Chronique de l’Eglise universelle – Juin 2024
Voici un document qui vous fera franchir des kilomètres au sein de l’Eglise universelle. J’étais, il y a deux semaines en République centrafricaine pour présider un colloque « Humiliation et réparation. Quel avenir pour les sociétés post-conflits? ». J’en ai profité pour aller rencontrer un ami, le Cardinal Dieudonné Nzapalainga, l’une des personnalités religieuses qui ont su garder le cap tout au long des années de crise qui depuis 2013 et aujourd’hui encore ont défiguré ce pays. Le remerciant pour son accueil et ses paroles fortes, il m’ adressé le texte de l’homélie qu’il venait de prononcer lors de l’ordination d’un évêque. Je vous la propose comme un exemple du courage d’un homme qui ne renonce pas à dire sa foi et le regard qu’elle lui fait porter sur la vie de son pays. J’y ai souligné un passage significatif, à mes yeux.
JAC 20/06/24
« Tu sais bien que je t’aime » (Jn 21, 17)
Textes : Is 61, 1-3 ; Ps 99 ; 2 Tim 1, 6-14 ; Jn 21, 15-18
Homélie de la messe de consécration épiscopale de Mgr Aurelio GAZZERA, Évêque coadjuteur de Bangassou
À vous tous grâce et paix de la part de Dieu le Père et de notre Seigneur Jésus Christ. Aujourd’hui, le Christ, Pasteur éternel, donne à l’Église-Famille de Dieu en Centrafrique, et de manière singulière au diocèse de Bangassou, un évêque coadjuteur appelé à prêter mains fortes à Mgr Juan Jose Aguirre et, plus tard, à lui succéder. Un tel événement est un motif d’actions de grâces. Je me réjouis de voir prendre part à cette liturgie d’ordination épiscopale tant d’évêques, de prêtres, de religieux et religieuses. Comme il est beau de voir réuni en un seul endroit tant de serviteurs, d’hommes et de femmes de Dieu. Comment ne pas être aussi sensible et être touché par la liesse des fidèles laïcs du Christ et de tout le peuple de Dieu ! La présence des autorités politiques et administratives, civiles et militaires à nos côtes nous honore. Cette liturgie qui nous réunit tous donne le ton du type de cadre de collaboration dans lequel l’Église et l’État devraient coopérer et collaborer.
1. La Mission messianique et prophétique de l’Église
Le texte de la première lecture, tiré du livre du prophète Isaïe, définit de manière programmatique la mission du prophète. Cette mission consiste, selon les mots du prophète Isaïe, à annoncer la Bonne Nouvelle aux humbles, à guérir les cœurs brisés, à proclamer la délivrance et la libération aux captifs et aux prisonniers, à annoncer aux aveugles le recouvrement de la vue, à témoigner des bienfaits du Seigneur, à consoler les endeuillés et éprouvés et à annoncer le jour du Seigneur comme jour de justice, de relèvement des accablés et des opprimés, mais aussi de chute des oppresseurs.
Le Christ s’est approprié cette annonce du Prophète Isaïe au début de sa vie publique dans la synagogue de Nazareth. Il est Celui qui accomplit véritablement les promesses messianiques.
En vérité, l’Église ne s’invente pas une autre mission. Son engagement s’inscrit et s’enracine dans la longue tradition du prophétisme en Israël et dans la mission du Christ. Cette mission, nous la recevons fondamentalement comme un don de Dieu.
Nul ne peut s’autoproclamer prophète en Israël. De même aujourd’hui dans l’Église, nul ne peut s’autoproclamer Évêque, prêtre, diacre, religieux, religieuse, catéchiste, responsable de mouvements et fraternités, bergers, etc. Dieu seul est le premier protagoniste de la mission. Lui seul se choisit des hommes et des femmes en toute liberté et souveraineté, qu’il met à part et consacre, pour les associer à l’unique mission rédemptrice et salvatrice du Christ. Au cœur de cette mission salvatrice, il y a l’homme que Dieu a créé et doté d’une majesté et dignité incomparable. En effet, l’homme est : « la première route et la route fondamentale de l’Église, route tracée par le Christ lui-même » (Redemptor Hominis, n.14).
Cette mission de l’Église prend une tournure et un accent grave lorsque la dignité de la personne humaine est foulée aux pieds, lorsque prédominent des structures socio-économiques et politiques injustes qui accentuent l’exploitation des pauvres, des petits et des marginalisés. Un système socio-économique qui favorise l’enrichissement des riches et aggrave la misère et la paupérisation des pauvres doit être décrié et dénoncé. L’histoire nous enseigne une vérité fondamentale sur les crises de nos sociétés : lorsque la misère côtoie l’insolence des richesses mal acquises au lieu de leur juste répartition les conflits sociaux et militaro-politiques ne sont pas toujours loin.
L’Eglise ne peut donc se taire au risque de se rendre complice lorsque le sang des innocents est versé, lorsqu’on tue et assassine des êtres humains impunément sans être inquiété comme si l’on écrasait des mouches. Experte en humanité, l’Église est appelée à puiser dans le dépôt des Saintes Écritures, de la Divine Tradition, dans le trésor du Magistère et de sa Doctrine Sociale les enseignements nécessaires à mettre à disposition pour contribuer à la construction et à l’avènement d’un ordre social et politique plus juste sans sombrer dans une politique politicienne.
2. Le don de la grâce de l’épiscopat
Excellence, Mgr Aurelio GAZZERA, cher frère bien-aimé ! D’ici quelques instants, avant votre consécration épiscopale, vous allez promettre de servir le peuple de Dieu et d’annoncer l’Evangile du Christ. Vous vous engagerez à garder la pureté et l’intégralité du dépôt de la foi selon la tradition reçue des Apôtres, à prendre soin du peuple qui vous est confié et de le conduire sur le chemin du salut, ensemble avec vos proches collaborateurs les prêtres. Vous vous engagerez à intercéder sans relâche auprès de Dieu pour le peuple de Dieu et à remplir de façon irréprochable la fonction de grand prêtre et de pasteur.
Par l’imposition des mains et la prière consécratoire, vous allez recevoir la grâce de l’épiscopat qui vous introduit dans le collège des évêques, successeurs des apôtres œuvrant en collaboration avec le Souverain Pontife comme à son Chef. Il ne s’agit en aucun cas d’une quelconque transmission de pouvoir ni d’une promotion.
Durant votre cursus, vous avez eu à assumer diverses responsabilités dans le diocèse de Bouar. Vous avez été tour à tour formateur et Directeur au séminaire de la Yolé, Curé de la paroisse Saint Michel de Bozoum pendant 17 ans, Supérieur de la Délégation des Carmes Déchaux d’Afrique Centrale. Vous avez été aussi Secrétaire Exécutif Diocésain (SED) de la Caritas dans le diocèse de Bouar. En tant que membre de la Communauté de Baoro, vous vous êtes occupé des villages de la savane et de l’école mécanique de Baoro en tant que Directeur. Nous saluons la qualité du travail abattu.
Cependant, permettez-moi d’attirer votre attention sur le caractère totalement différent de la situation du diocèse de Bangassou couvrant les Préfectures de Mbomou et de Haut-Mbomou. Le diocèse de Bangassou se situe à 750 km de Bangui, la capitale de notre pays. Les routes ne sont pas praticables et difficilement carrossables. Dans ce diocèse, il n’y a que deux communautés religieuses masculines et deux communautés religieuses féminines. Ce diocèse garde encore les stigmates des crises militaro-politiques. Certaines localités sont encore entre les mains des groupes rebelles. À Obo, il y a des oiseaux qui chantent : « Obo, là ooohhh, Obo ». Au-delà de ces routes impraticables, de l’insécurité, de la flambée des prix des produits et denrées de première nécessité et des matériaux de construction, il y a des hommes et des femmes qui attendent de recevoir de vous la Parole de Dieu qui réconforte et relève, des sacrements qui augmentent en eux la vie de Dieu, des populations paysannes qui veulent vaquer à leurs activités en toute sécurité, écouler leurs produits champêtres, de pêche et de chasse et pouvoir en vivre dignement et décemment, des personnes meurtries et souffrantes qui entendent bénéficier des soins de santé appropriés, des enfants qui veulent recevoir une éducation et une formation de qualité, des jeunes qui espèrent un avenir meilleur.
C’est pour vous dire combien les défis sont énormes et les attentes nombreuses et multiformes.
3. Vivre des vertus théologales
Face à ces défis, le Christ vous interpellera, comme il a interpelé l’apôtre Pierre, le Chef du collège des apôtres après sa résurrection : « Aurelio, m’aimes-tu ? ». C’est dans le dialogue intime, la prière, la lectio divina, la célébration quotidienne de l’eucharistie et le dans le service du peuple de Dieuque vous saurez lui répondre : « Seigneur, tu sais tout, tu sais que je t’aime ! » A l’école de Saint Pierre, vous avez choisi de placer votre ministère épiscopal sous le signe de la fragilité et de la vulnérabilité sous le regard aimant et miséricordieux de Dieu.
Face au doute et au possible découragement, laissez-vous guider, Mgr Aurelio, par l’invitation de Saint Paul Apôtre à son fils spirituel Timothée à raviver le don gratuit de la foi reçue lors de l’ordination. Nul ne doute que vous saurez bénéficier des expériences, de la sagesse et des conseils avisés de Mgr Juan Jose Aguirre. Il a exercé vingt-six (26) années durant à la tête du diocèse de Bangassou. Il a su capitaliser à bon escient ce qu’il a lui-même reçu de Mgr Marie-Aintoine Maanicus en y ajoutant des éléments propres, fruits de ses expériences personnelles, de sa formation, de sa spiritualité combonienne et de son engagement missionnaire. À certains moments, il vous faudra faire montre de témérité, de ténacité et de courage. Vous serez appelé à devenir la voix des sans-voix et à prendre position face à des réalités sociopolitiques et économiques au nom de votre foi et de l’Évangile. Soyez et restez un homme de prière, de foi, d’espérance et de charité. Sachez travailler en collaboration avec le clergé local. Ayez à cœur d’écouter et de dialoguer avec les prêtres, vos proches collaborateurs, les religieux et les religieuses, les catéchistes et tout le peuple de Dieu.
J’invite toute l’Église-Famille de Dieu du diocèse de Bangassou à s’unir à son futur Pasteur pour ne faire qu’un avec lui dans l’annonce de l’Évangile.
Puisse le Seigneur bénir toute l’Église-Famille de Dieu qui est en Centrafrique et de manière singulière tout le diocèse de Bangassou ! Que la Très Sainte Vierge Marie, Mère de l’Oubangui, la Reine des Apôtres, intercède pour le nouvel Évêque et pour notre beau pays la République Centrafricaine !
Amen
Dieudonné Cardinal NZAPALAINGA
Archevêque Métropolitain de Bangui