Création et début de la chorale Per Cantum

Fidèle à la tradition protestante, nous avons toujours fait chanter les enfants pendant l’école biblique. Avec eux, nous avons préparé des spectacles pour les cultes de Noël des enfants, accompagnés par des flûtes, xylophones, tambourins pour raconter l’histoire de la nativité. A la fin des années 60, quelques jeunes ont continué à chanter ensemble dans les hôpitaux pendant les semaines de l’avent et m’ont demandé de leur faire répéter des chants profanes comme religieux.

Nous sommes maintenant au printemps 1972. C’est aujourd’hui la fête paroissiale de l’église du Saint-Esprit. Nos amis méthodistes nous ont comme d’habitude prêté leurs locaux de l’autre côté de la rue Roquépine. Les comptoirs de la vente de charité viennent d’être installés. Avant le déjeuner, le pasteur Barde annonce une surprise : « le groupe de jeunes qui chante dans les hôpitaux vous a préparé, pour le dessert, un petit concert ». Je les avais aidés bien sûr ! Ce fut, je l’avoue, du meilleur style « A Cœur Joie », précis et juste, et nous avons bien mérité les applaudissements de notre sympathique public. Les chanteurs, heureux aussi, m’ont demandé de former une chorale avec eux.

J’ai essayé de faire comprendre aux jeunes et aux moins jeunes que faire partie d’une chorale ce n’était pas seulement chanter ensemble, c’était aussi accepter une certaine discipline, se tourner vers l’autre avec générosité, aider à créer le climat de confiance favorable à l’épanouissement de tous.

Notre petite chorale commençait à s’étoffer, des parents de chanteurs et des amis nous avaient rejoints, venus de tous horizons : autres chorales parisiennes, paroisse voisine de Saint-Augustin, bouche à oreille. Nous pouvons maintenant sur le plan musical envisager de donner des concerts.

En 1974, notre premier concert a été consacré à la famille Bach. C’est cette année-là que notre chorale a pris le nom de « Chorale Per Cantum », nom en « latin de cuisine » proposé par une de nos choristes, et qui deviendra vite notre marque de fabrique…

Nous nous sommes engagés à participer périodiquement aux cultes rue Roquépine et aux cultes radiodiffusés ou télévisés. Nous l’avons toujours fait sous le nom de « Chorale de l’Église Réformée du Saint-Esprit », moment de partage entre protestants, catholiques, athées …

Comme toutes les jeunes chorales, Per Cantum a chanté les grands classiques du répertoire : Magnificat et Gloria de Vivaldi, motets et cantates de J.S. Bach. Nous avons aussi travaillé des œuvres a capella (sans accompagnement instrumental), et choisi en 1977 de donner en concert deux motets, l’un de Brahms sur un texte du livre de Job, l’autre de Mendelssohn, traduction musicale bouleversante du psaume XXII.

À cette époque des formations instrumentales baroques se développent. Ces orchestres ont commencé à jouer sur des instruments anciens, ou copies d’anciens, dont la sonorité plus feutrée se marie beaucoup mieux aux voix. Les instruments à vent, et en particulier les trompettes, en sont l’exemple parfait. Le diapason est un demi-ton plus bas, ce qui facilite les notes aiguës des sopranes et des ténors. L’articulation qui caractérise la musique baroque, je l’avais découverte sous les doigts de mon maître, l’organiste André Marchal.

Ce changement de sonorité va nous inciter à travailler un autre répertoire du 17ème et du 18ème siècle. J’ai commencé à faire des recherches à la BNF (Bibliothèque Nationale de France) pour constituer un répertoire d’œuvres françaises, anglaises, allemandes, italiennes… qui sortirait des sentiers battus. Caldara, compositeur italien, avait écrit un Stabat mater intéressant, mais seules les parties vocales avaient été éditées. J’ai recopié une à une les partitions d’orchestre et créé le conducteur. En 1981, cette œuvre de Caldara, complétée par des motets de Monteverdi et des anthems de Haendel, a été au programme de notre premier concert avec un orchestre baroque.

En 1982, nous avons donné Didon et Énée de Purcell, mise en espace dans le temple. J’ai bien sûr demandé au conseil presbytéral la permission de donner cette œuvre « profane ». Très peu connue des musiciens professionnels et du grand public, cette œuvre fut une révélation pour tous.

À cette époque, nous avons osé franchir une étape pour la chorale. Les choristes ont accepté de fournir pendant des mois un très gros effort. C’est ainsi qu’est née la Messe en Si de Bach. N’étant pas germanophone, je n’ai pas envisagé de donner une Passion où les récitatifs prennent tant de place. En revanche, diriger la Messe en Si a toujours été un de mes rêves les plus chers. Rassembler une trentaine d’instrumentistes baroques a été un vrai challenge. De jeunes instrumentistes, qui plus tard sont devenus des chefs baroques reconnus, ont sauté sur l’occasion pour jouer avec nous. Par contre, il n’y avait pas encore dans les ensembles baroques français de bons trompettistes. Grâce aux conseils de Philippe Herreweghe, j’ai pu joindre les trois meilleurs trompettistes allemands. Nous avons donné deux bons concerts au début de 1985, par un froid glacial (la verrière n’était pas très hermétique et certains instrumentistes portaient des mitaines aux doigts pendant les répétitions).

Notre répertoire s’est élargi, et nous avons fait découvrir à notre public des œuvres de compositeurs baroques encore méconnus : Biber, Gilles, Zelenka, … sans oublier les cantates ou les messes de Buxtehude, Haydn, Mozart, Schubert, Liszt, Vierne.

En 1989, j’ai voulu aborder un programme tout à fait différent. Il me tenait à cœur de donner le Roi David d’Arthur Honegger, oratorio avec récitant du début du 20ème siècle. Le texte de René Morax reprend tous les moments essentiels de la vie du roi David. Pour ce récit, il confie au récitant ou aux choristes des textes bibliques ainsi que des Psaumes.

Après l’introduction instrumentale, le cantique du jeune berger David est inspiré du psaume XXIII et chanté par une alto ou un enfant :

L’Éternel est mon berger … L’Éternel est mon rocher … L’Éternel est mon abri … L’Éternel est mon ami, je t’aime et je te bénis, Tu es L’Éternel 

Plus loin, « les dix notes du psaume LI de Clément Marot et Loys Bourgeois, dix notes que s’échangent, pianissimo, le trombone et la trompette, dix notes chargées d’histoire, font de la confession du Roi David une des créations musicales les plus bouleversantes ».

À la mort de David, René Morax écrit ce texte plein d’espoir : « Un juste viendra sur les hommes régnant dans la crainte de Dieu. C’est la clarté du matin quand le jour se lève ». « La vie était si belle. Je te bénis, toi qui me l’a donnée ». «  Un jour viendra où une fleur fleurira de ta souche reverdie, et son parfum remplira tous les peuples d’ici-bas du souffle de la vie. Alléluia ! » 

En marge de nos concerts, nous avons aussi participé à des évènements protestants importants : rassemblement des chorales protestantes dans la cathédrale de Beauvais en 1978, Commémoration de la Révocation de l’Édit de Nantes en 1985 (à l’UNESCO en présence du président de la République François Mitterrand), Jubilé de M.-L. Girod, organiste de l’Oratoire en 1991 (avec des psaumes harmonisés de la Réforme), Concert de soutien à Fréquence Protestante au temple de l’Étoile en 1993,  Concert de psaumes dans la chapelle de l’hôpital de la Salpêtrière, …

J’ai eu l’immense privilège de redonner la Messe en Si de Bach pour mes deux derniers concerts en 1996. Je n’ai pas respecté le style habituel du Sanctus, très rigoureux et très solennel. J’ai vu, dans le Sanctus de J.S. Bach, l’image d’un Dieu d’amour regardant voler les anges avec bienveillance.

La chorale a toujours été un lieu d’accueil, de rencontre, de partage et d’amitié entre choristes de tous horizons. Les répétitions et les concerts ont été pour moi l’occasion d’exprimer ma foi.

Christine Morel a pris la direction de la chorale jusqu’en 2005. Étienne Lestringant en assure maintenant la direction.

Denise Fauvarque

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