Chronique Église Universelle – Juin 2019

Je suis donc chargé, pour la lettre hebdomadaire de l’Eglise protestante unie du Saint-Esprit, d’une chronique mensuelle sur l’Eglise Universelle. J’ai commencé de manière très personnelle en exprimant pourquoi ma foi avait besoin de l’étranger. Puis j’ai fait deux chroniques sur la mission et notamment la Cevaa. En mai, j’ai proposé une chronique sur l’écheveau des relations internationales de l’EPUdF. Y figure bien sûr l’Eglise catholique romaine… Mais elle mérite mieux que cela, me semble t’il.

J’ai donc demandé à trois pasteurs de notre Eglise : Qu’est ce qui fonde (ou pas !) une relation privilégiée de l’EPUdF avec l’Eglise catholique ?

Dix lignes chacun ! Voici leurs réponses, et la mienne.

En bonus vous trouverez deux textes plus longs, l’un de Samuel Amédro, l’autre de Michel Leplay.

 

Une relation privilégiée avec nos frères et sœurs de l’Eglise catholique et romaine ? C’est d’abord un fait… démographique et une réalité sociologique : la probabilité pour un protestant de croiser le chemin d’une catholique est strictement inverse à celle d’un catholique de rencontrer sur sa route une protestante ! Bref : l’œcuménisme est pour nous une réalité incontournable que nous pratiquons depuis longtemps, dans toutes nos familles, et de manière assidue (quoique souvent subie plutôt que choisie !). C’est aussi le fruit d’un ressentiment historique devant un catholicisme majoritaire qui a longtemps dénié au protestantisme son droit d’existence avant que de lui dénier le droit de se dire « Eglise » (La Déclaration Dominus Iesus de 2007 en étant le dernier avatar) jusqu’à contester sa pertinence théologique, arguant le fait que, eu égard aux évolutions internes de l’Eglise catholique et aux derniers accords œcuméniques (telle la Déclaration commune sur la justification de 1999), il était temps de « refermer la parenthèse protestante »… Et pourtant ! Et pourtant si nous persistons, c’est bien le signe de l’existence d’un lien privilégié que nous refusons de trancher. Pour reprendre la belle expression de Paul Ricoeur, nous avons transformé un hasard en destin par un choix continu. Parce que nous avons la ferme conviction que le lien qui nous unit à nos frères et sœurs catholique dépasse les aléas forcément tortueux de l’histoire en prenant sa source spirituelle en Christ lui-même. Quelle que soit la qualité de nos relations avec eux, nous n’en faisons pas moins partie de la même famille. Enfants d’un même Père, ils sont nos frères et nos sœurs. Et ils le resteront !

Samuel Amédro.

 

L’EPUdF se comprend comme l’un des visages de l’Eglise Universelle. Elle reconnaît ainsi que la compréhension de l’Evangile, l’écoute de la Parole de Dieu et le service du Seigneur passent nécessairement par le partage avec des Eglises sœurs. Il n’y a pas pour moi d’autre fondement du mouvement œcuménique que cette volonté d’apprendre « toujours plus » de la volonté de Dieu dans le partage de sa parole, et d’en témoigner.

L’environnement majoritaire de l’EPUdF est sans aucun doute celui du catholicisme romain ; c’est donc principalement avec cette Eglise qu’elle doit partager sa compréhension de la Parole de Dieu.

Ce partage, sans fusion ni séparation, est au cœur de notre compréhension d’un Dieu qui parle à tous. Qu’ont-ils entendu qui m’aide à comprendre ce que j’ai entendu (et inversement !) ?

Jean-Arnold de Clermont.

 

L’enjeu des relations entre Eglises est de se tenir ensemble en vue du témoignage.

L’EPUdF est engagée depuis longtemps dans les dialogues œcuméniques. Les communions mondiales luthériennes et réformées ont signé cet accord majeur avec l’Eglise catholique romaine sur la doctrine de la justification par la foi, signifiant que désormais elles proclament le même salut. Ces avancées dans les dialogues, doivent continuer pour une visibilité toujours plus grande sur le chemin de l’unité et une collaboration accrue dans le témoignage.

Par son expérience des dialogues sous différentes formes (doctrinales, liturgiques, etc.) l’EPudF peut, au sein du protestantisme, aider les Eglises moins à l’aise à y participer.

L’unité n’est pas l’uniformité, c’est pourquoi ces relations avec d’autres Eglises sont aussi une manière de réfléchir à sa propre identité ecclésiale en se demandant en quoi l’autre différent peut l’enrichir.

Anne-Laure Danet, responsable du service des relations avec les Eglises chrétiennes, de la FPF.

 

Compte tenu de notre histoire ancienne, commune puis divisée et en voie de réconciliation œcuménique, compte tenu de la situation religieuse, politique et morale de la France actuelle, ces deux formes de christianisme, l’un plus ecclésial, l’autre plus évangélique, nous aurions une mission délicate de médiation entre les intégristes de l’un et l’autre bord, catholiques identitaires et évangéliques solitaires ! Nous proposerions un point d’équilibre entre les pesanteurs de la tradition et les exagérations de la nouveauté. « Le protestantisme est équipé pour des désaccords raisonnables » (Paul Ricoeur).

Michel Leplay.

 

Bonus  de Michel Leplay – 22 mai 2019

 

1 – PARABOLES ECCLESIALES

Il leur parlait en paraboles. L’Église catholique romaine est une grande maison dans laquelle habitent plusieurs familles. Un château, une cathédrale, un palais.  Alors que les protestants habitent plusieurs maisons, un hameau, un bourg ou un quartier, mais une seule famille. Il leur disait encore : l’Église catholique est une colonne vertébrale, verticale et cléricale, des coccigiennes basiques au cervicales pontificales. Tandis que le protestantisme serait cage thoracique, vertèbres circulaires, et qui cache et protège le cœur, ce chauffage central… Tel est mon peuple, dit Dieu, de cathédrale et de villages, tel est mon corps de Christ, d’os durable et de chair périssable, tel est le temple de l’Esprit avec ses  marchands et ses prieurs. C’est aussi simple que ça, dit Dieu, et pourtant j’ai parfois de la peine à m’y retrouver.

 

2 – DIPLOMATIE ECCLÉSIASTIQUE

La question semble concerner au premier abord la situation française. On me parle de l’Église protestante unie … DE FRANCE. Mais je n’ai pas autorité pour parler en son nom, pas plus que de la Fédération protestante encore DE FRANCE. Alors j’avance librement et à mes risques et périls :

a – Les difficultés dans lesquelles se débat l’Église catholique romaine appelleraient de notre part une sorte de compassion fraternelle et solidaire, sans autre référence ultime que l’Évangile pour tous.

b – De son côté, le protestantisme éprouve, une fois de plus, les difficultés de sa cohésion et de sa cohérence : à Église protestante il faut ajouter « unie », comme si cela n’allait pas de soi ! Entre les évangéliques et leur prospérité et les historiques soucieux de paternité, il y a des problèmes difficiles de compréhension et de compétition !!!

c – Nous sommes tous tentés par le retour des intégrismes ou la tranquillité des fondamentalismes. Devenir ambassadeurs du Christ, plus que diplomates ecclésiastiques.

 

3 – THÉOLOGIE ŒCUMÉNIQUE

Nous avons en commun, certes à des degrés divers de leur conception, l’autorité souveraine des Saintes Écritures, la révélation du Dieu de Jésus-Christ, et l’oraison dominicale (Pater) comme la Confession de foi de l’Église (Credo), et les deux « sacrements principaux », le baptême d’eau et d’Esprit ; et la Cène eucharistique de la communion avec le Seigneur.

D’autre part, notre bonne volonté » œcuménique est fragilisée par des désaccords récurrents qui concernent principalement la conception de la nature et de la fonction de l’Église. Les ministères comme services de la communauté sont différemment conçus : de type sacerdotal et clérical dans un cas, sur un modèle presbytéral et pastoral dans l’autre. On restera donc attentifs aux avancées réalisées récemment : tant avec le Conseil Œcuménique des Églises, « Baptême, Eucharistie, Ministère » (1982) qu’à la suite du Concile Vatican II, avec notre comité mixte catholique-protestant en France, « Consensus œcuménique et différence fondamentale » (1987). Sans oublier des accords internationaux plus récents, notamment sur la Justification.

 

Bonus de Samuel Amédro.

 

Je veux revenir ici sur la distinction opérée par Bonhoeffer dans sa définition de l’Eglise comme communauté psychologique ou comme communauté spirituelle. Selon Bonhoeffer, la communauté psychologique s’attache à scruter, ausculter, analyser la qualité de cette fameuse « relation privilégiée » qui relie (ou pas !) ses membres pour en mesurer l’intensité, la valeur, la qualité, la solidité ou la fragilité… Ce lien est alors plus ou moins rapproché ou distendu en fonction des aléas de l’histoire commune, entaché de culpabilité ou de ressentiment au gré des vexations réciproques. C’est ainsi que dans les relations œcuméniques qui nous relient à l’Eglise catholique, on assiste à une véritable « hainamoration » réciproque (pour reprendre le jeu de mot de Lacan pour dire le jeu d’attirance / répulsion). Notre église protestante unie réclame sa dose de reconnaissance de la part de ses partenaires qui, le plus souvent, jouent l’indifférence quand ils n’appuient pas la division intra-protestante, « jouant » les évangéliques contre les réformés avant de nous flatter quand les choses vont trop loin. De fait, l’Eglise catholique ignore la plupart du temps jusqu’à notre existence parce que nous sommes trop petits, insignifiants tant numériquement que théologiquement. Ce qui provoque une véritable blessure narcissique en retour… Bref : nous nageons en plein psychodrame, englués dans une nasse psychoaffective qui ne dit pas son nom.

A l’inverse la communauté spirituelle n’est pas fondée sur un lien direct et immédiat entre ses membres mais se sait fondée par le seul lien du Saint-Esprit. Autrement dit, la relation privilégiée qui unit ses membres ne dépend pas du vécu réciproque, ni des émotions, ni des circonstances historiques plus ou moins troublées qui ont émaillé notre histoire commune. Cette relation n’existe qu’en Christ et en lui seul. C’est parce que, eux et nous confessons Jésus Christ comme unique Seigneur et Sauveur, que nous considérons cette relation comme une fraternité commune. Nous sommes frères et sœurs en Christ, n’en déplaise aux uns ou aux autres, membres d’un même corps, n’en déplaise aux uns ou aux autres (1 Co 12). C’est le Christ qui est au centre de la roue, dont nous sommes les uns et les autres, les rayons de cette unique roue que constitue l’Eglise. Nous avons un même Père et c’est par la foi de Christ que nous avons reçu cet Esprit d’adoption filiale par lequel nous crions Abba ! Père ! (Romains 8,5). Le Christ est non seulement notre médiateur mais aussi notre intercesseur, celui qui prend soin de ce lien qui nous unit, le ressuscitant quand nous le détruisons. En lui, nous pouvons être en vérité avec nos frères catholiques sans craindre de perdre ce lien qui nous unit. C’est parce que nous sommes frères et sœurs en Christ que nous pouvons être avec eux en vérité sans faux-semblants ni stratégies de séduction. Nous pouvons être nous et ils peuvent être eux. En Christ et en Christ seulement. Nous n’en sommes pas moins frères. Qu’ils le reconnaissent ou non importe peu en fait. Parce que nous sommes en Christ.