Texte biblique : Luc 6, 39-45
« Il leur dit aussi une parabole : « Un aveugle peut-il guider un aveugle ? Ne tomberont-ils pas tous les deux dans un trou ? Le disciple n’est pas au-dessus de son maître, mais tout disciple bien formé sera comme son maître. « Qu’as-tu à regarder la paille qui est dans l’œil de ton frère ? Et la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ?
Comment peux-tu dire à ton frère : “Frère, attends. Que j’ôte la paille qui est dans ton œil”, toi qui ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Homme au jugement perverti, ôte d’abord la poutre de ton œil ! et alors tu verras clair pour ôter la paille qui est dans l’œil de ton frère. « Il n’y a pas de bon arbre qui produise un fruit malade, et pas davantage d’arbre malade qui produise un bon fruit. Chaque arbre en effet se reconnaît au fruit qui lui est propre : ce n’est pas sur un buisson d’épines que l’on cueille des figues, ni sur des ronces que l’on récolte du raisin. L’homme bon, du bon trésor de son cœur, tire le bien, et le mauvais, de son mauvais trésor, tire le mal ; car ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur. » Luc 6, 39-45.
Chers amis il y a des textes bibliques qui selon le grand lectionnaire tombent plus ou moins bien. L’Evangile de ce dimanche tombe à point nommé vu l’état de notre monde. Rassurez-vous je ne vais pas vous rappeler les faits marquants de ces dernières 48 heures, les chaines d’information continues font très bien le travail et l’Eglise n’est pas là pour commenter l’actualité. Cependant nos sentiments de perte de repère, nos désespoirs possibles ou bien même nos désirs parfois inavouables de spectaculaire dans nos quotidiens appellent un éclairage évangélique. Parce que ne pas dispenser la Parole dans des âmes où les ténèbres s’installent serait criminel et l’Eglise ne peut se satisfaire de cheminer sur les nuages, à des altitudes qui échapperaient à tout soucis terrestres.
Dans notre Evangile de ce matin Jésus nous adresse une volée de sagesses populaires percutantes. Elles s’enchainent, les unes les autres et n’en aligne pas moins de 5 d’affilée, chacune d’une profondeur abyssale. On pourrait passer un carême entier sur cette collection de sagesse mais je me contenterai ce matin d’essayer de rendre compte de l’esprit de ce discours de Notre Seigneur. Ce discours s’adresse à nous ce matin et a pour but de nous redresser. De nous redresser d’illusions, de faux semblants et de fausse route que nous n’avons pas pris personnellement mais que nos églises ont pris il y a bien longtemps déjà. De nos nombreuses erreurs sur le chemin chrétien nous avions des mises en garde limpides qui se trouvaient ici, dont l’une des plus flagrante, mais que nous avons dû ignorer je ne sais de quelle manière : « Comment peux-tu dire à ton frère : « Frère, attends. Que j’ôte la paille qui est dans ton œil”, toi qui ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Homme au jugement perverti, ôte d’abord la poutre de ton œil ! et alors tu verras clair pour ôter la paille qui est dans l’œil de ton frère. » C’était écrit ici, ce n’était pas un texte secret, c’était l’Evangile. Mais en connaissance de cause, ou par une amnésie mystérieuse, quand l’église était puissante, quand elle était majoritaire nous nous sommes habitués à dicter les règles de conduite de tout le monde, à juger tout le monde selon une grille de comportement moral qui s’est avéré dans bien des cas bien hypocrite et nous nous sommes desséchés et avons attisé le mal. L’Eglise s’est pour une grande partie effondrée dans notre monde moderne, notre église protestante est désormais minoritaire et notre assemblée confidentielle comparée à la cité dans laquelle nous nous trouvons. L’Evangile n’est désormais plus vraiment perçu par nous ici comme une grille morale mais bien plutôt comme un trésor spirituel et une Parole divine pour notre vie.
Et voilà que les écailles de nos yeux tombent et peuvent peut-être désormais aborder plus humblement le grain, l’esprit de ce que ce passage voudrait bien nous dire. Il est ici question de l’apport vital qui est à gagner en suivant Jésus et en nous mettant à l’écoute de sa Parole. Rien que ça. Ici d’une manière presque programmatique, est précisé ce qu’il ne faut pas faire, ce qu’il faut faire et ce que cela nous apportera. Je ne vous proposerai pas une lecture métaphysique complexe non, mais bien une méditation simple et utile. D’un message simple de Jésus qui a souci de notre santé spirituelle. Et non pas juste pour nous faire du bien à nous, ce qui serait dans le meilleur des cas du développement personnel efficace, mais bien de faire du bien à notre monde et Dieu sait s’il en a besoin.
Relisons ce texte en forme d’énigme didactique. « Un aveugle peut-il guider un aveugle ? » Bien sûr que non répondrons nous car ils ne peuvent voir le chemin et au moindre escarpement ils trébuchent. Il nous faut un guide si nous voyons mal. Ou bien si nous voyons mal et s’il nous manque un guide il nous faut travailler à mieux voir. C’est ici par ce premier proverbe l’appel à un progrès, ou bien la nécessité de se trouver un guide ou un repère. C’est le rappel de la loi dans nos cultes, ce sont les idéaux de notre société que seuls nous ne pouvons atteindre du fait de notre faiblesse, de nos fatigues et de nos finitudes. Dans la soif d’apprendre à voir pour cheminer sur ce sentier où nous tâtonnons nous nous mettons à l’école, nous apprenons à voir, à marcher, et c’est ici que Jésus dit « Le disciple n’est pas au-dessus de son maître, mais tout disciple bien formé sera comme son maître. » Il y a ici le don d’un enseignement qui fait de nous des personnes libres, des personnes pouvant cheminer en toute confiance sur ce chemin. Bien sûr nous ne serons pas au-dessus du maître qui nous a conféré l’enseignement mais nous serons doué des connaissances qu’il nous a généreusement enseigné. C’est ici l’apprentissage de la foi chrétienne, l’apprentissage de la prière, ce catéchisme qui dure toute la vie d’Eglise et cet apprentissage intime qui ne peut se passer que de Dieu à l’âme passant par l’écoute de la Parole, la méditation de l’Ecriture et la participation aux sacrements.
Je poursuis, les yeux sur notre texte, il y a maintenant ce moment critique, le jugement. « Frère attends. Que j’ôte la paille qui est dans ton œil. » Nous devions y arriver. Il fallait que deux hommes en égalité cherchent les défauts dans son prochain qui était pareillement doué aux yeux du maître qui devait être inférieur aux yeux de son semblable. Il semblerait que nous stagnions souvent à ce niveau dans le cheminement n’est-ce pas ? Dans ce rapport de semblable à semblable, de prochain à prochain, souvenons-nous que ce n’est jamais à deux que cela se joue. Mais toujours au moins à 3. Le maître, celui qui nous a dispensé la connaissance reste avec nous et nous sommes en sa présence. Rappelons-nous que si nous sommes redevables de notre prochain nous le sommes encore plus de Dieu même et que le prochain est au même niveau que nous dans cet apprentissage car dans le texte que nous avons il n’existe ni compétition ni graduation. Mais où cela peut-il nous mener. Pourquoi ce chemin ? Ce sont des arbres et des fruits qui nous sont ensuite évoqués. Le bon arbre qui produira le bon fruit et le mauvais arbre qui en produira du mauvais. L’homme bon du bon trésor de son cœur et le mauvais qui tirera le mal de son mauvais trésor.
Ce chemin, cet apprentissage fait de nos cœurs des trésors et de nos êtres des arbres produisant de bons fruits. Si cela est dit ce n’est pas pour gratifier ceux qui seront sur ce chemin et qui sont désignés comme « bons » dans cette parabole. Non un arbre ne consomme pas son fruit et il n’est pas d’intérêt à garder un trésor s’il ne profite à autrui. Ici les hommes bons qui produisent du bon fruit et qui sortent de leur cœur des trésors sont celles et sont ceux qui enrichiront notre monde et qui seront témoins fidèles de Dieu du fait du bien qui émaneront de leur vie. Et je ne parle pas ici des saints des temps anciens mais bien d’un appel chrétien qui s’adressent à nous aujourd’hui. Chrétiens, nous nous sommes souvent égarés dans le passé à juger le monde et à cultiver la peur. C’est ici à nous, quand notre monde dérape et que la peur et les ténèbres se font une réalité plus familière pour beaucoup d’entre nous, de prendre au sérieux cet appel de Jésus qui exhorte ses disciples à se rendre compte de l’appel, à se rendre compte de la vocation évangélique d’être par nos vies de foi des trésors pour le monde. Et cela grâce à l’enseignement de l’Evangile. Ce n’est pas la mer à boire. Il nous faut d’abord prendre au sérieux nos vies et nos vocations spirituelles. Nous sommes au bon endroit pour cela.
Dans l’Eglise, dans la prédication de la parole et la participation aux sacrements nous nous nourrissons, nous faisons en nous la place à cet autre qui vient nous visiter, à cet autre qui vient raviver en nous ce qui se meurt et chasser ce qui blesse et emprisonne. Nous trouvons réconfort à rencontrer notre prochain, et nous regagnons espoir à pouvoir imaginer et vivre d’une fraternité d’Eglise, d’une fraternité en Christ. Cela ce sont autant d’outils pour nous construire, dans notre intérieur. Cette vocation est unique et elle est d’intérêt général. Je m’adresse à vous, toutes et tous, de tous âges, paroissiens chevronnés, nouveaux dans l’Eglise, jeunes catéchumènes qui ne comprennent pas tout de ce que je dis, je vois vos mines sur lesquelles commencent à se lire l’ennui, ne vous inquiétez pas je vais bientôt conclure. Il vient bientôt le temps où nous serons sollicités et où on nous demandera : « vous les chrétiens à quoi servez-vous ? Votre dimanche Matin, pourquoi le gaspillez-vous ? » Et à ce moment-là il faudra peut-être que nous comprenions en nous-mêmes ce que cela veut dire « vivre d’esprit » et « prier pour le monde ».
Mon frère ma sœur, notre monde a besoin de nous, il est une richesse qui ne pourra pas se gagner par le travail humain, il est un progrès qui ne pourra se faire grâce à aucune technologie et qui ne pourra s’acheter à aucun prix. Vous êtes la lumière du monde et le sel de la terre est-il écrit dans un autre évangile. Et un vieil écrit chrétien, l’épitre à Diognète écrivait aussi ceci, je cite : « En un mot, ce que l’âme est dans le corps, les Chrétiens le sont dans le monde. » Ce trésor ultime, ce seul trésor auquel Dieu accorde une valeur, ce sont nos cœurs, ce sont nos êtres. Servons Dieu en nous en occupant sérieusement, aidons le monde en nous saisissant de cette vocation.
Amen.
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