Chronique Eglise universelle

Dans nos contacts œcuméniques avec le catholicisme, la question de la place de la vierge Marie revient quasi automatiquement. C’est pourquoi il m’a semblé important de vous proposer la lecture de cet article de La Croix signé par Don Guillaume Chevallier, curé e la paroisse Saint-Bernard de Dijon, et professeur d’exégèse à la Communauté Saint-Martin. Il présente une note doctrinale publiée, le 4 novembre, à Rome, sur ‘certains titres mariaux’. Cela ne bouleversera pas une piété mariale qui parfois nous étonne, nous protestants, mais cette note
peut augurer de multiples transformations à venir.
JAC. 17/11/25

Entre Marie et Dieu, l’écart est abyssal : elle est une créature, il est le Créateur La Note doctrinale sur certains titres mariaux qui se réfèrent à la coopération de Marie à l’œuvre du salut, Mater Populi fidelis, publiée le 4 novembre 2025 par le dicastère pour la doctrine de la foi, n’arrive pas de nulle part. Plusieurs décennies de travaux du Saint-Siège l’ont préparée – mais ils étaient confidentiels jusqu’à la publication des Normes procédurales pour le discernement de phénomènes surnaturels résumés (17 mai 2024). Depuis, le dicastère a produit 13 documents sur ce thème, en réponse à des évêques qui l’avaient saisi sur des manifestations (présumées ou prétendument surnaturelles) toujours en cours.

Ce chiffre est d’autant plus impressionnant qu’on ne trouve pas plus de trois interventions publiques de ce type depuis le concile Vatican II, dont la célèbre interprétation du message de Fatima (2000). Les études romaines étaient jusque-là destinées à nourrir le jugement pastoral des évêques diocésains, responsables directs de ce discernement et de leur publicité. Mais les Normes de 2024 prévoient que Rome puisse apporter désormais son concours publiquement pour renforcer l’autorité des décisions épiscopales.

On soulignera le rôle durable de Benoît XVI en ces matières. Mater Populi fidelis cite le cardinal Ratzinger à de nombreuses ​reprises de manière décisive avec même la transcription du texte, normalement secret, de l’un de ses votum (1) qui orienta, lors d’une session de la Congrégation en 1996, l’abandon magistériel du titre « corédemptrice ».

Saint Jean-Paul II, qui l’avait utilisé sept fois – mais pas dans sa grande encyclique mariale ​Redemptoris Mater en 1987 – ne le fit plus après cette date.  L’esprit de finesse de Ratzinger, qui voulait tirer le fruit à la fois des mouvements liturgique, biblique et œcuménique et du mouvement marial qui s’étaient opposés au Concile, transparaît dans Mater Populi fidelis. Cette note doctrinale très riche, parfois technique, passe au feu de la théologie les titres de la Vierge, en particulier ceux de « corédemptrice » et de « médiatrice de toutes grâces ». Nés au XV e  siècle dans le contexte d’une poésie hymnique qui ne s’interdit pas les formules excessives, ces termes ont perdu dans leur carrière ultérieure les guillemets avec lesquels il aurait fallu les utiliser par précaution.

Chez des théologiens ou des mouvements spirituels militants, ces titres ont pu nourrir des ​représentations imaginaires où le rôle de la Vierge est surdimensionné – au point de friser l’impiété sans longues précautions oratoires. Entre la Vierge et le Sauveur, la dissimilitude ne peut être qu’abyssale. Elle est une créature, il est le créateur. Si elle est associée à l’œuvre rédemptrice, c’est en toute dépendance de lui : elle ne peut ajouter ni force ni arguments à celui qui a décidé et
opéré souverainement le salut de l’humanité.

Cette note du dicastère, influencée par Benoît XVI, le pape théologien, préparée sous François, publiée par Léon, témoigne du souci de protéger tant le mystère du Christ que la dévotion populaire, notamment pour Marie, qui fut le fil rouge des dernières initiatives du pape François – l’encyclique Dilexit nos sur le Sacré-Cœur en octobre 2024 ; le voyage en Corse du 15 décembre de la même année.

Si l’Évangile, c’est Dieu répandu dans le cœur des pauvres, l’Église, épouse du Christ, défend ici – avec Marie – l’accès direct des pauvres à Dieu, sans autre médiateur que l’Unique. « Dans la parfaite immédiateté entre l’être humain et Dieu pour la communication de la grâce, même Marie ne peut intervenir. Ni l’amitié avec Jésus-Christ, ni l’inhabitation de la Trinité (2) ne peuvent être conçues comme une chose qui nous vient par Marie ou par les saints » (paragraphe 54).

Le concours de Marie au travail de la grâce n’est pas exclu, mais il est resitué : il « dispose » à la grâce, par analogie avec la maternité. Il ne s’agit pas d’écarter Marie pour sacrifier à la cause œcuménique, mais de rendre justice à la vérité et à la profondeur d’une grâce où Dieu lui-même visite et sanctifie les hommes.

Puissent les polémiques se dissiper devant ce texte de haute teneur spirituelle qui discerne avec autorité et délicatesse le vocabulaire de la théologie et de la prière chrétiennes et trace un chemin d’adoration à tout le « peuple fidèle ».
 
(1) Avis personnel et motivé qui fait ​ensuite l’objet ou non d’une décision collégiale de la Congrégation.
(2) La présence de Dieu trinité dans l’âme.

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