« Demandez et l’on vous donnera »

Luc 11, 1-13

 « Demandez et l’on vous donnera »

 

Prédication du Pasteur Jean-Arnold de Clermont, du 4 mars 2019

 

Ce qui est particulièrement intéressant, à mon avis, dans la construction du début de ce chapitre 11 de l’Evangile de Luc, c’est la manière dont il a rapproché le don du « Notre Père », et la parabole de l’ami importun qui, je le crois, concerne directement ce que nous appelons l’intercession.

Nous avons ici la version ramassée du « Notre Père ». La  version ‘longue’ est dans l’Evangile de Matthieu. Et là, plus encore que chez Matthieu, nous voyons bien, si j’ose ce propos quasi hérétique, nous voyons bien ce qui manque au « Notre Père ». Même si nous avons l’habitude d’employer des formules qui laissent entendre que le « Notre Père » est le modèle de toute prière, ce qui manque c’est la dimension de l’intercession.  Je m’explique : Le « Notre Père » met en perspective notre relation à Dieu et au monde: « que ton nom soit sanctifié » – « que ton règne vienne », développé chez Matthieu par « que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » (à la limite on pourrait dire qu’il s’agit là de la dimension de l’intercession !). Le « Notre Père » nous situe dans notre attitude personnelle vis à vis de Dieu comme vis à vis des hommes: «  Donne nous chaque jour le pain nécessaire » – « pardonne-nous, comme nous pardonnons » … Mais il manque cette dimension tout aussi essentielle de la prière, comprise comme le relais du cri des hommes qui monte par notre prière vers Dieu, même si on essayait de résumer cela dans la dernière demande « délivre nous du mal » !.

 

C’est précisément de cela qu’il est question dans la parabole de l’ami importun. Je vous propose de la lire à un double niveau, car elle est fondée sur deux jeux d’amitié chacun donnant une dimension particulière à cette parabole.

Il y a d’abord deux « amis ». Volontairement Jésus emploie le même mot pour les deux hommes qui habitent la même ville, et encore pour le troisième, ami du premier, arrivé de voyage en pleine nuit. Il y a donc, d’abord, deux amis, concitoyens. Leurs relations sont telles qu’ils peuvent compter l’un sur l’autre. Il n’y a qu’à un ami que vous puissiez faire le coup de le réveiller en pleine nuit pour solliciter du pain. Et cette amitié là suppose une grande confiance réciproque, une grande intimité. Je crois que nous pouvons recevoir ce modèle de relation comme l’image de la relation entre Jésus et son Père, et c’est cette intimité qui nous permet de comprendre ce qui rend possible notre intercession. Jésus nous a fait entrer dans cette intimité qu’il a avec le Père et qui seule nous permet de nous comprendre comme le voyageur qui en pleine nuit vient frapper à sa porte. Sans cette intimité créée, offerte, par le Christ qui a donné sa vie pour nous, nous serions sans secours, sans espérance. Il sera pour nous l’ami importun qui porte notre prière jusqu’au Père. Comme le dit l’Evangile de Jean « Je ferai tout ce que vous demanderez en mon nom, afin que le Fils manifeste la gloire du Père » (Jean 14, 13).

 

Mais il me semble qu’il y a une autre lecture possible, concernant cette autre relation, celle qui met toute notre parabole en mouvement. Sans laquelle cette intimité dont je viens de parler resterait égoïste, confinée, ecclésiale … je veux parler de celui qui vient frapper à notre porte en pleine nuit. Cet « ami » voyageur de la parabole nous renvoie à celles et ceux que leur voyage conduit jusque chez nous. Blessés du voyage, fatigués de la route, affamés du monde, écorchés de la vie. Nous les connaissons bien, nous les entendons et les voyons. Ils sont nos amis comme partageant notre humanité. Ils sont là à notre porte. Et nous sommes, ou avons à devenir ces amis importuns qui, quelles que soient les circonstances, comme en pleine nuit, vont frapper à la porte de leur ami pour chercher du pain.

 

Et nous voici avec ces deux interprétations, riches de cette double amitié.

La parabole et son commentaire final nous provoquent à ne pas laisser dormir cette richesse de relations. « Demandez et l’on vous donnera ».

 

Le mot « richesse » que je viens d’employer est probablement ambigu. Car précisément c’est la pauvreté de l’ami qui accueille le voyageur qui fait de lui le bon intercesseur. Il n’y a pas de vraie prière d’intercession pour celui qui ne se sent pas désarmé et impuissant devant les besoins des hommes. C’est lorsque je reconnais mon incapacité à soulager la souffrance, à apaiser la soif des hommes, à apporter la paix; c’est alors que ma prière se fait vraie et concrète. C’est alors que je me tourne vers Dieu portant dans mon cœur cet appel des hommes et le relayant vers Dieu. C’est alors seulement que je suis à mon tour en vraie solidarité avec eux devant Dieu, les mains ouvertes pour recevoir les trois pains de son amour, de sa justice et  de sa paix. C’est alors seulement que je peux être pour eux témoins de ce Dieu qui veut être leur Dieu.

 

C’est pourquoi je veux lire cette parabole à la lumière du Christ, intercesseur. Sa prière pour le monde de la souffrance et de la pauvreté, de la maladie et de la solitude, dont il s’est approché, sa prière est faite tout autant de compassion que de demande d’exaucement.
Jésus s’est d’abord approché des victimes de ce monde pour en partager le sort. Il n’a pas pris de décrets, ni édicté de lois, aussi nécessaires soient-ils. Il a pris la route avec les sans logis, il a rejoint les lépreux dans leur isolement, il a pris la main des possédés et du sein même de cette solidarité vécue, il a fait monter vers Dieu sa prière d’exaucement. Il a pris sur lui la souffrance du monde et du sein même de son agonie, il a fait monter vers son Père sa prière de fils importun, demandant l’impossible grâce: « Père, pardonne leur »

 

Car la prière d’intercession, notre texte nous le rappelle, n’est pas l’expression de besoins matériels – même si elle en prend le langage et la forme – mais elle veut se faire le canal du don de l’Esprit. Seul l’Esprit de Dieu répandu en réponse à l’appel des hommes leur donnera de sortir durablement de la faim qui les tenaille et de trouver la paix dans leurs souffrances. L’intercession est un combat spirituel. Contre le péché de ce monde qui vit éloigné de son Dieu et doit recevoir de Lui l’Esprit qui fait vivre. Mais elle est surtout mon combat spirituel, celui par lequel je me fais pauvre devant Dieu. J’accepte de n’avoir pas en mains toutes les solutions pour guérir, soulager, apaiser; mais je demande à Dieu qu’il se serve de moi pour guérir, soulager, apaiser, en son nom.

 

« Quel Père parmi vous si son fils lui demande du pain lui donnera une pierre? … A plus forte raison le Père céleste donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent! » L’Esprit Saint, ce n’est pas une puissance mystérieuse. C’est ce qui nous ouvre à l’écoute de la volonté de Dieu pour ce monde, c’est ce qui nous permet de recevoir du Christ son enseignement, c’est ce qui nous donne d’être dé-préoccupés de nous même pour être totalement tournés vers ceux que Dieu place sur notre chemin. L’Esprit Saint, c’est ce qui nous donne chaque jour de renaitre à une vie nouvelle avec le Christ.

Père, donnes-nous ton Esprit !

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