semble naturelle, et cette question nous montre que Pierre a bien écouté, bien intégré les mots prononcés par Jésus.
Il a compris la leçon des versets précédents. Jésus vient de lui confier, à lui comme aux autres disciples, le pouvoir de pardonner, et donc aussi de ne pas pardonner.
Du coup, et c’est humain, Pierre se croit devenu un personnage important, un personnage qu’il faudra offenser le moins possible : ce ne sont plus les péchés en général qui l’intéressent, mais les péchés qui seront commis à son égard (verset 21).
Mais Pierre a aussi compris qu’il fallait être généreux. Le judaïsme du temps de Jésus connaissait l’idée de pardon, mais le limitait à deux ou trois fois.
Pierre sent bien que ce n’est pas suffisant, après ce que le Christ vient de dire. Il veut bien faire, et montre sa générosité : pardonnerai-je jusqu’à 7 fois ? Sept fois, c’est beaucoup plus important que ce qui était admis à cette époque ; 7, c’est le chiffre parfait, le chiffre même de Dieu.
Car Pierre a bien compris qu’on lui transmettait un pouvoir, mais il n’a pas compris la grâce extraordinaire qui lui était faite. Il ne voit plus qu’il est un offenseur passé et à venir (souvenez-vous du vendredi-saint et du reniement de Pierre), mais il se voit uniquement en offensé possible.
Il croit, encore une fois, que désormais il a le droit de pardonner et surtout de ne pas pardonner, alors que le Christ vient de lui transmettre son propre droit à être offensé.
Sans doute Pierre a l’impression de montrer qu’il a bien compris les leçons de son maître. Sans doute est-il sûr d’un compliment, sûr aussi d’étonner ses collègues apôtres…
Mais voilà que j’ai l’air, depuis un moment, de vouloir tourner Pierre en ridicule ! Loin de moi cette idée : que celui d’entre nous qui a su pardonner 7 fois lui jette la première pierre, si je puis me permettre ce plagiat.
Combien de fois pensons-nous et disons-nous : « Cette fois, c’est la dernière fois que je te pardonne, et je suis bien trop bon ! » ? Et je ne sais pas si vous avez remarqué, mais cela, c’est le genre de promesse que nous tenons…
Oui, en fait, nous croyons tous, au fond, comme Pierre, qu’il y a une limite au pardon, une limite que nous ne devons pas dépasser, ce qui montre très clairement que nous croyons aussi qu’il y a une limite au pardon de Dieu…
C’est Jésus-Christ qui va faire basculer notre univers, comme il va faire basculer celui de Pierre ; c’est lui qui va tout remettre dans l’axe en répondant d’une manière très claire : « Je ne te dis pas 7 fois, mais 70 fois 7 fois (ou, suivant les manuscrits, 77 fois 7 fois) ». Mais, quelle que soit la version choisie, cela revient au même : cela veut dire indéfiniment. C’est là l’irruption de l’Evangile dans nos comptes de marchand de tapis. C’est l’Evangile qui rentre dans la vie de Pierre comme dans la nôtre, c’est la cessation de tout compte, en rupture avec toute notion légaliste de la religion.
Et Jésus-Christ choisit, pour nous faire comprendre cela, non la voie légaliste ou réglementaire, mais la parabole…
Donc, Dieu se met à faire les comptes, et immédiatement sur la page débits apparaît notre dette, énorme, incommensurable.
La Bible en Français courant essaie d’actualiser en disant : « une énôôrme somme d’argent » …
Enorme, impossible à rembourser, ce sont même des chiffres qui ne veulent plus rien dire pour nous ! Et Pierre vient de parler de 7 fois pour le pardon : il n’est pas à la même échelle…
Le maître ordonne donc que son serviteur débiteur soit vendu, lui et sa famille, pour solde de tout compte. Le serviteur ne demande pas grâce : il demande un délai de paiement. Or, le roi lui accorde beaucoup plus, puisqu’il lui remet sa dette.
Voilà donc le fond de notre histoire : notre dette est remise, payée complètement, il n’y a plus rien à payer… Oh, nous le savons bien, intellectuellement, qu’il n’y a plus rien à payer depuis le « Tout est accompli » prononcé par Jésus à Golgotha. Mais le CROYONS-nous vraiment ? En sommes-nous suffisamment certains pour ne pas croire que Dieu a encore quand même quelque part un petit compte débiteur qu’il nous faudrait régler (par la pratique religieuse ? par l’application d’une morale ? par nos œuvres sociales ? …) ?
Le croyons-nous assez pour voir dans chaque homme, chaque femme, qui nous côtoie, nous ennuie, nous harcèle (vous savez, ce voisin insupportable qui fait du bruit quand je veux dormir, ce collègue ambitieux, ce patron exigeant, cet employé nonchalant, etc…)
Un être humain lui aussi baigné de pardon, un être humain aussi aimé par Dieu et à qui nous POUVONS désormais pardonner 70 fois 7 fois ? Car voyez-vous c’est à cela et à cela seulement que je puis savoir si j’ai vraiment accepté pour moi le pardon de Dieu, c’est à cela et non pas à mes larmes d’homme sensible au malheur des déshérités ou des pauvres.
Ou alors ressemblons-nous à ce serviteur dans la parabole que Jésus nous présente ?
En sortant de chez le roi, le serviteur rencontre un compagnon, un collègue qui lui doit une somme dérisoire : nous voilà revenus dans le raisonnable, nous sommes de nouveau à notre échelle… Mais là, pas de pitié, il le saisit et l’envoie en prison
Admirez l’enchaînement de la parabole.
Dieu n’a pas fait que pardonner, que remettre la dette ; immédiatement il donne à l’homme l’occasion d’en faire autant, l’occasion de pouvoir pardonner : parce qu’il n’a plus de dette, le serviteur pouvait à son tour pardonner, et être ainsi l’image de Dieu pour son collègue. Cela devrait être rapide, simple, facile : oui, mais voilà, le serviteur veut tout, tout de suite ; pas question de pardon quand c’est MOI qu’on offense… et pourtant que disons-nous régulièrement dans le Notre Père si ce n’est : pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi ceux qui nous ont offensés ? Est-ce que nous oublions donc que nous sommes des pécheurs pardonnés ? Est-ce que nous oublions le pardon de Dieu à notre égard pour que nous ne soyons pas capables de pardonner à nos frères ?
Car si nous ne voulons pas pardonner, cela signifie que, au fond de nous-mêmes, nous n’acceptons pas vraiment le pardon de Dieu, nous refusons d’en vivre… et donc — et c’est là le sens de cette parabole — que nous nous excluons nous-mêmes de la grâce que Dieu nous offre.
Et pourtant le roi de la parabole n’a pas mis à l’épreuve son serviteur, il n’a pas attendu de voir son attitude vis-à-vis de son frère pour lui remettre sa dette. Je veux dire par là que la manière de nous conduire vis-à-vis de nos prochains n’est pas une CONDITION de notre salut, une CONDITION au pardon de Dieu, mais elle en est la conséquence, la conséquence nécessaire sans laquelle nous nous excluons nous-mêmes du salut que Dieu nous offre.
Ce ne sont pas nos actions, nos bonnes actions (les mauvaises, nous le savions déjà) qui nous permettent de mériter le pardon de Dieu, mais c’est le pardon de Dieu qui nous permet, à notre tour, de pardonner. Car la grâce de Dieu ne s’essouffle pas en nous atteignant ; au contraire, elle rejaillit, renforcée et nouvelle, elle agit, en nous prenant comme un relais qui peut alors la retransmettre autour de lui.
Gracié signifie immédiatement graciant, pardonné signifie immédiatement pardonnant.
Puissions-nous vivre de ce pardon et en témoigner en le répandant autour de nous !
Amen.
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