Liberté sacrifiée – Méditation pour temps de confinement
A réfléchir au « monde d’après », une question me taraude… Suis-je le seul à ressentir l’incompatibilité qu’il peut y avoir à applaudir à 20h00 à grands coups de casseroles le sacrifice de soi des infirmières, et à s’indigner à 20h10 de la réouverture des écoles ou à refuser de distribuer le courrier tous les jours ? Il serait utile, me semble-t-il, de réfléchir à cette contradiction entre ce que nous reconnaissons être de la plus haute importance (le service et le don de soi) et ce que nous recherchons d’une manière quasi compulsive (la sécurité et l’assurance de l’absence de risque). Serait-ce que, dans notre soutien aux soignants, nous soyons en fait au centre de nos préoccupations ? Serait-ce que là encore nous craignons pour nos vies et que nous exorcisons notre peur en applaudissant celles et ceux qui bravent la mort pour assurer notre rédemption ?
Disons-le clairement : je m’agace comme tout le monde de ces « commentateurs » qui, comme l’a dit le premier ministre, « ayant une vision parfaitement claire de ce qu’il aurait fallu faire selon eux à chaque instant », sont passés « du café du commerce à certains plateaux de télévision ». Disons-le également sans ambiguïté : le confinement a permis au flots de patients d’être correctement pris en charge dans les hôpitaux. Il était donc nécessaire.
Mais permettez-moi
cette évidence triviale : le confinement c’est
l’anti-liberté. A mes yeux, il représente une parabole vivante et le signe même
du sacrifice de la liberté au profit de la sécurité, et du renoncement à satisfaire
nos besoins par le refus du risque. Les Pays-Bas, la Corée du Sud ou la Suède,
par exemple, ont fait d’autres choix au nom du caractère inaliénable de la
liberté. Ce sont des pays à forte culture protestante… Est-ce tout à fait un
hasard ? Le confinement c’est aussi, à mes yeux, une magnifique parabole de cet
instinct grégaire qui nous affecte tous, ce besoin de nous sentir comme les
autres et de rester bien au chaud à l’abri du troupeau sous peine d’opprobre jeté
sur les moutons noirs qui « ne respectent rien ni personne »… Irons-nous
jusqu’à télécharger cette fameuse application qui tracera la localisation de chacun ?
Mais au fond qu’importe ? Puisque c’est déjà le cas… Toutes ces informations
qui nous concernent sont déjà à disposition des opérateurs téléphoniques, des
marchands de smartphones, des géants du net qui possèdent nos données et d’États
totalitaires tels que la Chine.
La sécurité et la conformité sont les deux
mamelles de notre société dans sa quête du bonheur. Au grand détriment de la
liberté. Parce que les deux sont antinomiques.
Je le répète une fois encore, il ne s’agit pas de critiquer les mesures sanitaires qui ont permis de préserver des centaines de milliers de vies dans le monde. Il s’agit pour moi de dévoiler le sacrifice auquel nous avons tous consenti pour préserver notre recherche du bonheur par la sécurité et le refus de la perte. Dans notre société qui se veut humaniste, chaque mort est vécue comme une défaite inacceptable. Seul le bonheur est digne d’intérêt à nos yeux et cette quête passe par la satisfaction de nos besoins de sécurité, l’absence d’ennuis, le rejet de toute pénibilité, le refus de toute souffrance, bref, la peur de la mort. Le transhumanisme constitue la pointe avancée de cette quête éperdue d’un bonheur qui, pour se sentir complet, refuse le manque. Le confinement en est sa parabole quotidienne. Tout y est sacrifié. Et même quand le gouvernement (libéral quelle horreur !) nous met sous les yeux la nécessité impérieuse pour les enfants des familles modestes de retourner à l’école et pour les adultes de retourner au travail pour œuvrer ensemble à la reconstruction de notre société, tous les bien-pensants s’insurgent au nom du droit de retrait et du principe de précaution. Comme le disait Jacques Ellul : « Le bonheur est une aliénation de la liberté entre les mains des puissances du monde (rois et idoles) qui détiennent en effet ce que l’homme appelle bonheur ». (Éthique de la liberté, p.412)
Une parole de Jésus de Nazareth devrait être entendue ici et aujourd’hui pour produire un choc libérateur : Heureux ceux qui ont l’esprit de pauvreté, le royaume des cieux est à eux. Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés… Un bonheur serait donc possible y compris dans la pauvreté et le manque ?