Acquiers la sagesse

« Acquiers la sagesse, acquiers l’intelligence » (Pr 4, 5), tel est le commandement que l’Ecriture adresse à chacun d’entre nous ce matin. Cet appel à rechercher et à acquérir la sagesse est rappelé, ruminé, mis en question, réinterprété et maintenu dans toute l’Ecriture, tant dans l’Ancien Testament (en particulier dans le livre des Proverbes, dans certains Psaumes, dans le livre de Job et celui de l’Ecclésiaste) que dans le Nouveau Testament où les apôtres dans les épîtres affirment que nous devons grandir dans la sagesse que Dieu nous donne en Christ par son esprit. Ainsi l’apôtre écrit aux Colossiens (nous y reviendrons) : Que la parole du Christ habite pleinement en vous et vous enrichisse de toute sagesse (Col 3, 16). Le Christ lui-même fut plein de sagesse : dès son enfance, l’Evangile dit de lui qu’il était rempli de sagesse (Luc 2, 40) et puis durant son ministère, sa sagesse étonnait ses contemporains comme le souligne Matthieu : Jésus se rendit dans sa patrie et se mit à enseigner dans leur synagogue, de telle sorte que [les Juifs de Nazareth, ses compatriotes] étaient étonnés et disaient : D’où lui vien[t] cette sagesse ? (Mt 13, 54-54).

La sagesse n’est donc ni l’apanage des peuples du monde – on parle de sagesse de l’Inde, de la Chine, d’Amérique etc. – ni de la philosophie humaine – qui est l’amour de sagesse. Non il y a une sagesse provenant de Dieu, une sagesse propre à la foi, et cette sagesse fait partie de notre patrimoine spirituel, de l’héritage que Dieu nous accorde en Christ et que nous devons donc chercher à posséder, à « acquérir » comme dit notre texte, à vivre.

Notons d’ailleurs d’emblée une dimension capitale de la sagesse : en hébreu, comme en grec et comme en français, les termes qui désignent la sagesse ont une connotation pratique indéniable, première. L’on reconnaît un sage à sa vie. Il a certes une connaissance importante mais cette connaissance s’épanouit et informe toute son existence, tant ses relations avec Dieu que celles qu’il entretient avec lui-même et avec ses semblables. De sorte que la sagesse désigne un mode d’existence concrète, un genre de vie vécue, elle est toujours incarnée ou elle n’est qu’une prétention à la sagesse, qu’une sagesse d’école et de papier, qu’une pseudo-sagesse. Et cela doit nous rappeler que la foi chrétienne ne saurait être une affaire purement doctrinale. Il ne s’agit pas seulement pour nous d’adhérer aux « bonnes » croyances, aux « bonnes » idées religieuses, même à la justification par la foi seule ! Nous devons, nous chrétiens, être de ceux qui vivent par la foi. Le juste vivra par la foi nous dit le prophète Habaquq repris par l’apôtre Paul. L’appel à acquérir la sagesse est donc d’abord pour nous le rappel que la foi chrétienne doit imprégner toute notre vie. Et de fait, le « christianisme » n’est pas le nom originel de notre foi. Selon les Actes des Apôtres, en effet, les premiers disciples du Christ suivaient ce qu’ils appelaient eux-mêmes « la Voie », le chemin, odos en grec. La foi en Jésus-Christ est en effet une manière de cheminer dans l’existence et cette voie, notre voie, est une sagesse.

A propos de cette sagesse, l’Ecriture affirme la sagesse vaut mieux que les perles, aucun objet précieux n’a sa valeur (Pr 8, 11). La métaphore biblique résonne particulièrement bien avec l’étymologie du mot français de sagesse. En effet, le mot français de « sagesse » dérive du nom latin sapidus qui signifie « qui a du goût, savoureux » lequel nom dérive du verbe sapere signifiant « avoir du goût, sentir » mais aussi, en un sens figuré, « avoir de l’intelligence, du jugement, apprécier » – on parle d’ailleurs du « bon goût » – et, finalement, « se connaître en quelque chose, connaître, comprendre, savoir ». Par conséquent, posséder la sagesse c’est en quelque sorte savoir prendre goût à la vie. C’est savoir discerner ce qui vaut vraiment dans l’existence, c’est être capable de hiérarchiser et d’accorder la primauté à ce qui est véritablement essentiel. Ne pas être sage c’est donc manquer de goût, c’est faire preuve de mauvais goût, c’est accorder un prix à ce qui ne vaut rien ou bien accorder un prix démesuré aux choses secondaires.

Quand nous entendons acquiers la sagesse, acquiers l’intelligence, nous devons alors nous poser la question de notre éventuelle folie. Quel prix accordons-nous aux choses – à notre famille, à nos amis, à notre travail, à notre réputation, à la culture, à la table, au sport … à Dieu ? Car c’est en fonction de la valeur, plus ou moins grande, que nous accordons à ces choses que notre vie s’organise, se bâtit, s’épanouit ou bien se dépense et se disperse.

A côté du risque de la folie comme mauvais goût, il y a aussi celui, peut-être plus pernicieux et plus douloureux encore, du dégoût. Et dans une société malheureusement de plus en plus marquée par la perte de sens, par ce dégoût lancinant de l’existence (gardons à l’esprit les statistiques récentes sur les tentatives de suicides des jeunes de moins de 15 ans), savoir prendre goût à la vie autrement qu’en essayant d’y échapper c’est véritablement être sage. Acquérir la sagesse pour beaucoup c’est aujourd’hui une question de vie ou de mort. Si bien que l’appel de l’Ecriture résonne particulièrement avec le cri du vide de notre société : acquiers la sagesse. C’est une nécessité vitale.

J’interprète donc une première fois notre verset : acquiers la sagesse, acquiers l’intelligence c’est-à-dire prends ou reprends goût à la vie. Sache la valeur des choses, apprécie ce qui compte vraiment dans la vie d’un homme, poursuit et vit l’essentiel.

 

Mais il y a sagesse et sagesse. L’Ecriture ne nous dit pas platement « prends goût à la vie », comme une injonction vague, générale sans autre indication et dont chacun pourrait décliner le sens, définissant « son » essentiel. Au contraire, il s’agit d’une sagesse particulière, d’une façon de prendre goût à la vie, de discerner et de vivre l’essentiel de l’existence.

Quelle est donc la sagesse qu’il nous faut acquérir ? Il s’agit de la sagesse qui vient de Dieu. De la sagesse que Dieu donne et non de la sagesse que l’homme accumule par ses propres efforts. Certes la sagesse humaine n’est pas nécessairement mauvaise et la sagesse de Dieu ne s’oppose pas toujours à celle-ci : les Proverbes de la Bible  sont inspirés de la sagesse proche-orientale, Moïse fut instruit dans toute la sagesse des Égyptiens (cf. Actes 7) et Paul a intégré, entre autres, des éléments du stoïcisme antique dans ses lettres. Mais l’Ecriture parle ici d’une autre sagesse, de celle, je le répète que Dieu donne, que Dieu révèle à l’homme qui place en lui sa confiance. Deux versets des Proverbes, qui précèdent notre passage, pour vous le faire sentir : L’Eternel donne la sagesse, de sa bouche sortent la connaissance et la raison (Pr 2, 6) – rappelons le mot de Paul à la fin de Romains « Dieu, seul sage » – et surtout Confie-toi en l’Eternel de tout ton cœur et ne t’appuie pas sur ton intelligence […] Ne sois pas sage à tes propres yeux ; Crains l’Eternel, écarte-toi du mal (Pr 3, 5)

Qu’est-ce donc qu’être sage dans l’Ecriture ? Je tente les formules suivantes et vous en trouverez de meilleures. Etre sage c’est connaître la volonté de Dieu et vivre d’après celle-ci. Etre sage c’est vivre avec soi et avec autrui sous le regard bienveillant de Dieu. Etre sage c’est savoir incarner et ajuster les récits et commandements de la Bible pour sa vie. Ajoutons deux précisions. La sagesse révélée par Dieu dans l’Ecriture comporte une dimension cosmologique – elle est savoir du sens profond du monde – et une dimension eschatologique – elle est dévoilement du plan de Dieu dans l’histoire des hommes. Vivre sous le regard de Dieu dans le monde c’est donc vivre en sachant que ce monde-ci est un monde qui tient tout entier par l’action libre d’un Dieu d’amour. L’ordre du monde, son principe d’existence, c’est la volonté d’un Dieu d’amour. Par conséquent, être sage c’est me connaître comme voulu par Dieu, comme aimé de Dieu. J’aurais pu ne pas exister. Dieu a voulu que je sois et il l’a voulu purement par amour. Etre sage c’est donc se connaître comme à l’image de Dieu et évidement reconnaître aussi en nos semblables l’image de ce Dieu d’amour. Et cela a bien des conséquences pratiques : comment ignorer le pauvre, le déshérité, la veuve, le faible si nous voyons en lui l’image du Dieu qui nous aime ? Etre sage c’est aussi être porté par une espérance : ce qui vient, après peut-être les catastrophes et les bouleversements que nous connaissons, ce qui vient c’est le règne de Dieu. Etre sage c’est recevoir pour soi-même, pour son existence et pour tous les hommes, pour l’histoire, la parole donnée au prophète Jérémie : Je connais, moi, les desseins que je forme à votre sujet – oracle de l’Eternel -, desseins de paix et non de malheur, afin de vous donner un avenir fait d’espérance (Jér 29, 11). Etre sage c’est donc espérer follement dans un monde qui semble courir à sa perte. C’est donc aussi espérer pour sa propre vie un horizon de paix. Etre sage c’est faire fond sur les promesses de Dieu plutôt que sur les pronostics des hommes.

J’interprète une seconde fois notre verset : acquiers la sagesse, acquiers l’intelligence c’est-à-dire sache que tu es voulu et aimé de Dieu, que tu es digne à ses yeux et qu’aucun autre regard n’a de poids décisif sur ta vie. Acquiers la sagesse, acquiers l’intelligence c’est-à-dire ose regarder l’avenir avec espérance, ose attendre le règne de Dieu, l’action de Dieu, dans ta vie, dans celle de tes proches et dans le monde.

 

Comment donc acquérir cette sagesse ? Notre passage poursuit en effet par ce verset quelque peu énigmatique : Voici le commencement de la sagesse : acquiers la sagesse, Et avec tout ton acquis, acquiers l’intelligence (Pr 4, 7). Nous avons déjà dit l’essentiel mais retenons ceci. Acquérir la sagesse suppose d’abord que nous reconnaissions notre part de folie, acquérir la sagesse – qui est un acte positif – implique un dépouillement, une remise en question de soi et de ses principes de vie. En fait, l’acquisition de la sagesse consiste dans le fait de se mettre à l’écoute de la Parole de Dieu, en cherchant à nous y voir comme dans un miroir pour enfin faire la prière de David : O Dieu ! créé en moi un cœur pur, Renouvelle en moi un esprit bien disposé (Ps 51, 12). La sagesse de Dieu est un don, ce n’est pas la somme de nos efforts. Par conséquent il faut que nous apprenions, pour être sage, à sentir le besoin que nous avons de ce don, il faut que nous reconnaissions notre dépendance à l’égard de Dieu. Acquérir la sagesse c’est être entièrement suspendu à la Parole de Dieu dans la prière pour sa vie, et même sa vie quotidienne. Relisons et méditons le verset de l’apôtre que j’ai cité au début de cette prédication : Que la parole du Christ habite pleinement en vous et vous enrichisse de toute sagesse (Col 3, 16). Se laisser pénétrer par la Parole de Dieu, revenir à l’Ecriture comme à une source jour après jour voilà le commencement de la sagesse. Et c’est un éternel recommencement. Car on ne possède jamais la sagesse en propre : seul Dieu est sage (Rm 16), Dieu nous fait participer à une part de sa sagesse. Cette sagesse n’existe pas en dehors d’une communion avec Dieu. Etre sage c’est recevoir sa vie de Dieu, c’est se donner à Dieu pour vivre avec Dieu. Etre sage c’est donc vivre de la joie que Dieu donne.

 

Je vous laisse avec les paroles du psaume 16 qui me semblent être celle d’un sage selon l’Ecriture. Et qui d’ailleurs me semblent être les paroles même du Christ, en dépit de l’anachronisme. Sachons les faire nôtres :

 

Je bénis le Seigneur qui me conseille :

même la nuit mon cœur m’avertit.

Je garde le Seigneur devant moi sans relâche ;

il est à ma droite : je suis inébranlable.

Mon cœur exulte, mon âme est en fête,

ma chair elle-même repose en confiance :

tu ne peux m’abandonner à la mort

ni laisser ton ami voir la corruption.

Tu m’apprends le chemin de la vie :

devant ta face, débordement de joie !

A ta droite, éternité de délices !

Amen.

 

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